
À Londres, le Serpentine Pavilion 2025 accueille du 6 juin au 26 octobre 2025, une œuvre de l’architecte bangladaise Marina Tabassum (MTA) intitulée A Capsule in Time et inspirée des parcs estivaux et des jardins voûtés qui filtrent la lumière du jour à travers le feuillage. Bucolique ?
Depuis l’année 2000, la Serpentine Gallery, installée à Kensington Gardens depuis 1970 dans un ancien pavillon de thé néoclassique des années ‘30 (1) passe commande chaque année d’un pavillon d’été éphémère – de juin à octobre – à un architecte renommé (2) n’ayant jamais construit au Royaume-Uni.
Ces structures temporaires sont le plus souvent peu ou pas du tout fermées mais au contraire ouvertes au paysage – nous sommes dans un jardin anglais – et l’évènement est devenu incontournable dans le monde de l’architecture. L’architecte est invité à proposer une œuvre nouvelle, pensée pour le lieu.
Certains éphémères vivent une autre vie, comme Le Pavillon de Barcelone de Mies van der Rohe, conçu en 1929 pour l’Exposition Universelle, démonté à la fin de l’exposition, mais reconstruit en ‘86 à son emplacement d’origine… Comme le pavillon de Gehry, bois et verre, conçu en 2008 pour la Serpentine, reconstruit au Château Lacoste.
C’est en janvier 2018 que je rencontre Marina Tabassum, architecte bangladaise invitée à la Cité de l’Architecture à Paris pour présenter sa mosquée Bait Ur Rouf, à Dhaka. Auréolée du Aga Khan Award for Architecture 2016, elle raconte très simplement son pays, la guerre, l’indépendance, la géologie et le climat subtropical : « a water scape more than a land scape » (un paysage aquatique plus qu’un paysage) – une négociation permanente entre l’eau et la terre – l’eau devient terre en période sèche. De la vase, de la boue avec laquelle sont fabriquées des briques, le plus souvent à la main. Elle y voit, dit-elle, « beaucoup d’imperfections mais il faut honorer cela, célébrer le travail manuel ». Le climat, l’envahissement par les eaux, la migration permanente des gens chaque année vers des terres habitables… Pour eux elle conçoit un habitat d’urgence, démontable, sur pilotis pour habiter en hauteur. La vie tout simplement…
Puis la belle histoire de la mosquée, du terrain familial et de la commande passée par sa grand-mère. Forcément perfusée à l’esthétique Louis Kahn, dont elle dit qu’il fut sa référence pour la lumière et « le retour au commencement (3) » ; elle a sous les yeux le Parlement, un complexe juridique de 840 000 m² (4) à Dhaka qui comprend aussi une mosquée.

Karim Basbous, essayiste et professeur d’architecture raconte sa visite à la mosquée de Tabassum : « ce coffre horizontal tout de briques, à l’allure tranquille et solennelle, posé sur un socle, jouxtant un immeuble résidentiel qui le surplombe… le dôme qui s’est absenté mais a laissé son empreinte sur le plan », comme d’ailleurs la mosquée de Kahn.
La mosquée devait être en lisière de la ville. Mais les terres cultivables deviennent des zones urbaines. Entre cette conférence en 2018 et aujourd’hui en 2025, l’aire métropolitaine de Dhaka est passée de 16 à 20 millions d’habitants.
L’architecte racontait l’humidité et la nécessité de respirer qui commandent tous les projets au Bangladesh. « En Europe vous devez fermer, nous devons maintenir l’espace ouvert, le travailler, faire l’extérieur dans l’intérieur », expliquait-elle. C’est la notion du pavillon où espaces ouverts et fermés se confondent.
L’image suivante de cette conférence représentait un coffre composé de quatre volumes voûtés en briques, au cœur d’une nature luxuriante – un projet alors en construction – l’ancêtre ou la genèse de la Capsule in Time présentée à Londres. Une mise en situation du mantra « créer de l’ordre dans le chaos, regarder vers l’intérieur plutôt qu’à l’extérieur ».
La Capsule du Temps londonienne, sa jumelle, porte bien son nom puisqu’elle a traversé le temps et les continents. Une structure mixte bois lamellé-collé et acier – l’acier invisible mais assurant la solidité et permettant d’assembler quatre volumes modulaires, facilement démontables, dont trois fixes et un coulissant. Ancrées dans la nature, les façades sont constituées de panneaux en altuglas translucide et coloré en accordéon, d’ambre, ocre, brun à jaune.
À l’exact centre un arbre de trois mètres de haut environ est planté. Un ginkgo, arbre ultra-symbolique, qui incarne les changements de saisons par les changements de couleur de ses feuilles et, plus gravement, la survie – il est le seul arbre ayant survécu à l’atome d’Hiroshima.
Il est précisé qu’à l’issue de la présentation à la Serpentine l’arbre sera replanté ailleurs, en signe et en hommage de sa mémoire.
Comme A Capsule in Time, qui aura traversé les continents, abandonné la brique si porteuse d’humanité pour se parer de polycarbonate. S’agit-il d’un hommage à l’effervescence de l’architecture contemporaine londonienne et à son incroyable diversité ? Ou encore une référence à la merveilleuse Palm House de Kew Garden, icône architecturale dont la structure en fer forgé et verre évoque la coque inversée d’un navire, une prouesse technique de l’ère victorienne ? Ou peut-être, une centaine d’années plus tard, d’un clin d’œil au mythique Crystal Palace, fonte, verre et bois, hélas disparu ?

Tina Bloch
(1) Depuis 2013, un second espace a été ouvert dans un ancien arsenal royal, de l’autre côté du Serpentine bridge.
(2) Rem Koolhaas + Cecil Balmond 2006, Peter Zumthor en 2011, Sou Fujimoto en 2013, Francis Kéré en 2017.
(3) « You can’t begin with what exists. You must begin with the beginning ». Louis Kahn, conférence à l’Architectural Association de Londres (1971)
(4) Le Jatiya Sangsad Bhaban a été intégralement conçu par Kahn, y compris les pelouses, le lac artificiel et les résidences pour les membres du parlement