Il était une fois, un idéal social. Un idéal qui voulait que chaque ouvrier puisse bénéficier d’un logement décent entouré de verdure, de culture et de services. Un idéal pour une population ouvrière qui aspirait à un loyer modeste car ne pouvant accéder au marché privé. C’est l’histoire encore aujourd’hui de la Butte Rouge de Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine).
Après la 1ère guerre mondiale, Henri Sellier, maire de Suresnes et président de l’office départemental des habitations à bon marché de la Seine, prévoit la construction de 21 cités-jardins. Dans l’entre-deux-guerres, 15 seront finalement construites. Les cités-jardins préfigurent l’idée du Grand Paris de Sellier : un grand Paris social, ouvrier et vert.
La cité-jardin de la Butte Rouge de Châtenay-Malabry figure parmi les grandes opérations de Sellier. Construite en trois grandes étapes, entre 1931 et 1965, elle accueille près 4 000 logements sur 70 hectares, dans un écrin de verdure et avec une qualité urbaine et paysagère laissant place à la promenade, avec l’aménagement d’un cheminement fluide entre les constructions, les places, et les jardins ouvriers bien entretenus.
Entre 1931 et 1940, Joseph Bassompierre, Paul de Rutté, André Arfvidson et le paysagiste André Riousse lancent la première tranche. Paul Sirvin remplace Arfvidson à sa mort en 1935. La Butte Rouge est la plus grande des cités-jardins construites et un des premiers écoquartiers du Grand Paris, avec son paysage de verdure, sa gestion des eaux de pluie et la valorisation des ordures ménagères via une chaufferie qui alimentait la piscine.
Après la seconde guerre mondiale, une deuxième phase est réalisée entre 1949 et 1950 puis une dernière entre 1960 et 1965, avec des immeubles collectifs répondant à la logique des grands ensembles, sans pour autant sacrifier à la qualité de l’ordonnancement général laissé par les premiers architectes, et en gardant une densité respectueuse des premiers aménagements.
La Butte rouge est ainsi un parfait condensé de l’histoire du logement social en France, de la brique au béton armé, du petit collectif de 2 à 3 étages aux longues barres des années 60.
Vieillissant tant bien que mal, comme toute construction, la cité de Butte Rouge connaît une première réhabilitation entre 1984 et 1994 menée par son nouveau propriétaire, l’OPH des Hauts-de-Seine. Depuis plus rien… jusqu’en 2012.
Un concours, trois projets, un an et demi de rencontres pour rien.
En 2012, la mairie de Chatenay-Malabry dessine, à l’aide du PLU, sa nouvelle ville : plus diverse, plus fonctionnelle, plus dynamique, selon le document plusieurs fois amendé depuis. La ville résidentielle de banlieue parisienne veut devenir un pôle économique avec ses petites sœurs du Plessis-Robinson, de Sceaux, à quelques encablures d’Antony et du plateau de Saclay.
Or la cité-jardin est un problème, le logement social en général est un problème. Il compose 56% des logements sociaux de la ville, et La Butte Rouge accueille 1/3 des habitants de Châtenay-Malabry, soit 10 000 personnes, avec un revenu moyen de 13 000 euros/annuel et, que du logement social en PLAI…
C’est pourtant oublier que les gens y sont biens, heureux, contents de leur qualité de vie. Ils évoquent les problèmes d’isolation phonique mais aiment leur logement. Pas d’exiguïté outre mesure, bien que les standards aient évolué. Rien qu’une réhabilitation ne saurait préserver. La couture urbaine qui veut désenclaver le quartier et le remettre dans la ville se fera, mais comment ?
En 2015, l’OPH des Hauts-de-Seine, alors encore propriétaire de lieux, lance un dialogue compétitif pour le renouvellement urbain de la Butte Rouge. Trois équipes sont désignées pour élaborer des propositions, les acteurs du territoire – l’OPH, Citallios, la SEM92 et la Mairie – sont mobilisés. Il faut recoudre le territoire. La cité-jardin n’est pas isolée mais l’avenue du général Leclerc, qui voit son projet de ligne de tram approuvé, constitue une frontière qui enclave un peu le quartier.
Les projets élaborés durant plus d’un an se situent dans la continuité urbaine et historique du quartier, qui a évolué sur ses 36 ans de construction, et aussi dans la dynamique d’un territoire plus vaste, celui du Grand Paris.
L’agence GRAAL (Carlo Grispello et Nadine Lebeau) travaille avec Paola Vigano sur un projet qui construit des transepts à partir de l’avenue du général Leclerc, impulsant une dynamique économique et une mixité sociale avec des résidences étudiantes et intergénérationnelles. Les logements s’amplifient avec des doubles peaux pour s’adapter aux nouvelles conditions de vie. L’intervention respectueuse du patrimoine détruit peu mais réadapte aux enjeux métropolitains.
