À Parramatta, non loin de Sidney, Manuelle Gautrand (avec Design Inc. – Sydney) a livré au printemps 2023, pour la commune maître d’ouvrage, Phive, un centre culturel unique en son genre, aux espaces secrets dédiés aux Aborigènes. Surface : 15 000 m². Coût de construction : 136 M$AUD (83 M€). Communiqué.
Le site à Parramatta
La commune de Parramatta fait partie du Grand Sydney : installée à l’ouest de la ville, à une trentaine de kilomètres du centre de Sydney, elle est un important quartier universitaire et de bureaux.
La Parramatta River traverse la commune avant de se jeter dans la baie de Sydney. Les terres qui y sont adjacentes ont été occupées pendant des milliers d’années par les peuples aborigènes des nations Wallumettagal et les clans Wangal, Toongagal, Burramattagal et Wategora du peuple Dharug.
Régulièrement les fouilles réalisées permettent de retrouver des traces très anciennes de vie et le chantier a fait l’objet de diagnostics précis et de fouilles avant la réalisation des sous-sols.
La commune de Parramatta a été fondée en 1788, en même temps que la ville de Sydney. Elle est en réalité la plus ancienne colonie européenne dans l’intérieur des terres, et donc la première à avoir accueilli la construction d’une église, la Saint John’s Anglican Cathedral, construite par les premiers immigrés venus d’Angleterre.
Le terrain du projet se situe au centre de la commune, à proximité de la cathédrale, non loin de la Parramata river. Il est bordé par un grand espace public de près de trois hectares « Parramatta Square », bordé au sud par la tour Sydney Water et à l’est, un peu plus loin, par le campus de l’Université Western Sydney.
Le développement urbain, tout autour du terrain est si rapide que la plupart des bâtiments autour de ce projet, des bâtiments commerciaux et de bureaux, ont été conçus et construits alors même que les études étaient déjà largement avancées.
Les deux architectures les plus anciennes du site sont l’ancien Hôtel de Ville sur lequel s’adosse le projet et qui fait partie du projet d’ensemble et, à proximité immédiate, la place du centenaire bordée par cette première église Australienne, cette Cathédrale Saint-Jean.
Le renouvellement urbain de Parramatta ne pouvait pas se faire sans être accompagné par un certain nombre d’équipements publics : la grande bibliothèque a ainsi été très rapidement inscrite comme une priorité pour assurer un renouvellement urbain équilibré, installant culture et loisir au cœur même de développements plus commerciaux.
« Bien plus qu’une bibliothèque municipale, Phive est un lieu de vie et de rencontre permanent pour les habitants », souligne Manuelle Gautrand. « En fait nous avons voulu proposer bien plus qu’une bibliothèque et ses programmes rattachés : la bibliothèque n’en est que le fil principal, comme un fil d’Ariane, sur lequel viennent se tisser de nombreux autres programmes, anticipés ou pas par la Ville. La bibliothèque est le prétexte à une promenade urbaine, à une expérience où chaque habitant peut trouver son bonheur », dit-elle.
Ainsi Phive réunit, autour de cette grande bibliothèque municipale, des lieux d’exposition et de rencontre, un espace dédié aux enfants, un petit théâtre, un café, des lieux de coworking et de réunions pour les habitants, eux-mêmes relié aux bureaux et salles de réunion destinés à certains des services de la Ville et aux élus, un fablalb et des ateliers, et la grande salle du conseil municipal.
Dans le cœur du bâtiment, et de manière presque secrète, se trouvent un certain nombre d’espaces qui ne sont pas ouverts à tous les publics ; ils sont uniquement destinés aux aborigènes, qui y trouvent ici un lieu de recueillement et de rencontre privé. C’est véritablement leur maison, où ils peuvent également conserver et exposer leurs objets précieux.
Suivre la course du soleil dans l’hémisphère sud… et en profiter pour créer un projet-amphithéâtre qui descend en cascade sur la place
Parramatta ne possède pas les règles urbaines que nous avons en Europe, qui sont souvent des règles issues d’un urbanisme séculaire, et d’une histoire qui force chaque projet à se frayer un chemin, le plus respectueux et délicat possible, au milieu d’un passé qui nous submerge souvent. Parramatta a au contraire la force d’un quartier en mouvement, habité par une population très jeune qui croît très rapidement, d’un quartier qui n’impose quasiment aucune des règles urbaines classiques avec lesquelles nous avons l’habitude de concevoir.
