Une manifestation quasi surnaturelle se produit quotidiennement rue Lepic où les touristes se retrouvent sans raison apparente, chaque jour, à la même heure, accompagné de leur guide. Mutation urbaine ?
On se souvient de la chronique du mois dernier,* où avait été évoquée la réaction des résidents du 54 rue Lepic à Montmartre, ces derniers, sans doute lassés d’entendre en dessous de chez eux la litanie récurrente des guides, approximatifs dans leur propos, et plus encore dans leur langue, à propos du quotidien montmartrois de Vincent Van Gogh pendant les quelques mois où il résida là.
Les résidents ont enlevé rageusement la plaque posée dans les années ‘50 par on ne sait plus quel service culturel de la ville de Paris.
Cependant, depuis le jour funeste de l’ablation de la plaque en cuivre signalant l’immeuble aux yeux des passants et des touristes, le phénomène d’attroupement n’a pas baissé d’une once, et les touristes s’y agglutinent toujours en nombre impressionnant.
Des Anglais, des Espagnols, des Italiens, des Russes, racolés par des guides improvisés ou professionnels qui profitent de l’histoire (somme toute très banale) de cet immeuble qui vit vivre notre vedette, sans doute quelques jours au cœur du XIXe siècle, lesquels guides en profitent pour réciter une leçon, fort appréciée des touristes, sur l’impressionnisme, la folie au cours de ce XIXe siècle ou l’ablation de l’oreille en haute Provence.
Sous le regard de l’entomologie urbaine, il s’agit d’une forme de résurgence d’un groupe attaché à un espace, similaire aux moules sur le bouchot où elles reviennent sans aucune raison apparente, mais qui néanmoins se déroule selon une régularité étonnante.
De même les touristes se retrouvent sans raison apparente, chaque jour, à la même heure, accompagné de leur guide. À moins que ce dernier ne les racole sur place, comme visiblement ce petit groupe de deux touristes anglais alpagués par un guide à l’accent rappelant Fernandel.
Il serait tentant d’évoquer le phénomène de génération spontanée comme les croyances anciennes de synthèse du fromage et de la poussière qui donnait naissance aux souris. Van Gogh et l’hypertourisme donnant naissance à des attroupements.
Le 54 rue Lepic étant beaucoup moins fréquenté que le Sacré-Cœur, le phénomène des vases communicants opère au profit des guides tendance Van Gogh.
À moins qu’il ne s’agisse d’un exemple frappant de mutation urbaine qui, nonobstant l’enlèvement de la plaque, crée la demande d’étanchement de la soif d’apprendre les histoires des peintres du XIXe siècle mâtinée de croustillantes histoires de suicide et découpage d’oreille.
Il serait bon de comprendre ce type de mutation urbaine afin de le rapprocher éventuellement des mutations nombreuses et violentes qui assaillent les services instructeurs des collectivités.
Lesquels se transforment doucement en contrôleurs techniques au service des statistiques des conditions d’obtention de permis de construire, leurs élus ayant seulement retenu de la résilience la communication électoraliste !
Y a-t-il là matière, comme les touristes de la rue Lepic, à une manifestation surnaturelle ou est-ce entré dans l’ordre des choses qu’on ne construit plus en France ?
Il s’agit en effet, soit de satisfaire aux exigences de leurs élus écolos qui veulent que rien ne bouge, soit d’éviter les frais engendrés par de nouveaux habitants : dix logements créent le besoin d’une classe alors que la disparition de la taxe foncière entraîne une perte financière importante.
Sans doute une réminiscence de la perpétuelle lutte du pouvoir central contre les pouvoirs locaux.
À moins qu’il ne s’agisse, comme le disait Jacques Chirac, d’un effet escadrille des merdes qui s’abattent sur la construction et sur la profession du BTP dont les architectes.
Crédit plus cher, augmentation des coûts de construction, RE 2020, ZAN (zéro artificialisation nette), loi Climat Résilience, suppression de la taxe d’habitation, tout concourt au blocage total de la construction en France.
Architectes, il est temps d’apprendre un nouveau métier : guide des rues à Montmartre.
François Scali
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