Vous connaissez l’histoire du concours Balard, comment il est né, comment il est mort-né ? Il est permis aujourd’hui encore d’évaluer le travail des prétendants : comment ils ont gagné, combien d’autres ont perdu. Sauf que le programme, engoncé et sans espoir, n’était pas à la hauteur des enjeux urbains. Fais pas ci, fais pas ça ! Les architectes n’en pouvaient mais.
Les vainqueurs donc. ANMA Nicolas Michelin, Jean-Michel Wilmotte, 2/3/4.
Des trois groupes finalistes – Bouygues, Eiffage, Vinci -, le premier avait le meilleur projet : un BIG project pour ANMA ; la parcelle est, signée 2/3/4, ouverte et aérée rendant grâce aux «origamis» de Nicolas Michelin ; la corne ouest pour Wilmotte – Chipperfield or Chippendale ? – lequel rend compte d’une «filiation» (sic) à ANMA.
Rendons grâce ici à l’intelligence de Bouygues qui avait d’emblée prévenu ses trois champions qu’ils seraient tous retenus, dans l’ordre, aux phases ultimes, quel que soit le vainqueur. Au final, un projet global offrant trois projets d’architectes. Ses qualités et défauts doivent être critiqués mais la démarche est cohérente et le résultat plus riche. Ces trois là ont gagné ensemble. Bouygues vainqueur par KO.
Perdants aux points, Eiffage et Vinci avaient leur champion désigné.
Dominique Perrault (DPA) s’est entêté avec un infiniment trop long «serpentin».
L’une des contraintes du programme était de s’inscrire avec l’immeuble préservé d’Auguste Perret. DPA trop respectueux du maître et de l’histoire ? Seule cette agence s’est obstinée à préserver le bassin de giration, devenu une représentation de la mémoire du lieu.
DPA avait pourtant la meilleure idée concernant l’entrée du ministère. Bien entendu, les trois candidats l’avaient prévue ‘monumentale’. L’«origami» d’ANMA et le square de Foster, pourquoi pas ? Mais tous deux l’ont inscrit sur le boulevard des Maréchaux.
Dominique Perrault, lui, a installé son entrée sur une nouvelle rue, prévue au programme et ouvrant sur Issy-les-Moulieaux, qu’il imagina pour l’occasion en large avenue de prestige, offrant toute la place nécessaire aux entrées protocolaires ‘in style’ (comme dirait Obama).
Dans le projet ANMA lauréat, dès que le sous-secrétaire du sous-secrétaire d’Etat d’une république bananière voudra déposer un pli, il faudra bloquer la circulation sur le boulevard des Maréchaux. Bonjour les embouteillages et les motards nerveux. Et attendez encore les Salons de l’agriculture ou de l’auto, entre autres, sans parler de la future tour Triangle.
DPA avait donc trouvé l’entrée. Mais le serpentin et le bassin entêtés et les longs, longs couloirs furent rédhibitoires aux yeux du jury. Occasion ratée.
Quant à Foster, de pire en pire de la phase 1 à la phase 3. Si l’architecte noble essaye de parler de Paris en phase 1, il évoque Minsk en phase 3. A travailler trop avec les dictatures…
Nicolas Michelin, lors de la présentation de l’exposition à la presse, a très bien expliqué son projet. Il parle de bâtiment furtif ; que ne sait-il des porte-avions trop courts mais il est vrai que du périph, c’est lui qui offre la plus belle échappée (l’Institut du judo lui en sait gré).
L’architecte explique que les trois émergences – des cheminées à ce jour sujettes à interprétation du PLU – symbolisent les trois armes – air, mer, terre – «entourant le bureau du ministre». Une circulation astucieuse et le Pentagone à la française est un hexagone.
La référence à Vauban ne nous rajeunit pas – pourquoi pas l’oppidum quand nous y sommes ? – mais bon, ANMA&Co n’a pas volé sa victoire.
Alors pourquoi les neuf singes ?
Tout le monde se souvient des chiffres ahurissants : les m², les PPP, les milliards, les années, les pertes et profits, etc.
En d’autres mots, pour le gouvernement autant que pour le maire de Paris, voici cette excellente armée et cet excellent projet de Pentagone l’occasion rêvée d’édifier des symboles majeurs de la vitalité de la France et de Paris et/ou inversement.
Qui pourrait alors, dans quel pays, imaginer programme aussi blindé ?
Plus de 37m de hauteur (avec le ‘skyline’ d’Issy-les-Moulineaux en arrière-plan) ? INTERDIT !
Déplacer le ‘jardin’ de la corne ouest, pour créer façades sur rue par exemple, avec un grand jardin intérieur ? INTERDIT !
Créer de l’urbain, un vrai quartier, sur la corne ouest en bord de Seine pour ces professionnels de haut vol ? INTERDIT !
Sur cet immense foncier, intra-muros s’il vous plaît, introduire une vraie mixité et, toute sécurité gardée, partager ce nouveau quartier avec les Parisiens et Officiers en résidence ? INTERDIT !
Les architectes ne sont pas des alchimistes.
Il suffit de regarder les neufs projets d’origine pour s’en convaincre. Tous crient que le corset soit moins serré, un peu au moins. Sans que nul apparemment ne souhaite entendre raison. Dans ces conditions, ce qui sera sera.
Ils étaient donc au départ neuf marionnettes pendues au fil d’un programme étriqué et triste conçu en double-peau de chagrin d’où toute souplesse et imagination était d’emblée exclue.
Finalement, Foster a raison. Ici Minsk !
Alors, peut-être qu’au fond, dans ces conditions, ANMA&Co. nous en tire bien.
BIG et Chipperfield seront flattés.
Christophe Leray
Cet article est paru en première publication sur Le Courrier de l’Architecte le 8 juin 2011