Des boîtes d’acier et de verre aspirent les gens vers le ciel. Non, ce n’est pas un enlèvement extraterrestre. Non, des architectes sont responsables de cette aspiration ascensionnelle. Chronique d’Outre-Manche.
Une prolifération de galeries d’observation les fait se battre entre elles pour attirer le public vers les grands immeubles londoniens. Trois nouvelles plateformes en hauteur ont ainsi ouvert leurs portes rien qu’en 2022. La bataille a pris une tournure extraordinaire puisque le Shard de Renzo Piano n’offre plus le point d’observation public le plus élevé (bien qu’il reste le plus haut bâtiment du Royaume-Uni). Désormais, une nouvelle plateforme appelée Horizon 22 offre une vue d’un quart de kilomètre au-dessus du quartier financier historique de Londres, The City. Et la bataille pour la première place n’est peut-être pas terminée.
L’histoire de Londres en matière de conception architecturale de plateformes d’observation a commencé en 1677 avec « le Monument ». Robert Hooke, deuxième plus grand génie scientifique d’Angleterre après son rival acharné Isaac Newton, a collaboré avec Christopher Wren, l’architecte de la cathédrale Saint-Paul, pour commémorer le grand incendie de Londres et installer un télescope vertical à l’intérieur d’une colonne dorique. Il aurait pu mesurer la parallaxe des étoiles mais les vibrations de la rue étaient trop perturbatrices. Néanmoins, vous pouvez toujours monter les escaliers en colimaçon autour du puits du télescope jusqu’à une plateforme carrée à plus de 50 m au-dessus de la ville. C’est un bon endroit pour admirer le paysage des toits et admirer le quartier de gratte-ciel voisin, le plus haut et le plus dense d’Europe occidentale. C’est aussi l’épicentre de la bataille des plateformes d’observation.
Pour les Londoniens, les plateformes d’observation sont apparues alors que la modernité commençait à façonner l’horizon. Le dernier étage du Shell Center (1962), un solide bâtiment en pierre doté d’ailes (semblable au Bâtiment Moreland avant la rénovation de Chipperfield), d’une hauteur de 107 m, possédait une galerie publique ouverte donnant sur la rivière et Westminster.
Plus passionnante était la Tour Télécom (1965) conçue par des ingénieurs du ministère des Travaux publics. Cela ressemblait à la toile de fond d’une production de science-fiction à petit budget (ce qu’elle est rapidement devenue). Au cours de la première année, 1,5 million de personnes ont visité ses trois niveaux de galeries publiques, à partir de 145 m et, au-dessus d’eux, se trouvait le premier restaurant tournant au monde. La nourriture était horrible, même si ce n’est pas pour cela que l’Armée républicaine irlandaise (IRA) l’a bombardé en 1971. L’accès au public n’a jamais été rouvert. Étrangement, après les attentats de l’IRA à la City en 1982, la tour la plus haute de Londres, la Tower 42, a été restaurée avec un restaurant public au niveau 42.
Tout a changé en 2012 avec l’ouverture du Shard de Renzo Piano, haut de 305 m. Cette tour possède une entrée différente de chaque côté pour ses bureaux, hôtel, appartements. La quatrième entrée est destinée à The View, une galerie d’observation de trois étages offrant à 243 m de hauteur des vues tout simplement incroyables. La visite à The View coûte désormais 28 £ (environ 32€).
Les gratte-ciel ne peuvent pas aller plus haut que The Shard à Londres en raison des règles de contrôle du trafic aérien, mais cela n’a pas empêché Norman Foster de proposer quelque chose de la même hauteur en 2018. La conception comportait plusieurs galeries d’observation circulaires plus hautes que celles de The Shard et qui feraient également office de salles de classe. La Tulipe aurait côtoyé le Gherkin (2004) conçu par Foster Norman et s’élèverait comme une pure colonne s’élargissant en un sphéroïde elliptique, comme un spermatozoïde. Les visiteurs pouvaient monter au sommet sur des gondoles sphériques à l’extérieur. Le bâtiment n’a pas été construit.
