Les ministres de la Culture passent et chacun, concernant sa tutelle sur l’architecture, se soumet au rite du discours bienveillant qui n’engage à rien. Soit. Puis, au hasard de l’actualité, un projet, celui de la BnF d’Amiens (Somme) par exemple dont les quatre équipes en lice sont désormais connues, vient rappeler le poids des mots et le choc des convictions. Il est vrai qu’au moins une centaine d’agences sont concernées. Ce sont les étudiants d’architecture qui doivent être contents.
Un mot en préalable pendant que j’y pense. Le fait est que les architectes exotiques sont souvent bien meilleurs quand ils travaillent chez eux qu’à l’étranger, en France notamment. Question de culture sans doute. Pour ne prendre qu’un seul exemple pour éclairer mon propos, le travail de BIG au Danemark est subtil, intelligent, beau, formidable, etc. et c’est ce qui a fait la célébrité de l’agence. Citons notamment le Tirpitz, un musée spectaculaire caché sous les dunes sur la côte ouest du Jutland à l’intérieur d’un bunker de béton de la Deuxième Guerre mondiale.* Ou encore plus récemment Flugt, un sensible musée des réfugiés à Oksbøl.** Ou encore le Musée Maritime du Danemark à Helsingør, ou encore les logements de 8Tallet ou du port d’Aarhus. Nul besoin de citer tous ses ouvrages remarquables mais notons que quand le Danois Bjarke Ingels travaille à domicile, il n’y a pas grand-chose à jeter.
À l’extérieur en revanche, dès que BIG devient trop BIG pour n’être plus qu’une vaste entreprise de construction architecturale à l’export, alors c’en est terminé de la sensibilité et de la subtilité. Voyons chez nous par exemple Europa City, où il était clair que BIG en avait vraiment quelque chose à faire, ou le MECA à Bordeaux où l’audace est en réalité tout à fait chinoise, et cela vaut de ses tours de New York à Quito, de Hangzhou à Séoul.
Ce qui nous ramène au discours prononcé le 6 février 2023 à l’ENSA Paris-Val de Seine par Rima Abdul Malak, ministre de la Culture, laquelle s’est à l’occasion dit très honorée que Frédéric Borel, « architecte de cette école et Grand prix national de l’architecture 2010, soit parmi nous ». Nonobstant évidemment le fait que ce Grand prix national de l’architecture, comme d’autres du même (haut) niveau, regardent passer les trains de la commande publique. Comme à Amiens par exemple puisqu’il en est question !
Mais c’est aux étudiants que s’adressait ce jour-là la ministre lors du lancement (roulez tambours, sonnez trompettes) du Palmarès RESEDA. Quoi ? Un machin comme dirait l’autre ? Non, rien moins que le « premier prix du ministère de la Culture destiné aux étudiants des écoles nationales d’architecture pour valoriser les projets de fin d’étude en faveur du développement durable ».
Si ce n’est pas une bonne idée ! D’ailleurs, jamais discours sur l’architecture de ministre émue, passant de Vitruve à Lacaton & Vassal via la frugalité heureuse et créative, n’aura fait assaut d’autant de bonne volonté. « Quand j’ai pris mes fonctions, j’ai annoncé, assez rapidement, dans mes priorités deux choses. D’une part, un défi qui est devant nous, qui est celui de la transition énergétique, que le ministère de la Culture doit prendre à bras-le-corps. J’ai donc voulu qu’on accélère nos travaux dans ce domaine. Et d’autre part, la jeunesse, la relève, c’est-à-dire : vous. Cette nouvelle génération qui, demain, va être aux manettes de notre politique de l’architecture et de la culture en général. Ce vivier d’étudiants que vous représentez, soit 20 000 étudiants dans les Ecoles nationales supérieures d’architecture, est considérable. 20 000 talents qui sont là pour nous aider à penser le monde de demain et nous aider à le dessiner de manière plus inclusive, plus durable, plus juste et plus écoresponsable ».
À vous en tirer des larmes !
En guise de quoi, faisant suite à la mobilisation d’étudiants et d’enseignants d’architecture de mauvaise humeur et après avoir reçu en avril les présidents des conseils d’administration et les directeurs des ENSA ainsi que des représentants des étudiants pour « échanger sur la situation », dans un courrier circonstancié daté du 21 avril et adressé « aux étudiantes et étudiants », la ministre a lâché avec l’enthousiasme qui la caractérise un billet à trois millions d’euros. Applaudissements.
Pour les 20 0000 étudiantes et étudiants des ENSA, déjà les plus mal lotis des étudiants français, faites le calcul des clopinettes. Byzance ! Et encore, s’ils ne se bougeaient pas, ils avaient que dalle !
D’ailleurs le ministère de la Culture a également prévu pour les ENSA de « nouveaux moyens humains, notamment administratifs », qui doivent permettre d’atteindre « vingt-cinq postes supplémentaires sur l’année 2022-2023 » pour vingt établissements, « soit plus d’un nouveau poste par école ».
Soit un nouveau poste administratif pour 800 étudiants. Byzance !
Quant aux 57 millions d’euros investis dans le plan de relance pour la rénovation des ENSA·P dont se targue la ministre, un tiers est consacré à la rénovation d’un seul bâtiment, le reste partagé entre les besoins de nombre d’écoles d’architecture qui font le prestige de la France avec leurs toits qui fuient. Rima Abdul Malak indique à ce sujet avoir demandé à son ministère de « prioritiser » les travaux. Parce que ce n’est pas déjà fait ? Au ministère de la Culture, jusqu’à aujourd’hui, les travaux avançaient sans priorité, dirigés par des souris aveugles ? Toujours est-il que les architectes connaissant les coûts de chantier, une telle corne d’abondance rien que pour les travaux urgents des écoles… Byzance !