« En tant qu’architecte européenne, j’avais besoin de trouver des repères, et quelque part, il me fallait trouver des contraintes sur lesquels m’appuyer pour créer le projet. Ici, le pays est grand comme un continent, son histoire est à la fois vaste et puissante, et en réalité le site me paraissait aussi tellement vaste, et presque vide. Nous n’avions que la petite mairie, d’une belle architecture Victorienne, sur laquelle nous pouvions véritablement nous raccrocher », poursuit l’architecte.
Finalement, c’est un autre type de contrainte qui a interpellé l’agence : l’orientation et la course du soleil. Le terrain, ainsi que la petite mairie historique, sont longés au sud par la grande esplanade urbaine. Et les directives d’urbanisme comportaient comme quasiment seul conseil, celui de ne pas porter trop d’ombre à la grande esplanade, quelle que soit la période de l’année : une directive qui reliait le projet au soleil et à sa course tout au long de l’année.
Le volume du projet est sculpté par rapport à cette course du soleil. « Cela nous a permis ensuite de travailler en creux, à partir de ce volume issu de nos nombreux héliodons. La place est devenue un lieu que nous avons décidé de rendre ensoleillé sur la totalité de sa surface, quel que soit le jour de l’année. Ce n’est que quelques jours, autour du 21 juin, qu’une petite ombre se dessine dans le coin nord-est de l’esplanade, au droit de la façade », explique Manuelle Gautrand.
La fonction suit la forme, et la forme suit la fonction… cette bibliothèque en amphithéâtre géant permet une organisation intérieure d’une grande richesse d’espaces
Les différents niveaux de la bibliothèque sont organisés de telle sorte à des espaces de plus en plus calmes et studieux lorsqu’on monte dans le bâtiment. Les surfaces se cloisonnent progressivement et favorisent ainsi l’intimité et la recherche.
Une seconde organisation est également mise en place, cette fois-ci à l’horizontale et organisée de manière transversale entre les faces nord et sud, visant à ouvrir les espaces au fur et à mesure que l’on se rapproche de la façade sud. Ainsi, on trouve successivement du nord vers le sud les espaces techniques, puis les espaces servants, puis les salles et bureaux fermés, puis les rayonnages de livres, et enfin les espaces de lecture le long de la façade.
Le projet est extrêmement flexible et rigoureux : les salons et espaces fermés sont modulables pour être tour à tour des bureaux, des espaces dédiés aux chercheurs, des fablab, ou bien encore des salles de réunion. Les espaces dédiés aux rayonnages peuvent évoluer dans le temps, en s’accroissant ou en se réduisant. Les règles d’occupation sont simples et claires, ouvrant à toutes les mutations possibles, qu’elles soient temporaires ou supposées définitives.
Un grand amphithéâtre relie les deux niveaux principaux de la bibliothèque, créant un atrium monumental au milieu du volume. Il est orienté vers la place au sud, renforçant cette volonté de créer ce véritable théâtre urbain.
Le dernier niveau, tout aussi flexible que les précédents, est dédié aux « salles communautaires », c’est-à-dire aux élus et à leur rencontre avec les habitants. En lien avec ces espaces, on trouve la grande salle du conseil municipal, installée en porte-à-faux au-dessus de l’hôtel de ville existant. Elle possède un éclairement naturel sur trois de ses façades, renforçant son caractère de belvédère, ainsi que sa relation forte avec l’hôtel de ville existant en contrebas.
Au cœur du projet, des espaces de cérémonie et de conservation dédiés à la culture aborigène
L’histoire de la Ville est extrêmement riche et émouvante, le lieu de nombreuses migrations, et ce depuis des millénaires. Le projet rend hommage à une partie de cette histoire, celle de ces nombreuses communautés et de clans du peuple Dharug.
Au centre du bâtiment la Salle Dharug recèle des objets uniques issus de l’histoire aborigène. Elle permet de recueillir dans un espace spécifique nommé le « Keeping Place » ces objets, et pour les aborigènes uniquement, de pouvoir les visiter et les célébrer. Ces objets proviennent soit de familles, de collections privées, d’institutions muséales ou civiques, ou encore d’organismes gouvernementaux, qui en font don et permettent leur retour dans ce lieu de conservation presque secret. Au fur et à mesure cette collection s’enrichit également des résultats de fouilles issues des chantiers de construction.
C’est une femme issue de la Communauté Dharug qui dirige ce « Keeping Place » : elle gère la collection et organise également de nombreux programmes éducatifs et publics dans une partie plus ouverte de ce lieu, la salle d’observation, qui ne possède pas d’objet culturel secret/sacré.