Pendant ce temps, le ‘skyline’ de la ville s’est élevé de manière accélérée. En 2014, le gros, menaçant et tout en courbes « talkie-walkie » de Rafael Vinöly est rapidement devenu célèbre pour concentrer la lumière du soleil et allumer des incendies au niveau de la rue. Il dispose également du « Skygarden », ou jardin dans le ciel, une vaste serre en terrasse avec des plantations luxuriantes, des restaurants et un accès public gratuit à environ 150 m de hauteur. Pour le découvrir, il suffit de réserver.
Pourquoi donner un accès gratuit ? N’est-ce pas un gaspillage d’espace de bureau pouvant être loué, un risque pour la sécurité, le besoin d’un accès séparé augmentant les coûts de construction ? Certes, la restauration est une source de revenus mais un équipement public dans le ciel est une bonne façon de communiquer à propos de n’importe quel bâtiment et, surtout, il impressionne et séduit les jurys et comités de planification.
Pour autant, Les trois plateformes d’observation les plus récentes n’incluent même pas de restaurant. Depuis 2022, dans l’emblématique « Battersea Power Station », reconvertie en commerces et résidence de luxe par Wilkinson Eyre, un ascenseur en verre s’élève sur l’une de ses quatre cheminées emblématiques pour surgir à une hauteur de 109 m. Le trajet sur l’ascenseur 109 coûte 15,90 £ (Environ 18€).
Dans la City, vient par exemple d’être achevé un autre projet de Wilkinson Eyre, un gratte-ciel de boîtes empilées appelé 8 Bishopsgate. Son observatoire panoramique à 200 m est une pièce en forme de L dans une boîte vitrée. Pas de bar, pas de jardin, juste quelques places assises. C’est simple, calme, l’accès est libre et les vues sur trois côtés peuvent vous donner l’impression d’être un dieu. Mais au nord, la vue se porte sur la vie des employés de bureau derrière un mur de verre, encore plus haut.
Cette falaise de verre se trouve à quelques mètres seulement et appartient au 22 Bishopsgate, un monstre de 273 m de haut conçu par PLP qui se dresse parmi les autres gratte-ciel de la ville comme un géant parmi des petites gens. En septembre 2023 s’est ouvert Horizon 22, juste derrière et au-dessus de « The Lookout ». Au rez-de-chaussée, les deux disposent d’entrées sécurisées séparées par juste une ruelle. Public et gratuit, l’observatoire panoramique Horizon 22, à 254 m, est doté d’un plafond à 8,54 m de hauteur, ce qui rend le ciel particulièrement vaste. Cet avant-poste du paradis affiche complet pour les trois prochains mois.
Fin de l’histoire ? Pas nécessairement. Juste derrière le 22 Bishopsgate se trouve le site du 1 Under Shaft, où une demande de permis de construire révisée par d’Eric Parry Architects prévoie une tour encore plus haute. En 2029, elle pourrait remporter le titre de plateforme d’observation publique la plus haute de Londres, dont le Musée de Londres ferait également une ressource pédagogique.
Depuis ces galeries, nous pouvons observer les grands drames de la ville et du ciel et constater à quel point nous sommes insignifiants à l’échelle des choses. Soyons réalistes. Nous pouvons profiter de la vue depuis des loges en hauteur mais nous ne sommes pas des dieux au paradis.
Nous savons cependant qu’une relation plus étroite avec la nature est nécessaire pour l’avenir. La Ville dispose déjà de jardins sur les toits mais en général pas très hauts. Des terrasses de gratte-ciel publiques à hauteur intermédiaire, conçues comme des jardins riches en biodiversité qui purifient l’air de la ville et tempèrent le climat, voient le jour. Ils offrent festivités, tranquillité et vues.
Herbert Wright
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