
Les cinq lauréats du concours pour une nouvelle entrée au Louvre ont été dévoilés le 10 octobre 2025 par le ministère de la Culture. Une compétition qui ne manque pas d’incongruités et qui, pour les architectes français, renvoie une image désespérante. Quelques remarques donc.
Préambule
L’annonce triomphale est en réalité, une comédie à grand budget, ou plutôt à budget fantôme. Car enfin, 135 millions d’euros pour de nouveaux accès et quelques rampes ? En France, cela veut dire le double à la réception. Et comme l’État n’a plus un sou, on fait appel aux mécènes, façon Notre-Dame.
Passons à la distribution : cinq lauréats, zéro Français. Deux agences américaines, une anglaise, deux japonaises — dont SANAA, déjà à l’origine du Louvre-Lens et de la Samaritaine. Coïncidence heureuse, cette dernière appartient à LVMH, grand ami du patrimoine rentable. Pendant ce temps, Ricciotti, Wilmotte et compagnie peuvent retourner dessiner des parkings : les concours internationaux servent désormais à importer du génie étranger sous blister.
Cerise sur le dôme : l’architecte en chef des Monuments historiques chargé du Louvre siégeait dans le jury qu’il avait lui-même préparé. Juge, partie, et sans doute décorateur en chef du fiasco annoncé.
Quant aux jeunes architectes français, on leur enseigne la frugalité, la récup’ et les potagers sur les toits pendant que les opérations de prestige s’envolent vers Tokyo ou New York. On finira par leur confier les cabanes de chantier, en matériaux biosourcés, bien sûr.
Faut-il brûler Le Louvre ?
Lorsque le 27 juin 2025 fut lancé, pour l’histoire, le concours international d’architecture pour la création de nouveaux accès et espaces au sein du musée du Louvre et l’aménagement de ses abords, la part de l’enveloppe financière prévisionnelle de l’appel d’offres précisait que ces travaux étaient estimés précisément à « 135 685 000,00 €HT, valeur avril 2025 décomposée en 132 000 000,00 €HT pour le périmètre Louvre et 3 685 000,00 € HT pour le périmètre ville de Paris ».* Ce qui signifie, puisque nous sommes en France, qu’il faut compter au moins le double à la réception.
Cependant, nous sommes tous bien placés pour le savoir, l’État n’a plus un sou vaillant et, trois Premiers ministres plus tard, il cherche des économies de bout de chandelle à tout bout de champ ! Alors pour l’initiative d’un président cramé, les parlementaires risquent de ne pas se montrer complaisants ! D’où l’idée chez la maîtrise d’ouvrage, qui se réfère au succès de la levée de fonds pour Notre-Dame, de faire appel aux mécènes. En somme, la nouvelle entrée du Louvre, un grand chantier public mais financé par le privé, forcément désintéressé ! Misère ! Ce d’autant plus que les mêmes ont déjà donné pour Notre-Dame et que les bondieuseries ont aujourd’hui meilleure presse que l’intelligence et la culture. De plus Notre-Dame, sans l’incendie spectaculaire, n’aurait certainement pas reçu autant de dons venus du monde entier. Du coup, pour le président, la victoire était facile, l’argent venait d’ailleurs et reproduire à l’identique ne faisait pas mal à la tête. La solution pour l’État français de faire faire des économies au contribuable s’impose donc : il suffit de d’incendier juste ce qu’il faut du Louvre, la colonnade de Perrault par exemple, dans un bel exercice de pyrotechnie puis de passer la sébile comme à la messe. Après tout, pour mettre le feu au pays Vulcain ex-Jupiter s’y entend.
SANAA rien à voir ?
