Cuba demeure pour moi une destination particulière depuis que, au cours de plusieurs voyages, j’ai dessiné deux projets pour deux destinations touristiques à l’est de La Havane. Chronique de l’architecte Jean-Pierre Heim.
Aux cours de ces voyages, j’ai découvert un Cuba préservé, encore à l’abri des meutes de touristes qui, un jour ou l’autre incontrôlées, détruiront ce paysage figé dans le temps où les voitures de collection américaines circulent encore, avec aujourd’hui des moteurs Toyota, où l’architecture des années ‘50 est magnifiquement présente, où musique et odeur de cigares émanent, inextinguibles, de tous les bars et restaurant de La Havane.
La belle au bois dormant
La Havane est une ville aux mille découvertes, l’architecture baroque mélangée avec l’architecture coloniale et celle des années ’50, années folles et américaines quand les hôtels de luxes et villas extraordinaires faisaient le plein de touristes au fil des bateaux de croisière dans une ambiance sulfureuse mais à la beauté magique.
Dans les rues et les ruelles, des maisons colorées abritent des terrains de boxes, des lieux de danse, des théâtres, des musiciens. Une culture vibrante cultivée au sein de maisons colorées éclectiques où la peinture se décolle des murs pelés par le soleil, où un bananier émerge d’une cour baroque avec des représentations sculpturales rongées par le temps et l’humidité.
La Havane vit de jour comme de nuit. Les femmes portent des habits irisés, dansent dans les bars au son des guitares et enchantent les touristes ébahis de tant d’originalité et de folklore. Une population fière où la mendicité n’existe pas. Surtout, une population instruite !
La culture au sens large est l’héritage le plus remarquable à Cuba de Fidel Castro qui a toujours attaché beaucoup d’importance à la culture et la santé. J’ai rencontré des hommes et des femmes polyglottes, férus d’histoire et de littérature, des médecins… Il y a beaucoup de médecins à Cuba…
D’une ancienne usine d’huile est née la Fábrica de Arte Cubano (FAC), un grand laboratoire de création interdisciplinaire mais l’art est massivement présent et jusque dans la rue l’expression artistique semble n’avoir pas de limites. Chaque immeuble a sa couleur, son identité, et ce tissu urbain dense vibre de génie créatif.
Les deux institutions immobilières les plus connues, forcément gouvernementales sont Cubanacan et islazul. Grâce à elles, j’ai pu pénétrer la richesse de ce patrimoine résidentiel, visiter ces villas attribuées avec baux emphytéotiques car la propriété n’existe pas pour les étrangers.
Il y a une grande hiérarchie administrative avec des rôles spécifiques pour la conservation des bâtiments historiques. Mais il faudra une grande conscience du patrimoine et surtout de la nécessaire préservation des sites avec des plans d’urbanisme prévus pour un tourisme de demain s’il doit rester quelque chose de cette culture exceptionnelle. Les grandes chaînes internationales d’hôtellerie sont sur la ligne de départ pour accaparer tôt ou tard cette terre vierge.
L’histoire c’est aussi le bras de fer de 1962 entre Nikita Kroutchev et John Kennedy après l’affaire de la baie des Cochons. Il y a un petit musée où subsistent encore les reliques de la guerre, objets rouillés tels des jouets mythiques de ‘dinky toys’. Plus sûrement, les digues en béton, construites pour assurer la protection contre une probable invasion américaine et aujourd’hui battues par les vagues, témoignent encore de ce que fut l’animosité entre les deux États.
Sinon, des plages de toute beauté sont encore préservées, les palétuviers et les mangroves longent les côtes. À l’ombre des palmiers, une famille de huit personnes loge dans une Chevrolet 1957 verte pour se mélanger dans une nature luxuriante. Sourires, musique et déjeuner ou la convivialité autour d’une radio mise à fond .
Cuba est une découverte constante d’images et d’impressions du passé qui défilent comme dans un ancien film devant la Sierra Maestra et de Pinar de Rio où la brise souffle dans les champs de tabac, où sèchent les feuilles devant les fabriques de cigares aux logos chargés d’histoire.
Les vaches, les bufflent dorment sur les routes, les bananiers et palmiers se dressent à l’infini dans un paysage cinématographique. C’est à bicyclette qu’il faut visiter et s’enfoncer dans des paysages magiques jusqu’à ce que la nature luxuriante en devienne presque oppressante puis retrouver une vallée, des lacs ou des chutes d’eau, autant de lieux qui deviennent des haltes de repos et, tel un musée hors du réel, point de rendez-vous d’anciennes voitures américaines garées dans une cacophonie de couleurs. La Cadillac Eldorado côtoie la Dodge, la Chevrolet une Buick…
Dessiner, prendre le temps d’imbiber cette culture figée dans le temps, fut un privilège que j’aurais aimé apprécier plus longtemps.
Jean-Pierre Heim, architecte
“Travelling is an Art”
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