Simon Goddard et Claire Schorter, lauréats du dialogue compétitif, proposent également une réhabilitation douce du site avec une densification réinterprétant les logements de la Butte Rouge et avec un développement de mixité fonctionnelle visant à réintégrer le quartier dans la ville. L’idée est de construire la cité-jardin du XXIe siècle, avec comme préalable à l’opération la reconnaissance de ce patrimoine ouvrier exceptionnel.
Les projets présentés continuent l’histoire de la Butte Rouge, à laquelle les habitants sont attachés. Si les équipes n’ont pas ménagé leur énergie, ces projets n’auront pas de suite, laissant un goût amer à ceux qui s’étaient engagés.
Les associations, collectifs et architectes interrogés font état du même constat : Georges Siffredi, maire depuis 25 ans, ne veut plus de la Butte Rouge et de l’imaginaire social qui en est à l’origine. Du tout logement social, celui-ci veut un tiers en accession libre, un tiers en intermédiaire, et un tiers en social, espérant que la mixité se fera par ce biais. Ses détracteurs l’accusent en substance de vouloir faire de Châtenay-Malabry un nouveau Plessis-Robinson, de vouloir détruire une cité-jardin authentique pour construire une nouvelle ville pastiche, pauvre dans sa conception architecturale.
Sollicitées, la mairie de Châtenay-Malabry, ainsi que la DRAC et l’ANRU qui, elles aussi, se retrouvent dans la tourmente des événements, n’ont pas souhaité s’exprimer.
Toujours est-il que, ne souhaitant plus s’encombrer des projets de l’OPH 92, Georges Siffredi a transféré en janvier 2018 la propriété des logements sociaux de Chatenay-Malabry, dont ceux de la Butte Rouge, à la coopérative Bièvre Habitat. Réunissant le patrimoine d’Antony et Châtenay-Malabry, la coopérative atteint ainsi les 10 000 logements sociaux nécessaires pour rester dans les clous de la Loi ELAN. Le maire est alors libre de faire ce qu’il veut avec son patrimoine social. D’ailleurs celui de la Butte Rouge n’apparaît pas sur le site de la coopérative !
En janvier 2017, un accord-cadre est signé avec l’ANRU pour un îlot test de 300 logements, entre destruction et reconstruction. Mais, en surface, rien ne bouge. Depuis, les Châtenaisiens – et pas uniquement ceux de la Butte Rouge – sont mobilisés contre les velléités immobilières du maire. L’Ordre des architectes d’Ile-de-France est également mobilisé et suit le sujet. L’historien Jean-Louis Cohen est venu évoquer l’importance de ce patrimoine lors d’une conférence publique en avril dernier.
Pour ses défenseurs, une dernière tentative pour aider la Butte Rouge serait son classement. La commission ad hoc qui s’est réunie, en mai 2019 n’a pas rendu publique ses conclusions (à l’heure d’écrire ces lignes). Une nouvelle rencontre est prévue en juillet… toujours dans la plus grande opacité.
Pour résumer, personne n’est opposé à la réhabilitation et à l’évolution de la cité-jardin, mais pas au prix d’une destruction d’un site qui fait l’unanimité pour sa qualité de vie.
75 à 80% de la cité-jardin pourrait disparaître
Aujourd’hui, l’inquiétude est que 75-80% de la cité-jardin serait voué à disparaître. Une information destinée à se faire peur ? Pour autant, personne n’a vu un projet urbain et immobilier. Le maire multiplie les réunions publiques pour rassurer les habitants sur les relogements en cours. Cela permet aussi sans doute de rencontrer son électorat à un an à peine des élections municipales mais rien ne filtre sur le projet immobilier pour la Butte Rouge.
Toujours est-il que le maire, faisant apparemment ce qu’il entend de sa ville, semble vouloir construire toujours plus. Si les objectifs de territorialisation de logements dans sa commune prévoyaient de réaliser 900 logements entre 2015 et 2020, les chiffres sont dépassés en moins de deux ans. Aujourd’hui avec l’écoquartier LaVallée, mené par Eiffage Aménagement sur les anciens terrains de Centrale Supélec, ce sont 2 000 logements qui sont programmés sur 20 hectares. Le prix d’achat avoisine les 6 000 euros le m², alors que le prix moyen sur le reste de la commune est plutôt autour de 4 000€, encore bien loin des revenus des habitants de la Butte Rouge.
Au total, pas moins de 28 programmes immobiliers sont en cours de commercialisation sur Châtenay-Malabry. De quoi transformer, ne serait-ce qu’a minima, la population de Châtenay-Malabry.
Ah, et une dernière chose, Chatenay-Malabry est la ville la plus endettée des Hauts-de-Seine après Levallois-Perret…
Julie Roland