
La pyramide du Louvre est un symbole, elle représente la porte d’entrée principale du musée et il est question d’aménager une entrée supplémentaire pour remédier aux problèmes d’attente et de surpopulation. Il est temps de considérer ce qui aurait dû être fait, une véritable entrée, monumentale, reliant le jardin au palais dès l’origine. Mais le monde est bien trop occupé par les différents conflits pour s’intéresser à ce grand projet qui mériterait pourtant que l’on s’y attarde.
Le Louvre était un palais. Avec ses jardins, les Tuileries, il s’inscrit sur un axe historique, celui des Champs-Élysées. Transformé en musée, il est devenu l’emblème d’une culture large et, à ce titre, mérite toute notre attention. Au moins une dizaine de très grands architectes se sont succédé pour réaliser le Louvre et montrer que l’architecture est bien un passage de témoin. Il est vrai que Le Bernin s’est essayé à un exercice difficile : terminer le palais et dessiner son entrée sur la façade est. Les esquisses se sont succédé sans convaincre ni Louis XIV ni Colbert, il a donc dû renoncer. C’est Claude Perrault qui aura la tâche, non de faire une entrée mais une « façade » du plus pur style baroque français. Aujourd’hui, le succès du musée est mondial et près de 9 000 000 de visiteurs franchissent tous les ans l’entrée dessinée par I.M. Pei. La tentation est grande de restructurer l’établissement et, par la même occasion, de régler le problème de son entrée devenue « étriquée ».
Pour ma part, ce choix d’entrée m’a toujours paru inconcevable. Il aura fallu trente années pour découvrir son dysfonctionnement. Comment donc dessiner une entrée dans une pyramide, quand justement une pyramide est symbole d’une forme impénétrable ?
La porte d’entrée naturelle du musée manque donc depuis toujours, il est grand temps de l’accomplir, de réaliser enfin une entrée digne du plus grand musée du monde. Digne, car faire attendre sous la pluie des milliers de visiteurs n’est pas très respectueux quand Disney sait mettre les inévitables files d’attente à l’abri des éléments.
Aujourd’hui, on veut enfin rattraper les erreurs mais, depuis 1989, je regarde cette pyramide avec la conviction que la proposition de l’architecte relevait d’une certaine stratégie. Après qu’il lui fut imposé une pyramide à Lyon pour conclure la tour du Crédit lyonnais, I.M. Pei pensait certainement que les Français avaient un drôle de rapport à l’histoire, qu’ils aimaient les pyramides. Après trois projets refusés à La Défense, cette fois sera la bonne. L’Arc de triomphe et l’obélisque attendaient une conclusion, une référence à l’antique, ils l’auront.
Sauf que la pyramide, forme parfaite comme la sphère, n’est pas faite pour être habitée, ni être posée au sol, elle ne supporte aucune altération, fusse-t-elle celle d’une porte.
Je ne suis pas étonné que l’erreur apparaisse enfin. Aveuglé par la transparence de la pyramide, personne n’a perçu l’erreur. L’entrée du Louvre, avec son petit ascenseur et son joli escalier hélicoïdal, n’était pas à l’échelle du musée.
En tant que citoyen, en tant que Parisien, en tant qu’architecte, je pousse un cri d’alarme mais je veux aussi faire une proposition qui fasse progresser.
Comment y apporter un remède ?
Le projet « Louvre Nouvelle Renaissance » prévoit d’installer une deuxième entrée depuis la cour carrée du Louvre alors qu’une solution, plus conforme à l’histoire et au fonctionnement pourrait être envisagée. On pourrait simplement créer une deuxième porte ! Le risque est de reproduire la première erreur, une erreur d’échelle, ce qui serait, pour un architecte, l’équivalent d’un hara-kiri. Ce musée, à entrées multiples, est la preuve que personne n’a su apporter une réponse correcte.
J’ai toujours pensé que cette pyramide était une très belle réalisation mais une très mauvaise idée.