Parmi les lauréats,** deux agences américaines, une anglaise et deux japonaises, dont SANAA. Chacun comprend bien que parmi les grosses pointures françaises, Rudy Ricciotti et Jean-Michel Wilmotte notamment, dont le savoir-faire n’est plus à démontrer, furent logiquement recalés puisqu’ayant déjà travaillé au Louvre, les arts islamiques pour le premier, le Carrousel pour le second. Mais SANAA est déjà l’auteure du Louvre-Lens et aurait dû, en toute logique, ne pas être retenue non plus. Comment dit-on second effet kiss cool en japonais ? Toutefois, l’agence japonaise est également l’auteure de la façade de la Samaritaine toute proche, propriété de LVMH, qui ne saurait pâtir de l’afflux de touristes espéré. Horrible soupçon évidemment mais, tout à leur volonté de trouver des mécènes, des membres du jury se seraient-ils laissés emporter, par un biais cognitif insoupçonné, à flatter un bon samaritain ? Et comment imaginer qu’un président de la République et une directrice de musée puissent se laisser influencer par l’un des hommes les plus riches du monde ?
Un ACMH, ça va. Deux, bonjour les dégâts ?
Autre incongruité, parmi les membres du jury, en tant que personnalité qualifiée, il y a François Chatillon, l’architecte en chef des monuments historiques (ACMH) territorialement compétent, qui supervisera les travaux sur le monument lui-même. Or Chatillon François, est en charge du Louvre depuis 2024 et, surtout, il est celui qui a préparé le cahier des charges du concours. Juge et partie, il est donc curieux de le retrouver dans le jury dans une position influente. De fait, vous imaginez l’imbroglio pour les équipes, étrangères notamment, qui se sont offert le concours d’un ACMH afin de ne pas faire d’erreur dans la préparation de leur dossier… Deux ACMH dans le même panier, surtout au Louvre, est une source certifiée d’aigreur d’estomac. Il n’y aura donc qu’une tête et voilà les équipes lauréates prévenues.
Cherchez la femme…
Sou Fujimoto, né en 1971, dont il est permis de se demander ce qu’il fait là, est le plus tendre du lot – il n’est d’ailleurs accompagné que de lui-même – et semble apparemment peu armé face à quatre femmes qui ne s’en laisseront pas conter : l’Américaine Annabelle Selldorf, née en 1960 ; l’Anglaise Amanda Jane Levete, née en 1955 ; la Japonaise Kazuyo Sejima, née en 1956 ; l’américaine Elizabeth Diller, née en 1954. Puisque depuis la création en 1975 de son Grand Prix National d’Architecture, la France ne l’a jamais décerné à une femme,*** il semble donc tout à fait approprié qu’une architecte étrangère emporte à Paris le concours de l’entrée est du Louvre. Logique !
Ma petite sœur contre Mike Tyson
Ils sont venus, ils étaient tous là les cadors mondiaux, dont nombre de Pritzker, un véritable who’s who de l’architecture mondiale. Riccotti et Wilmotte déjà out, Perrault, l’homme de Mitterrand ne pouvait pas être celui de Macron, Nouvel a trop de casseroles, ajouter Christian de Portzamparc et, de toute façon, aucun ne pouvait incarner un quelconque renouvellement. Alors, dans le coin opposé, face à Foster, Piano, Koolhass, Kengo Kuma, BIG, KAAN, Studio Gang et consorts, qui envoyer dans l’arène ? LAN, Chartier/Dalix, Jakob MacFarlane, Edouard François, Franklin Azzi ou Chartier-Corbasson ne jouent pas dans la même catégorie de poids, ils ne sont même pas dans le même stade.
Non qu’ils soient de mauvais architectes mais de quelles références internationales disposent ces agences ? Les grands travaux de Mitterrand ont permis à une génération d’émerger et de s’imposer sur la scène mondiale. Aujourd’hui, depuis 30 ans et plus que les projets prestigieux échoient à des agences étrangères à la mode, les agences françaises de la génération des quatre amazones retenues n’ont pas eu la possibilité de se bâtir une stature internationale. Sans même parler des jeunes architectes français coincés dans des concours à critères imbéciles. Pourtant, quand Renzo Piano et Richard Rogers ont gagné Beaubourg, ils venaient à peine de s’acheter leur premier rasoir. Sans doute que j’exagère puisque, le 13 octobre 2025, hier donc, c’est l’agence danoise BIG (Bjarke Ingels Group) qui a emporté le concours d’un nouveau centre des Congrès pour la ville de Rouen (Seine-Maritime), face à ZHA (Zaha Hadid) et Renzo Piano, une appétence des élus français pour des architectes étrangers, quelles que soient les circonstances, qui confine à l’absurde mais qui aura réduit le potentiel des agences hexagonales à peau de chagrin. La preuve, elles ne sont même plus appelées à concourir. À Rouen comme ailleurs, les fossoyeurs de la culture française !
