Le diable se cache dans les détails. Ainsi en est-il sans doute de l’appréciation à porter à propos du résultat du concours organisé par le ministère de la Culture pour la conception et création d’un ouvrage de protection de la polychromie de la cathédrale Saint-Maurice d’Angers.
Voilà une compétition qui a déchaîné la passion des cinq architectes* retenus – Kengo Kuma, Rudy Ricciotti, Bernard Desmoulin, Philippe Prost et Pierre-Louis Faloci – pour un sujet – le geste contemporain pour une cathédrale gothique – qui déchaîne les passions tout court à Notre-Dame de Paris.
Si le geste contemporain un temps souhaité par Emmanuel Macron a fait long feu à Notre-Dame, il est apparu, ou était censé apparaître, au travers de ce petit concours à 2 M€ – « c’est beaucoup et c’est peu » – dont le lauréat, Kengo Kuma, a été dévoilé le 13 octobre 2020.
A noter en premier lieu : pour les équipes, 20 000€ d’indemnités ; autant dire que, d’un point de vue financier, ce projet n’est évidemment pas une opération gagnante. Pourtant, les architectes de ces cinq agences, pas des clampins puisque la sélection compte un Pritzker, trois grand Prix d’architecture et Philippe Prost qui n’est pas manchot dans son genre, ont mis une énorme intensité dans leurs réponses.
Le contexte, expliqué par le ministère de la Culture. La cathédrale Saint-Maurice d’Angers dispose d’un portail occidental sculpté datant du XIIe siècle, qui était protégé par une galerie construite dans le premier tiers du XIIIe siècle, démolie en 1807. En 2009, des travaux de nettoyage du portail ont révélé des vestiges de polychromies médiévales et modernes qui ont fait l’objet d’une ambitieuse campagne d’études puis d’une restauration exemplaire conduites par la direction régionale des affaires culturelles (DRAC) des Pays de la Loire. Ce portail apparaît désormais comme un des rares témoignages de la polychromie des cathédrales au Moyen Age.
L’objet du concours était donc la construction d’une nouvelle protection pérenne permettant de préserver durablement cet ensemble exceptionnel.
C’est le mystère et la difficulté d’un tel programme qui ont intrigué et poussé ces agences à s’engager corps et âme dans ce projet diabolique. « Un honneur », dit l’un d’eux. Parmi les contraintes, compter un parvis en pente, riche de reliques archéologiques qui affleurent ; autant éviter de creuser donc pour s’éviter de fastidieuses fouilles. Une structure autoportante ? Compter encore des contraintes hydrométriques et hydrologiques draconiennes pour protéger la polychromie et l’impossibilité de s’accrocher à la façade. Considérer encore l’échelle du projet : le volume d’accès fait 11 m de haut, soit R+3, mais il s’inscrit dans l’élancement de la cathédrale, « un ouvrage d’une verticalité et d’une puissance incroyable ». Il fallait encore protéger ces précieuses polychromies du vent, de la pluie, de la poussière, du soleil et pouvoir fermer le tout afin que l’ouvrage ne devienne pas un repaire de clochards à la nuit tombée.
Plus encore que ces contraintes, c’était l’occasion pour tous de se confronter à un « autre monde », « le monde gothique, médiéval, qui nous est étranger », et chacun d’engager l’agence sur ce chemin périlleux, « d’une difficulté inouïe ». Et à la fin, c’est Kengo Kuma qui gagne ? Ce résultat donne vraiment le sentiment désespérant de la France qui perd. Etonnant d’ailleurs que l’architecte nippon soit pour commencer retenu dans cette sélection. Ce n’est pas comme si, pour leurs temples fameux, les Japonais demandaient aux architectes français ce qu’ils en pensent.
Certes le maire d’Angers, Christophe Béchu, rêve de sa ville en métropole internationale, d’où sans doute l’étrange mâchoire de Steven Holl et ses molaires face au château, un musée des collectionneurs qui ne laisse pas d’étonner. Pour rivaliser, il fallait peut-être que ce projet à 2M€ soit international et qu’à la fin se soit Kengo Kuma qui gagne. Un architecte à la dimension du maire ? Le jury, composé notamment du maire, de l’évêque, etc. et de quelques sachants*, a certes étudié des documents anonymes, comme il se doit.