Imaginez une personne, devant Notre-Dame, demandant « mais où est l’entrée de la cathédrale ? ». Impossible de se tromper, elle est sur la façade ouest. Pour l’entrée du palais de justice de Paris la confusion était possible, il y en avait deux, il a fallu en fermer une. Alors pour l’entrée du Louvre, ce sera la nouvelle question : où est l’entrée ? Toute l’attention s’est portée sur l’inscription d’une forme moderne au milieu du Louvre, un geste fort. La modernité a sa place partout dès lors qu’elle a du sens. La pyramide, une forme qui avait sa place en référence à l’obélisque, à l’Arc de triomphe de l’Étoile, au Carrousel et à l’Arche de La Défense, justifiait et garantissait une continuité historique.
Tout le monde avait oublié une chose, l’entrée !
Une entrée avec un escalier et un ascenseur, sans parler d’une porte impossible dans une façade inclinée. Mon point de vue n’avait pas grande importance, à l’Élysée tout n’était qu’évidence, beauté du geste et transparence. De symbolique, il n’en était pas vraiment question, pourtant une pyramide est une forme qui, par principe, ne peut être traversée.
La Grèce antique proposait la solution du dromos, une allée en pente douce qui permettait l’accès, sans perturber la forme symbolique. On aurait pu prendre l’exemple du tombeau d’Agamemnon à Mycènes. Ce même dromos a été utilisé par Oscar Niemeyer pour donner accès à la cathédrale de Brasilia qui est une forme inaltérable, un hyperboloïde de révolution, une forme qui rendrait toute altération ridicule. Pourtant la découverte de cette cathédrale est une merveille, un côté magique, une manière de dire que l’architecture a une histoire, une capacité à relier l’antiquité à la modernité. Plus qu’une forme ou un fonctionnement, c’est un cheminement vers une découverte, une révélation, qui est proposé avec ce dispositif.
Il faut une réponse au problème de saturation. Cette réponse, tout aussi symbolique que spatiale, aura l’allure de l’évidence.
Si d’aucuns regardent la perspective depuis le jardin des Tuileries pour tracer, depuis l’arc du Carrousel, l’unique entrée du Louvre, un dromos, large d’une dizaine de mètres, en pente légère, accessible aux PMR, permettrait de mettre les visiteurs à l’abri des intempéries le temps d’attente. Ce long passage cérémoniel de l’architecture antique, sorte de chemin des panathénées qui prépare à l’accès au sanctuaire, donnerait une force narrative et une très grande clarté à l’ensemble du dispositif. Ce serait la modernité dans l’immersion avant d’être confronté à la réalité. La Pyramide garderait ainsi sa pleine puissance, comme “Porte du temple”, et ferait du Jardin des Tuileries un véritable vestibule urbain, une antichambre monumentale.
Aujourd’hui, le Louvre fonctionne avec plusieurs accès : la Pyramide (principale), le Carrousel du Louvre (souterrain), la Porte des Lions (parfois ouverte), etc. Cette multiplicité, bien que pratique pour la gestion des flux, dilue le caractère sacré et hiérarchique que pourrait avoir l’entrée du plus grand musée du monde.
En privilégiant un seul axe, clair, du Carrousel à la Pyramide, on renouerait avec une dramaturgie de l’approche, une centralité restaurée du musée dans le paysage parisien, une dimension symbolique et cérémonielle que mérite un tel lieu. Certes, cela poserait des questions pratiques, mais dans tous les cas de figure (accès, files d’attente, sécurité, flux de visiteurs), les questions techniques ne doivent pas brider une vision architecturale forte. Il est tout à fait possible de canaliser tous les flux vers un seul point sans nuire à l’efficacité, si l’aménagement suit cette logique avec intelligence. En plus, les activités commerciales auront tout à gagner de ce retournement.
Par cette proposition qui garde à la pyramide sa dimension unique, je recentre le Louvre sur l’expérience du seuil, sur un cheminement progressif vers la culture, sur une idée qui renforce sa position dans la cité et son axe structurant.
Dans l’architecture contemporaine, la question de l’entrée a été évacuée par peur de rendre la symétrie lisible, il est peut-être encore temps d’éviter une nouvelle erreur. En architecture la « Renaissance » a un véritable sens, c’est renouer avec l’histoire.
Alain Sarfati
Architecte & Urbaniste
Retrouvez toutes les Chroniques d’Alain Sarfati