D’ailleurs, en plus de toutes ces nouvelles aménités généreuses, compter une augmentation de salaire pour tous, y compris les 5 000 boursiers qui toucheront 37 € de plus par mois. Byzance comme à Berkeley ou à Columbia ! Depuis janvier 2023, 690 enseignants contractuels ont par ailleurs vu leur rémunération mensuelle augmentée de 113 euros. A l’échelle du pays, à peine 700 personnes concernées, une marée humaine ! Byzance donc puisque ça paye le Pass Navigo 5 zones
Quant à la prise en compte de la transition écologique dans les ENSA, s’en remettre au projet RESEDA, cité plus haut, « premier prix du ministère de la Culture destiné aux étudiants… etc. » et pleurer encore tant chacun distingue bien, derrière les trémolos, une politique visionnaire et dynamique pour l’architecture.
Pour autant, pourquoi leur payer une formation si c’est pour finalement demander aux architectes de ne pas construire ?*** Et même si l’idée que ces étudiants en architecture, l’élite de la nation à entendre la ministre, est qu’ils construisent enfin, voyons pour eux l’avenir sans Nostradamus.
Par exemple, nous y revenons, ce fameux concours pour la réalisation du futur pôle de conservation de la Bibliothèque nationale de France (BnF), dont le jury réuni à Amiens le 21 avril – le jour même où la ministre écrivait aux étudiantes et étudiants – sous la présidence de Laurence Engel, présidente de la BnF, et bien évidemment sous l’égide du ministère de la Culture, maître d’ouvrage, a vu parmi une centaine de candidatures quatre équipes d’architectes sélectionnées.
– Office for metropolitan architecture (OMA) associé avec DATA architectes ;
– AAPP/Atelier d’architecture Philippe Prost ;
– Rogers Stirk Harbour et Partners (RSHP) associé avec l’atelier WOA ;
– TVK associé avec Carmody Groarke architectes.
Maintenant, de quoi s’agit-il ? Le projet prévoit « la création de magasins de collections hautement technologiques, robotisés et fonctionnant sous atmosphère à oxygène raréfié et sans climatisation active, favorisant la préservation des documents, notamment les plus fragiles ». Dit autrement, il s’agit d’un hangar logistique robotisé de stockage de livres pour lequel les agences lauréates ont bien évidemment toutes les références nécessaires.
Parce que les agences française, en revanche, un hangar, elles ne savent pas faire et pour ce qu’il en est de la robotisation, des aéroports, en passant par les pharmacies et le tri des déchets, jusqu’au nec plus ultra des bibliothèques prestigieuses, elles n’en ont jamais entendu parler. En Angleterre en revanche….
Ou est-ce peut-être simplement qu’un hangar sous atmosphère protégée tout robotisé n’est au fond qu’une question d’ingénierie, et alors en effet en ce cas, préférer les architectes et ingénieurs anglais aux architectes français artistes en diable… Mais alors pourquoi dans le concours exiger « une très grande qualité architecturale et ce, en adéquation avec l’histoire et l’identité de la BnF marquée, sur l’ensemble de ses sites, par des interventions architecturales particulièrement remarquables » ? Parce que l’esthétique d’un bâtiment industriel, tout le monde entier ne sait pas le faire ?
Est-ce pour leur maîtrise du grand art que ces agences françaises sont associées dans les équipes ? Ou plus simplement parce qu’elles connaissent toutes les ficelles de la construction en France et que les étrangers n’y bitent rien ? Parce qu’en réalité, ce sont elles qui vont se cogner toutes les complexités et crises de nerfs du chantier pendant que les associés mandataires feront péter le champagne à Londres…
Le message implicite du ministère de la Culture maître d’ouvrage est que TVK et WOA, des agences françaises pourtant respectables devenues second couteaux de second couteaux anglais, ne sauraient pas toutes seules dessiner, concevoir et construire un tel hangar. Il y a là quelque chose d‘humiliant à leur endroit. S’ils y tiennent, pourquoi ne pas laisser les fonctionnaires du ministère se débrouiller avec leurs Anglais et les normes vernaculaires ! En attendant, pour les futures références des futurs architectes formés dans nos ENSA, la ministre de la Culture maître d’ouvrage leur en souhaite…
Qui se souvient quand, pour édifier la BnF NATIONALE, le ministère de la Culture maître d’ouvrage faisait appel à Dominique Perrault, un jeune architecte sans référence. L’ouvrage, construit, qu’il plaise ou non, a donné de l’audace à toute une génération d’architectes ayant produit des œuvres dont le pays s’enorgueillit aujourd’hui. Pour l’école d’architecture de Paris Val-de-Seine dont la ministre tient à publiquement remercier l’auteur, si le concours avait lieu aujourd’hui, parmi les quatre lauréats, il y aurait OMA, Auer Weber, Snohetta, BIG, CCR, Kengo Kuma, Populous et al pour nous apprendre le français.
En somme, au travers de ce concours d’un hangar à Amiens qui n’a pourtant rien de mystérieux, tel est le message de leur ministre de tutelle : étudiants en architecture, vous qui étudiez dans des conditions déplorables, voire indignes, sauf comme dirait Céline à aimer plus tard vos proxénètes anglais, changez de métier !
Christophe Leray
Sur le même sujet lire nos articles France terre d’accueil et Sur le pont de Nantes, on y ‘dance’, on y ‘dance’
*Lire TIRPITZ, le musée caché de la côte ouest du Danemark
** Lire Flugt, musée des réfugiés
*** Lire la chronique Former des architectes à ne pas construire – un paradoxe français