Le concours a offert deux familles de projets. Ceux de Rudy Ricciotti et de Philippe Prost, quelque peu similaires, s’appuient sur un parti pris technique contemporain et de pointe mais tout en retenue dans l’expression, ce qui leur permet de s’inscrire dans l’échelle de la cathédrale et du portail, de ne pas la brusquer, de souligner ses traits. L’exploit technique est invisible et rend grâce aux innovations que la construction de la cathédrale elle-même a suscitées au fil des siècles. Tous les deux parlent de « défis techniques extrêmes ».
De cette sédimentation de l’histoire, les projets de Bernard Desmoulin et Pierre-Louis Faloci proposent une approche disons muséale, transformant la notion de protection préventive en entrée, en sas, en entre-deux entre intérieur et extérieur. Le premier exprime avec franchise « une modernité respectueuse », le second propose « une esthétique de la disparition ». Il s’agit-là d’une autre façon d’interpréter les contraintes mais avec un geste plus spectaculaire, manquant peut-être de simplicité mais cohérent en regards des demandes explicites du programme. D’ailleurs Pierre-Louis Faloci est le seul à avoir joué la carte de l’immatérialité et, dans ses images, à proposer une vue lors de la sortie de la cathédrale. Le seul encore à évoquer « l’apesanteur » et un « festival de lumières en lien avec l’orgue de la cathédrale ».
Et puis, dernière famille, la galerie de Kengo Kuma, une « construction contemporaine » qui selon le ministère de la Culture « répond parfaitement aux attendus du concours [et] s’intègre harmonieusement à un bâtiment patrimonial majeur et plus largement à son contexte urbain, tout en assurant la protection du portail de la cathédrale et de ses polychromies anciennes ».
A l’issue des premières délibérations du jury, ne restaient plus que deux projets en lice, celui de Kengo Kuma et celui de Rudy Ricciotti. Le projet de Kengo Kuma a ses mérites, dont la stylisation des arcades sans doute, mais il semble laisser des enjeux sans réponse, notamment la contrainte de fermeture, (même si elle est envisagée sur les plans, elle n’apparaît pas sur les perspectives) et la mise en œuvre – béton préfa sur structure acier – de son projet.
Rudy Ricciotti pour sa part a poussé très loin sa maîtrise du BFUP dans un « geste simple » avec des arches de 4 cm d’épaisseur, « des feuilles de béton assemblées les unes sur les autres, en écho au tympan ». Il invoque « des motifs organiques, des raisons plastiques et scientifiques ».
Il n’y a pas eu photo : deux voix pour Ricciotti, toutes les autres pour Kuma.
Le maire, si même il souhaitait ardemment la victoire du Japonais, ne compte que pour une seule voix. Ce n’est pas l’évêque qui allait faire la différence entre les écritures ou prouesses architecturales. Il est clair dans ces cas-là que, entre le maire, l’évêque et le préfet, un compromis consensuel permet d’éviter les querelles intestines, d’autant qu’en l’occurrence, tout le monde semble content du résultat… Et si en prime Roselyne Bachelot, ministre de la Culture et angevine, qui s’est déplacée sur le site en compagnie du maire, est ravie…
En réalité ce concours témoigne de la grande difficulté qu’il y a à s’approcher de tels monuments, dont cette cathédrale Saint-Maurice en partie millénaire. En fait d’audace, parmi les cinq projets, celui de Kengo Kuma, pas loin du pastiche, proche du décor – « un projet kitsch », disent les mauvaises langues – est dans un sens le plus facile à comprendre pour des non-sachants, celui qui, un peu mou mais confortable, demande le moins d’effort intellectuel pour l’appréhender. Si le mystère a disparu, c’est logiquement aussi le projet qui, de leur vivant, sera le plus facile à justifier et marketer auprès de ses administrés pour l’un, de son troupeau pour l’autre.
Et c’est parti pour 700 ans.
Christophe Leray
*Pour se faire sa propre opinion, découvrir ces projets qui leur tenaient tant à cœur :
Le projet Rudy Ricciotti
Le projet Philippe Prost
Le projet Bernard Desmoulin
Le projet Pierre-Louis Faloci
*Le jury, selon le communiqué du ministère de la Culture était composé du préfet du Maine-et-Loire, du maire d’Angers, de l’évêque d’Angers, du directeur régional des affaires culturelles des Pays de la Loire, de la directrice de l’Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture (OPPIC), d’un représentant de la direction générale des patrimoines du ministère de la Culture et de personnalités qualifiées, architectes et historienne de l’art médiéval