De constater à nouveau que, concernant le logement, voire l’écologie, sans doctrine de l’État, c’est la foire d’empoigne dans les fiefs de province.
En effet, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise (Val-d’Oise), dans un arrêt rendu le 14 avril 2023 et révélé le 9 juin, a annulé la modification n°4 du PLU de Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine) portant sur le périmètre de la cité-jardin de la Butte Rouge. Un détail sans doute et un jugement technique qui ne change rien au fond de l’affaire mais donne du courage aux requérants ! Patrimoine ?
Un peu d’histoire
Après la 1ère guerre mondiale, Henri Sellier, maire de Suresnes et président de l’office départemental des habitations à bon marché de la Seine, prévoit la construction de 21 cités-jardins. Modèle historique d’urbanisme social humaniste, celle de la Butte Rouge est construite en trois grandes étapes, entre 1931 et 1965 et figure parmi les plus grandes opérations Sellier. Elle accueille dans un écrin de verdure près de 4 000 logements sur 70 hectares.
En 2012, la mairie de Châtenay-Malabry dessine, à l’aide du PLU, sa nouvelle ville : plus diverse, plus fonctionnelle, plus dynamique, selon le document plusieurs fois amendé depuis. La ville résidentielle de banlieue parisienne, à quelques encablures d’Antony et du plateau de Saclay, souhaite avec ses petites sœurs du Plessis-Robinson et Sceaux devenir un pôle économique. Au moins un pôle…
Or la cité-jardin est un problème, le logement social en général est un problème. Il compose 56% des logements de la ville, et La Butte Rouge accueille 1/3 des habitants de Châtenay-Malabry, soit 10 000 personnes, avec un revenu moyen de 13 000 euros/annuel et, que du logement social en PLAI…*
D’où l’idée tentante pour la mairie de transformer une cité-jardin historique en écoquartier contemporain, les promoteurs ayant plein d’idées pour développer ce site exceptionnel, durablement cela va sans dire. La gentrification, et les impôts locaux afférents, n’est-elle pas le sens de l’histoire ?
Des grincheux, regroupés au sein du Collectif Citoyen Châtenaisien (CCC)** et peu convaincus des arguments du projet porté par l’établissement public territorial Vallée Sud-Grand Paris avec le soutien de l’équipe municipale de Châtenay-Malabry, mènent la lutte contre la destruction de la cité, une sorte de guerre des tranchées qui dure depuis au moins une décennie.
Une partie des immeubles de la Butte rouge est d’ores et déjà murée, d’autres immeubles sont à moitié vides. Bonjour l’ambiance ! À ce compte-là, nombre d’habitants ne sont pas loin de la résignation ; ils devront partir alors que tout ce qu’ils voulaient était une mise aux normes de l’électricité et améliorer l’isolation phonique. Pourquoi démolir, surtout aujourd’hui à l’heure d’enjeux carbonés, des bâtiments structurellement viables ? Pour mettre à la place, avec 30% de densité en plus et les impôts afférents, des bâtiments en bois aux façades végétalisées ?
Recours gagnant
Jusqu’à ce recours qui, au printemps 2023, se révèle gagnant. « Le projet de modification n°4 du PLU autorisait la destruction de 85 % de la cité-jardin de la Butte Rouge, la perte nette de 1 600 logements sociaux et la délocalisation non choisie d’autant de familles, dans un objectif et de promotion immobilière privée et de densification », explique le Collectif. Pour un projet de cette dimension, une simple modification du PLU n’était pas suffisante, une révision s’imposait a estimé la cour. Les juristes apprécieront la nuance.
Le jugement du tribunal administratif dans son article 1er est explicite. « La délibération du 18 mars 2021 par laquelle le conseil de l’établissement public territorial Vallée Sud-Grand Paris a approuvé la modification n°4 du plan local d’urbanisme de la commune de Châtenay-Malabry est annulée », indique la cour
Plus précisément, le jugement en substance indique que l’exposé des motifs patrimoniaux et urbanistiques manque singulièrement de cohérence. Certains immeubles des secteurs bénéficient d’une « protection patrimoniale stricte » ou d’une « protection patrimoniale forte » autorisant des « extensions et surélévations », tandis que d’autres sont voués à la démolition avec ou sans reconstruction. C’est selon le côté de la rue ! Quand c’est flou…
Plus étonnant, ce rapport de présentation n’a pas été complété « au titre du 3° de l’article R. 151-1 du code de l’urbanisme pour analyser les incidences et les effets attendus de ces modifications, notamment sur l’évolution démographique, l’offre de logements, le bâti et les espaces naturels remarquables de ce quartier, qui constitue un secteur historiquement et démographiquement important à l’échelle communale ». Le code de l’urbanisme, les promoteurs du projet de démolition n’y avaient pas pensé !
Il s’ensuit que « le rapport de présentation méconnaît les prescriptions des articles R.
