
À la veille de l’audition le 19 novembre devant la Commission des Affaires Culturelles (Assemblée Nationale) de Laurence des Cars, présidente-directrice du musée du Louvre depuis septembre 2021, les dysfonctionnements mis en évidence sur la dernière décennie sont rattrapés par une actualité en forme de coup de théâtre !
Au lendemain de la fermeture (17 novembre 2025) des neuf salons de la Collection Campana (env.1 000 m²) dont les plafonds risquent de s’écrouler, l’état des lieux.
1. Surfréquentation et sous-effectifs de sûreté :
– montée inexorable de la fréquentation, puis jauge tardive ;
– baisse des effectifs de surveillance (–15 à –20 % selon les sources), externalisation partielle des rondes ;
– grèves de 2019 et 2025 qui anticipent le braquage.
2. Obsolescence du bâti et des réseaux :
– infiltrations, ruptures de canalisations, variations extrêmes de température, inadaptation de la pyramide et des espaces médiévaux, fragilité structurelle de certaines ailes.
3. Retards persistants dans les investissements de sécurité :
– couverture vidéo très incomplète, équipements vieillissants, caméras mal positionnées ;
– plans de modernisation votés mais non menés à terme avant 2025 ;
– critiques convergentes de la Cour des comptes, des syndicats et des experts.
4. Ambiguïtés du plan « Nouvelle Renaissance » :
– projet ambitieux mais jugé par certains trop centré sur l’image (nouvelle entrée, grande salle pour La Joconde) et pas assez sur la mise à niveau rapide de la sécurité et des infrastructures existantes. Et surtout d’un coût exorbitant.
CHRONOLOGIE
Rappel chronologique des principaux dysfonctionnements relevés au Louvre depuis une dizaine d’années, en lien avec la sécurité des collections, l’état du bâti et la gestion des flux, jusqu’à l’audition de Laurence des Cars à l’Assemblée Nationale le 19 novembre 2025.
Avant 2020 : premiers signaux forts
14 juillet 2017 – Infiltrations d’eau et œuvres abîmées
De violents orages provoquent d’importantes infiltrations d’eau. Des peintures sont endommagées, plusieurs salles sont fermées (Arts de l’Islam, antiquités égyptiennes, partie de l’aile Sully) et des œuvres évacuées en urgence. Première alerte publique sur la vulnérabilité du palais aux aléas climatiques et à la vétusté des réseaux.
27 mai 2019 – Grève et fermeture du musée pour surfréquentation
Les agents d’accueil et de sécurité font grève : le Louvre reste fermé toute la journée. Les syndicats dénoncent un musée « suffocant », un afflux record (10,2 M de visiteurs en 2018, 9,6 M en 2019) et une baisse du nombre de gardiens, avec dégradation des conditions de sécurité pour le public et les œuvres.
2023–2024 : surfréquentation et dégradation accélérée du bâti
2023 – Mise en place de la jauge de 30 000 visiteurs/jour
Le Louvre décide de limiter sa fréquentation quotidienne à 30 000 visiteurs, soit environ –30 % par rapport au niveau maximal antérieur. L’établissement présente cette jauge comme indispensable au confort de visite et aux conditions de travail des agents, ce qui revient à reconnaître un engorgement chronique de l’outil.
2023–2024 – Incidents techniques en série
Une série d’incidents illustre la fragilité des installations :
– explosion d’une conduite d’eau en novembre 2023, entraînant l’annulation de l’exposition « Claude Gillot » au pavillon de l’Horloge ;
– infiltrations provoquant la dépose de tableaux dans la Grande Galerie en 2024 ;
– inondation des douves médiévales en octobre 2024 ;
– absence de climatisation obligeant à fermer les appartements Napoléon III lors des épisodes caniculaires ;
– bureaux de conservation (pavillon Mollien) sans chauffage ni ventilation, avec risques psychosociaux élevés pour les agents.
Ces incidents montrent que les risques ne sont pas seulement « sécurité-vol », mais aussi structurels et climatiques, avec un impact direct sur la conservation.
Début 2025 : cri d’alarme interne et lancement du plan « Nouvelle Renaissance »
13 janvier 2025 – Note confidentielle de Laurence des Cars
Dans une note à la ministre de la Culture, la présidente du Louvre décrit un « niveau d’obsolescence inquiétant » : bâtiments non étanches, fortes variations de température mettant en danger les œuvres, réseaux techniques hors d’âge, conditions de travail dégradées pour les agents.
28 janvier 2025 – Annonce du plan « Nouvelle Renaissance du Louvre »
Emmanuel Macron présente un vaste projet :
– nouvelle grande entrée côté colonnade de Perrault ;
– creusement de galeries sous la cour Carrée ;
– création d’un espace dédié à La Joconde ;
– restauration de l’ensemble du site.
Budget estimé : plusieurs centaines de millions d’euros. Des observateurs s’inquiètent de voir la priorité mise sur les grands travaux visibles (nouvelle entrée, salle de la Joconde) plutôt que sur la résolution rapide des problèmes de maintenance, de climat et de sécurité courante.