Autour de cette salle, se trouvent deux espaces strictement dédiés aux communautés autochtones : la salle Dharug, qui est un lieu de réunions et de cérémonies, et une salle totalement privée, qui comporte les objets les plus sacrés. Cette seconde salle n’est accessible que par certains membres des communautés Dharug.
Une enveloppe continue vient unifier façades et toitures et « réchauffer » le quartier en lui offrant un dégradé de rouges puissants
Ce volume inattendu, tout aussi compact que fonctionnel, est enveloppé par une vêture qui se développe sur quasiment toute sa surface, mêlant toitures et façades dans un ensemble unitaire.
L’enjeu était de concevoir cette enveloppe pour qu’elle soit à la fois protectrice vis-à-vis du soleil, mais en même temps qu’elle puisse permettre de diffuser une lumière homogène, neutre et douce dans l’ensemble du projet. Cette enveloppe devait aussi se prêter à des conditions climatiques parfois extrêmes, où des tempêtes de vents propres aux situations tropicales et orages de grêle sont fréquents.
Cette peau est constituée d’une multitude de panneaux de forme carrée, d’environs 180X180cm, assemblés les uns aux autres en suivant la pente légèrement incurvée marquée par le volume principal. Chaque panneau est composé de plusieurs pliages, comme un origami, au centre duquel vient s’insérer un vitrage de forme losangée. Le pliage permet de rendre les panneaux plus robustes vis-à-vis des conditions climatiques, tout en les ouvrant vers une orientation précise, vers le sud-est et le sud-ouest, là où les rayons solaires ne peuvent presque jamais pénétrer. C’est aussi l’orientation vers la place, qui permet de donner à voir, depuis tous les espaces publics du projet, l’animation extérieure.
De nombreuses études ont été faites pour vérifier la qualité de la lumière naturelle, généreuse et régulière partout, et pour s’assurer en même temps que le soleil ne vienne pas générer de surchauffes ni gêner la lecture et le travail des usagers.
Cette centaine de panneaux, décomposés en de nombreux de plis donne au volume un caractère particulier, qui se joue de toutes les ombres et de tous les reflets. Ainsi, les hautes tours voisines nimbent l’enveloppe de nombreuses réflexions, celles de leurs grandes façades vitrées, tandis que le soleil, la plupart du temps rasant, crée un jeu d’ombres et de lumières accentuant les couleurs et renforçant les contrastes.
La couleur est un élément important du projet, elle contribue à accenteur son rôle fédérateur à l’échelle du quartier mais aussi de la ville tout entière. Elle lui confère un caractère joyeux, celui d’un petit projet qui centralise les publics et leur offre un moment de convivialité et de partage.
« Contrairement à tous les bâtiments voisins, largement vitrés de mur rideaux relativement austères, dont les vitrages isolants sont toujours gris, bleutés ou verts, nous avons souhaité nimber notre enveloppe d’une couleur quasiment en opposition : c’est un dégradé de rouges, chauds et puissants qui s’élèvent vers le ciel et la flèche du projet ; des rouges vifs, joyeux, qui attirent le regard et réchauffent cette atmosphère jusque-là un peu trop générique à notre goût », indique Manuelle Gautrand.
À l’intérieur, les panneaux facettés sont revêtus d’une laque blanche, une blancheur qui vient se nimber de roses pales au droit de chaque baie vitrée, du fait des reflets du soleil sur les rouges extérieurs. La centaine de baies losangées vient quant à elle offrir des vues régulières sur la ville, créant un plafond d’une grande richesse spatiale. Le bâtiment tout entier entretient ainsi une relation forte avec l’espace public à ses pieds. Tous deux forment un tout, où l’intérieur devient un théâtre avec ses balcons à chaque étage, et où l’extérieur, la place, en devient la scène.
Cette forme atypique du projet a inspiré un principe de ventilation naturelle, la volumétrie presque triangulaire permettant d’en faire une véritable cheminée. L’air chaud est ainsi capté en partie basse au droit des multiples entrées, puis régulièrement à chaque étage au droit de nombreuses ventelles vitrées, pour ensuite être naturellement guidé vers le haut et s’échapper au droit de l’arête supérieure de l’enveloppe.
Ces dispositions ont permis de réduire de manière considérable les besoins en matière de climatisation, dans une ville où les saisons chaudes voient de plus en plus le thermomètre grimper au-delà des 40 à 45 degrés. Il était donc vital d’agir sur cette question du confort d’été.
« Phive est vraiment un projet holistique, où le soleil, la lumière et l’air ont sans arrêt été mis à profit pour rechercher l’excellence dans tous les domaines, notamment la thermique passive », conclut Manuelle Gautrand.