351-1 et R. 352-2 du code de l’urbanisme. Compte tenu de la nature et de l’ampleur des lacunes relevées ci-dessus, ce vice de forme entache d’illégalité l’ensemble de la délibération attaquée ».
D’amples lacunes ? La cour ne dit pas lesquelles ni où elles sont… Vite un audit à la mairie de Châtenay-Malabry
« L’équipe municipale s’est obstinée à vouloir vendre les terrains à la découpe après destruction des bâtiments, malgré les alertes répétées sur les lacunes de son dossier. La mairie de Châtenay-Malabry et Vallée Sud-Grand Paris n’ont respecté ni les procédures ni la législation en vigueur », dénoncent le CCC et les associations Sauvons la Butte Rouge et l’Association Châtenay Patrimoine Environnement, tous se voyant dédommagés de leurs frais de justice.
Bref, à vouloir aller trop vite et prendre des raccourcis non balisés par la loi, le maire se retrouve Gros-Jean comme devant et, deux ans plus tard, tout est à refaire.
D’autant que les mauvaises nouvelles s’accumulent. Après tout le ramdam dans la presse, le ministère de la Culture a finalement exigé un classement ‘Site remarquable’, lequel est en cours. Le courrier adressé en décembre 2022*** au Président de la République par Pablo Katz, président de l’Académie d’Architecture, Fabien Gantois, président du Conseil Régional de l’Ordre des Architectes de l’IDF, et Hugo Franck, président du Syndicat de l’Architecture, aurait-il participé à cet heureux dénouement ?
Il est vrai que ces hommes de l’art faisaient remarquer à celui qui avait expliqué que son second quinquennat « sera écologique ou ne sera pas » que « les enjeux écologiques et énergétiques doivent l’emporter sur les visions de court terme » et dénonçaient eux-aussi à la Butte rouge « une démarche régressive des administrateurs locaux autorisant la démolition à grande échelle d’un patrimoine exemplaire, et allant à contre-courant d’un grand nombre d’opérations contemporaines de réhabilitation, d’hybridation ou de transformation, seules adaptées aux enjeux de notre époque ». Tout de suite les grands mots…
La mairie de Châtenay-Malabry propose certes désormais un « périmètre » de classement remarquable mais il ne réjouit personne et ne règle pas le problème de fond. Manque-t-on oui ou non de logements sociaux ? Est-il pertinent de démolir ceux qui, tels ceux de la Butte rouge, existent déjà ? Comment poser la question de la densité ? Quel avenir pour la ville ? Ce sont des questions légitimes pour un édile mais, en l’occurrence, la méthode employée pour y répondre semble aujourd’hui anachronique et montrer autant un manque d’imagination qu’une volonté butée.
Pourtant sur l’île Seguin à Boulogne-Billancourt, même si là aussi il a fallu une décade, en février 2023, le maire, les promoteurs et les associations ont fini par se mettre d’accord.**** Il semble cependant que, là et ailleurs dans le pays – je pense au Mirail à Toulouse***** par exemple qui pose des problématiques similaires – dans un État de droit comme le nôtre, nul ne sait faire l’économie de ces batailles juridiques pour dénouer les guerres picrocholines dont la France a le secret et qui ne coûtent ni ne font perdre de temps à personne. Vive l’intelligence artificielle pour remplacer l’incompétence et/ou le cynisme de potentats locaux.
À Châtenay-Malabry, une petite victoire pour vice de forme au tribunal administratif de Cergy-Pontoise ne présage donc en rien de l’avenir de la Butte rouge et ne suffira pas à ce jour à protéger la cité-jardin imaginée par Henry Sellier. Le Collectif Citoyen Châtenaisien demande l’abandon pur et simple de ce projet démolitions / reconstructions et l’engagement d’un plan d’urgence de réhabilitation globale. Ce n’est pas gagné car, tant qu’il agira désormais dans le cadre de la loi, c’est ce qui en substance ressort du jugement, le maire et son équipe sont fondés à poursuivre leur projet.
Pendant ce temps-là, sans cap clair fixé par l’Etat inconséquent, il faut un peu partout dans les villages attendre la fin de la foire d’empoigne pour compter les bouses.
Christophe Leray
* Lire notre article La Butte Rouge : d’un grand Paris social au grand Paris immobilier
** Le Collectif Citoyen Chatenaisien (CCC) est une association réunissant des citoyens de tous horizons impliqués dans la vie locale, soutenue par les partis de gauche et écologistes. Son objectif est de mettre en œuvre des actions engageant une véritable transition écologique, développant la démocratie locale, et renforçant les solidarités. Ayant recueilli 35% des suffrages, il dispose de six élus au Conseil municipal de Châtenay-Malabry.
*** Lire Lettre ouverte : Non à la démolition de la cité-jardin de la Butte Rouge
**** Lire Île Seguin : un compromis permet une sortie du tunnel
***** Lire Lettre ouverte à Rima Abdul Malak – Au Mirail, à Toulouse : le gâchis !