Janvier 2025 – Pyramide jugée « structurellement dépassée »
Des articles détaillent les limites de la pyramide : conçue pour bien moins de visiteurs qu’aujourd’hui, elle est devenue un goulet d’étranglement, surchauffé et bruyant, mal adapté à la fréquentation actuelle (plus de 8 M de visiteurs/an).
Juin 2025 : alerte sociale explicite sur la sécurité
16 juin 2025 – Nouvelle grève et fermeture du Louvre
Les personnels d’accueil et de sécurité se mettent en grève, entraînant la fermeture du musée. Ils dénoncent :
– la suppression d’environ 190 postes de sûreté-surveillance en dix ans (–15 % environ) ;
– un sous-effectif chronique malgré la jauge de 30 000 visiteurs/jour ;
– des failles de sécurité déjà pointées, notamment pour la protection des collections.
Les syndicats affirment qu’en l’état, un incident grave – y compris un vol d’envergure – est « prévisible ».
Octobre 2025 : le casse des joyaux de la Couronne
19 octobre 2025 – Braquage de la galerie d’Apollon
Quatre malfaiteurs, déguisés en ouvriers, utilisent un camion-nacelle pour atteindre le balcon de la galerie d’Apollon côté Seine, brisent une fenêtre, cassent deux vitrines et s’emparent de huit bijoux napoléoniens et de la Couronne (diadèmes, collier, broches, etc.), d’une valeur patrimoniale inestimable. L’opération dure quelques minutes, en plein jour, après l’ouverture au public. Une couronne de l’impératrice Eugénie est retrouvée brisée à l’extérieur. Le musée est évacué puis fermé plusieurs jours. L’affaire provoque une onde de choc nationale et internationale.
Octobre 2025 – Révélations sur les failles de sécurité
Les premiers éléments d’enquête révèlent :
– un système de vidéosurveillance extérieur obsolète, avec notamment la seule caméra proche de la zone orientée… dans la mauvaise direction ;
– une couverture très partielle des salles en caméras (environ un tiers dans certaines ailes, taux encore plus faible dans Sully et Richelieu) ;
– des plans de modernisation de la sécurité engagés mais fortement retardés par les procédures et l’arbitrage budgétaire.
Les syndicats rappellent que les rondes extérieures ont en partie été externalisées à un prestataire privé, avec des effectifs en baisse malgré un marché en hausse.
20–22 octobre 2025 – Pression politique et auditions au Sénat
Les ministres de la Culture et de l’Intérieur reconnaissent des failles graves ; Rachida Dati parle d’une « sous-estimation chronique et structurelle du risque d’intrusions et de vols » depuis plus de vingt ans. Laurence des Cars est auditionnée au Sénat :
– elle insiste sur le fait qu’elle n’a cessé d’alerter sur l’état de dégradation et l’obsolescence générale du Louvre ;
– elle reconnaît que la vidéosurveillance extérieure, notamment devant la galerie d’Apollon, est « insuffisante » ;
– elle indique avoir proposé sa démission, refusée par l’exécutif.
Novembre 2025 : rapport de la Cour des comptes et fermeture de la galerie Campana
6 novembre 2025 – Rapport thématique de la Cour des comptes (exercices 2018–2024)
Le rapport, préparé avant le braquage, dresse un constat très sévère :
– priorité donnée aux acquisitions et aux projets visibles plutôt qu’aux investissements de sécurité, de maintenance et de mise aux normes ;
– retard considérable dans le déploiement de la vidéosurveillance : en 2024, seulement 39 % des salles seraient équipées, avec de très fortes disparités entre ailes ;
– cycle d’obsolescence des équipements plus rapide que les investissements consentis ;
– faiblesses de gouvernance et de contrôle interne, dont la billetterie et les flux financiers.
La Cour parle d’un cambriolage servant de « signal d’alarme assourdissant » pour une situation dénoncée depuis longtemps.
Réponse du Louvre – L’établissement reconnaît des retards mais souligne que :
– un plan pluriannuel de sécurisation et de rénovation est engagé ;
– la jauge de 30 000 visiteurs/jour vise à limiter la surfréquentation ;
– le plan « Nouvelle Renaissance » doit, à terme, permettre de traiter les problèmes structurels.
17 novembre 2025 – Fermeture de la galerie Campana pour « fragilité de l’édifice »
Un bureau d’études techniques signale la « particulière fragilité » de certaines poutres portant les planchers du 2ᵉ étage de l’aile sud du quadrilatère Sully. Sur recommandation de l’architecte en chef des monuments historiques (François Chatillon) :
– la galerie Campana (9 salles de céramiques grecques antiques) est fermée au public ;
– l’accès aux bureaux du 2ᵉ étage est neutralisé ;
– 65 agents doivent être relogés dans les trois jours.
Cette fermeture préventive, quelques semaines seulement après le braquage, met en lumière les fragilités structurelles du palais lui-même, au cœur même du périmètre visé par le plan « Nouvelle Renaissance ».
Jean-Claude Ribaut