D’aucuns se souviennent peut-être du pavillon de l’agence Encore heureux installé sur le parvis de l’hôtel de ville de Paris en décembre 2015, durant la COP 21. L’occasion pour Julien Choppin et Nicola Delon d’illustrer concrètement leur démarche centrée autour de l’économie circulaire. ARUP à Londres a choisi une autre approche et mise sur l’industrie. Explications.
La façade du pavillon d’Encore heureux, était constituée de 180 portes provenant d’immeubles de logements du XIXe arrondissement de Paris. «Plus de matière grise pour moins de matières premières», indiquaient les architectes. A l’issue de la COP 21, le pavillon fut démonté puis réinstallé de façon permanente dans le XVe arrondissement pour devenir le ‘club house’ d’une association sportive.
Une démarche similaire est celle de l’architecte Philippe Samyn qui, pour le siège du Conseil européen à Bruxelles (dont la livraison est prévue en 2017), a imaginé une façade composée de vieux châssis de fenêtres en chêne collectés dans chacun des états membres. Idem pour les architectes de AW² qui, pour le ‘resort’ de Six Senses Condao, avaient récupéré des portes des chantiers de démolition locaux.
Pour ces projets, la vision qu’ont leurs architectes du réémploi semble assez romantique, comme ces artistes qui dans les ‘quartiers’ réalisent des fresques en céramique avec la vaisselle cassée des habitants ou Wang Shu qui récupère les briques des Hutongs. Déjà, en septembre 2015, Architecture-Studio (Laurent-Marc Fischer et Marie-Caroline Piot) avait animé un atelier et des tables rondes dans le cadre de ‘Réinventer Paris par l’économie circulaire’.
Cela dit, au-delà de ces quelques exemples isolés, l’économie circulaire, en architecture, paraît encore bien loin. Où est-ce la France qui accuse du retard ? En témoigne peut-être le prototype livré par ARUP dans le cadre du London Design Festival 2016. Il s’agit d’un simple pavillon, plutôt petit, et, à voir son toit à deux pentes, de se dire qu’il a dû effectivement être conçu par des ingénieurs. Jusqu’à ce que se pose la question : que vient faire ARUP dans cette histoire ?
ARUP, chacun le sait, est cette multinationale de l’ingénierie à la renommée planétaire et présente partout dans le monde sur les projets les plus grands, les plus difficiles, les plus prestigieux. Quand est-ce qu’ARUP se serait-il par le passé occupé d’un pavillon de 70m² ? Avec un toit à deux pentes ?
De fait, pour réaliser le premier ‘bâtiment circulaire’ du royaume, ARUP ne s’est pas encombré de romantisme, n’a pas récupéré des portes ou des fenêtres ou des briques ou des remblais. «L’objectif était de démontrer la possibilité d’une industrie tendant vers zéro déchet», explique l’agence. Le mot clef est ‘industrie’ et si une telle firme engage des recherches aussi pointues et mobilisent ainsi toute une équipe pour un tel projet c’est peut-être que la firme anticipe, selon ses mots, «le défi d’un changement radical».
Le projet consistait à créer, sur une petite place londonienne, un bâtiment fonctionnel qui répondrait dans son intégralité aux principes de l’économie circulaire. Tous les composants devaient être mis en oeuvre et utilisés à leur potentiel maximum et pour leur cycle de vie entier. Le tout en créant un environnement confortable et esthétique pour l’utilisateur. Enfin, l’ensemble devait être conçu et assemblé en deux mois et demi : huit semaines d’études puis deux semaines pour la construction.
Les architectes et ingénieurs de la multinationale londonienne ont alors raffiné l’application des techniques de construction préfabriquée existantes, intégrant des détails ‘open source’ avec des matériaux qui sont eux-mêmes recyclables. «L’idée était de dessiner et tester les détails en s’appuyant sur une ingénierie fine plutôt que sur la fixation mécanique», expliquent-ils.
Le résultat est un système de panneaux structurels isolants (SIPs) pour des murs autoportants et démontables, les raccordements utilisés entre le mur et la structure en acier recyclé pouvant être réutilisés dans le futur. Le revêtement et le plancher sont en bois durable et recyclable traité thermiquement. Même la moquette fut fournie avec un programme de reprise.
«La forme architecturale simple – une ‘maison’ conçue selon le diagramme des ‘Six S’ élaboré par Stewart Brand* – promeut un engagement concret à travers un archétype familier et une échelle de bâtiment qui est immédiatement lisible», expliquent les concepteurs.
Certes, ce pavillon avait vertu pédagogique et l’architectonique des matériaux et composants est mise en exergue, les limites des pignons révélant les couches de l’enveloppe et les panneaux SIPs habilement travaillés. Le cadre structurel crée une baie supplémentaire qui offre une possibilité pour une extension et une adaptation futures. Les raccordements et la structure en acier, laissés exposés, divisent le volume intérieur en trois zones, chacune reflétant comment l’économie circulaire peut affecter la vie de chacun.
L’espace de vie fut isolé avec un système de mur acoustique fait entièrement de bouteilles en plastique recyclées, un matériau qui peut être refondu encore et encore. L’espace de travail intègre quant à lui des éléments utilisant des capteurs pour contrôler l’environnement intérieur, l’information étant relayée grâce à un système hébergé dans le ‘cloud’. Les lucarnes, les stores et l’éclairage sont interdépendants, ce qui permet la création d’un environnement optimisé.
Mais, au-delà de ce souci du détail, l’intention d’ARUP était bien celle d’une recherche appliquée. «Une nouvelle façon de penser le processus de conception et son influence sur la chaîne d’approvisionnement est nécessaire pour parvenir à atteindre la circularité à tous les niveaux. Une recherche extensive sur les matériaux, qui furent chacun testés, fut intégrée au processus de design. Chaque composant du bâtiment fut remis en question et étudié pour révéler sa circularité potentielle. Ceci permit à l’équipe de produire une base de données sur les matériaux, laquelle rassemble pour la première fois des informations sur la production, la substance du matériau et ses utilisations potentielles», explique ARUP.
D’où des panneaux et des éléments qui possèdent chacun leur propre QR code lisible sur un téléphone portable, les informations sur les matériaux formant le catalogue de l’exposition. Un modèle BIM fut employé pour générer ces QR codes, enregistrant les informations des matériaux dans un dossier virtuel du bâtiment et de tous ses composants. «Ce processus prouve le potentiel d’un outil pour suivre les matériaux dans leur utilisation courante et future, un principe fondamental de l’économie circulaire», assurent les concepteurs.
«Notre objectif en participant à cette expérience était de tester si notre approche pouvait être largement adoptée. Elle démontre que l’économie circulaire propose aux architectes, aux développeurs, aux propriétaires et aux bailleurs et à tous les acteurs de l’acte de construire une vaste gamme de bénéfices à long-terme, tant en termes de valeur que d’usage», conclut Stuart Smith, l’un des directeurs de projet de la firme londonienne.
Ce bâtiment ‘circulaire’ est-il la démonstration que le dessin architectural peut en lui-même faciliter la transition vers une industrie plus responsable et durable ?
En tout cas ARUP y croit et a pris de l’avance.
Christophe Leray
* Stewart Brand est un auteur prospectiviste américain pionnier de l’écologie politique depuis les années 1960. Le diagramme des 6 ‘S’ qu’il a élaboré se décline ainsi : Site, Structure, Peau (Skin), Services, Surface et Matériaux (Stuff).
** The Ellen MacArthur Foundation, créée en 2010, a pour but d’accélérer la transition vers une économie circulaire.