De plus, pour les agences françaises, le combat est particulièrement inégal. Elles ont au mieux de trente à cinquante employé(e)s, leurs concurrentes exogènes en ont 2 000 ou plus. Et il ne s’agit pas là de 2 000 bricoleurs qui font du copié-collé. Qui, ici, peut lutter ? Je sais que nombre d’agences peuvent fonctionner, et réaliser de beaux projets, avec une petite équipe et ne sont pas animées par une volonté sans faille de se développer, encore moins à l’international, mais la quantité tend à impressionner les maîtres d’ouvrage français plus que la qualité.
Difficile toutefois d’imaginer qu’il n’y a pas en France de (un peu plus) jeunes architectes plein d’idées et d’audace. Il devait même y en avoir quelques-uns parmi la centaine de prétendants. Mais n’est pas Mitterrand, qui s’en remettait à de véritables concours d’idées, qui veut.****
Mariage d’affaires plutôt que mariage d’amour ?
De toute façon, c’était écrit, les pouvoirs en place ayant eu cette idée formidable d’associer en Duo agences étrangères et agences françaises, en l’occurrence ces dernières seules habilitées à déposer un permis de construire. D’où l’œcuménisme de cette sélection qui tente – avec Architecturestudio et Dubuisson Architecture – de ménager les sensibilités. Or chacun sait que les mariages arrangés, voire forcés, deviennent vite coûteux en acrimonie, y compris sans doute pour un projet d’escalators et de rampes, similaire à celui d’un aéroport, ce qui correspond tout à fait à l’intérêt surtouristique de l’affaire.
Les architectes français coincés
Enfin, un mot sur le symbole que représente cette sélection. Nombre d’architectes en France, et nombre d’enseignants des écoles d’architecture, se sont enfermés dans des discours réducteurs autour des matériaux de récup, de la frugalité ou de l’aromathérapie qui se révèlent particulièrement pauvres quand il s’agit d’évoquer le faste et le prestige d’un palais ayant abrité tant de souverains et leur cour et d’un piètre secours face à Mike Tyson. Nous verrons bien ce que proposent les cinq équipes retenues au sujet des papillons et de l’agriculture urbaine – des poireaux dans les douves ? – mais il est permis de penser que le discours de durabilité sera un peu mieux tenu. Sans doute que dans leurs écoles, on enseigne aux étudiants en architecture à construire, pas l’inverse.
Grand travail vs Grand Travaux
Lors de l’annonce, le 28 janvier 2025, d’un concours international d’architecture pour la nouvelle entrée du Louvre, Emmanuel Macron a relevé durant son discours que le musée du Louvre est « de nos romans à notre cinéma, le lieu de toutes les rencontres, de toutes les illusions. Et il y a 40 ans, le Louvre a franchi une étape historique dans l’élan du Grand Louvre, porté par le Président Mitterrand ». Pour lui donc de se mettre, sans gêne, dans les pas de Mitterrand. Mais à quelles illusions fait-il référence ?
Bref, en attendant la lauréate, ne manque plus que le budget. Brûlons le Louvre !
Christophe Leray
* Lire notre édito Le Louvre, concours international : à 135 boules, c’est cadeau !
** Lire Concours « Louvre – Nouvelle Renaissance » : les agences internationales retenues
*** Elles ne sont que deux – Anne Lacaton (2008) et Myrto Vitart (2016) – à voir leur nom gravé au fronton du Hall of Fame de l’architecture française, mais dûment accompagnées…
**** Lire l’édito La Grande Arche de La Défense trop haute pour le CNOA ?