
C’est l’histoire d’un projet d’équipement public, longtemps attendu dans un territoire rural où ils se font rares, qui commence bien, tourne au fiasco puis se termine plus ou moins bien de l’endroit d’où vient le regard.
Le projet consiste, pour la Communauté de communes de Puisaye-Forterre, en la construction de la piscine intercommunale de Toucy (Yonne). Il s’agit d’un projet structurant pour une collectivité de 35 000 habitants regroupant 57 communes sur deux départements, respectivement 51 dans l’Yonne et 6 dans la Nièvre. Au-delà d’un équipement de santé et de loisirs au service des habitants, il s’agit en effet d’un outil indispensable pour le territoire puisque, relève auprès de Chroniques Jean-Philippe Saulnier-Arrighi, son président, 40 % des enfants ne savent pas nager en arrivant au collège. Bref, un bassin de natation de 25 mètres, un bassin d’activités et de loisirs de 150 m², un espace bien-être, une plage pour l’été et un pentagliss pour les enfants.
C’est l’agence lyonnaise Z architecture qui en 2021 emporte le concours avec, écrit-elle « un projet [qui] s’intègre de manière douce et pérenne dans l’écrin de verdure du site, en dialoguant de manière contemporaine avec l’étang de Toucy et sa promenade piétonne. L’architecture valorise le patrimoine Toucycois en proposant une réinterprétation contemporaine des majestueuses longères aux toitures en tuiles plates typiques de la région ».
Une remarque : la « majestueuse » longère et le toit à deux pentes couvert de tuiles plates étaient inscrits dans le cahier des charges et les architectes, il est permis de le penser, n’avaient d’autre choix que d’une longère avec un toit à deux pentes couvert de tuiles plates pour gagner le concours. Quand le programme devient si prescriptif, il ne laisse pas beaucoup de place à l’imagination, surtout contemporaine l’imagination.
En tout cas, c’est ce projet « très aérien » selon Jean-Philippe Saulnier-Arrighi, qui emballe le jury. L’innovation sera donc pour les architectes à chercher ailleurs, dans un procédé d’assemblage de la charpente, sinon novateur, du moins inusité entre l’Yonne et la Nièvre.



Le chantier se déroule bien, à tel point que la commission de sécurité fut reportée de mars à juillet 2025. Peu de retard donc. Et Vert Marine, titulaire du contrat de délégation de service public (DSP) devant en assurer l’exploitation à partir du 1er août, de publier le 1er juillet un message triomphant : « un équipement flambant neuf au cœur de la Puisaye-Forterre, où service public, accessibilité et qualité d’accueil se conjuguent pour tous les publics. À compter du 1er septembre : tous à l’eau, à Toucy ! ». Au Canada, ce serait vendre la peau de l’ours…
En effet, à quelques jours de la livraison, patatras. Le couvreur note un affaissement du faîtage, suffisant pour être visible à l’œil nu. Le couvreur prévient le charpentier qui prévient l’architecte qui prévient le maître d’ouvrage. Tous enfin de constater la catastrophe. Le chantier stoppé net, l’ouverture du centre aquatique est reportée sine die.
Denis Hodoul, directeur général de l’entreprise de charpente Margueron qui a réalisé et installé la charpente, n’est pas long à comprendre que l’erreur vient de chez lui et reconnaît très vite, avec une étonnante franchise, une erreur de calcul et sa responsabilité. « Il n’y a que les gens qui ne font rien à qui il n’arrive rien : Errare humanum est», dit-il à Chroniques. « Nous construisons des choses sophistiquées. Nos projets ne sont jamais des bâtiments issus d’un catalogue, il faut les concevoir, faire des calculs puis démontrer que cela fonctionne. À Toucy, il s’agissait d’un assemblage assez novateur pour lequel il n’y avait pas beaucoup de littérature, seulement quelques publications succinctes. C’était en bordure de ce que nous faisons habituellement. Nous avons fait quelques démonstrations pour essayer de comprendre mais nous sommes passés à côté d’une justification. Nous avons replongé dans nos calculs au regard de ce désordre. Il a fallu 24 heures à trois ingénieurs en interne pour comprendre ce qui avait pu se passer, ce n’est pas un truc trivial… En l’occurrence, nous n’avions pas vraiment d’expérience avec cet assemblage, or le diable se cache dans les détails », explique-t-il. En 29 ans de carrière, il n’avait jamais connu un tel évènement de chantier ! Où était le bureau de contrôle ?
Le principal, une fois le lait renversé, était encore selon lui d’espérer trouver des solutions. Il n’y en aura pas de bonnes, seulement une moins mauvaise.


William Vassal, fondateur de Z Architecture, retrouve son agence impliquée dans un désastre qui n’est pas de son fait. « L’entreprise a eu la volonté de terminer l’ouvrage. Chacun a son champ de compétences, il appartenait à l’entreprise de proposer des solutions, ce qu’elle a fait dans les 72 heures », indique-t-il à Chroniques.
« Quand nous avons compris la faiblesse, nous avons cherché quelles solutions pour renforcer l’assemblage : à la fin ne restait que cette possibilité de tirants métalliques que nous avons fabriqués et mis en œuvre », confirme Denis Hodoul. Lequel rend grâce aux architectes. « Je considère que Z Architecture a bien réagi et été constructif vis-à-vis de l’ampleur de la tâche. Les architectes ont pris la mesure du problème et tout fait pour que les choses aillent bien. Ils auraient pu dire « vos tirants on n’en veut pas ». D’autant qu’ils n’ont pas commis d’erreur ; c’est un accident de chantier qu’ils ont subi et ils ont eu le mérite de ne pas rajouter de la complication à la complication avec une prise de décision ferme et rapide », souligne l’entrepreneur.
Livrer un ouvrage conforme aussi rapidement que possible était aussi la volonté de Z Architecture. « L’esprit du projet, une grande longère avec un toit à deux pentes au bord d’un lac, demeure. Oui c’est différent mais ces tirants sont des câbles de 1,5 cm, cela ne change pas fondamentalement l’architecture. Des tirants, il y en a dans les bâtiments agricoles, dans des lieux de culte, cela ne nous dérange pas du tout », indique William Vassal. De fait, avec ces tirants, la charpente a retrouvé en octobre sa position initiale.
Tout est bien qui finit bien ?
Pas tout à fait. Même si l’architecte n’y est pour rien – un manque de vigilance peut-être ? – c’est faire fi un peu rapidement du dépit légitime du maître d’ouvrage qui se retrouve désormais, pour les prochaines quarante années, avec une piscine dotée en plein milieu de l’espace de tirants inélégants où faire sécher les maillots et serviettes de bain, un ouvrage pas tout à fait conforme à l’image qu’il avait achetée. Dépit d’autant plus amer que lui, le client, de piscine il n’en construira qu’une seule dans sa vie, qu’il n’a rien à se reprocher et que va demeurer pourtant un sentiment d’échec.
C’est aussi assurément pour la collectivité une question de budget : les avocats vont maintenant entrer dans la danse et pour ces frais-là, la Communauté de communes y sera sûrement de sa poche. Par ailleurs l’appel d’offres auprès des transporteurs avait été lancé et, l’année scolaire compromise – si tout se passe comme prévu désormais, la piscine, devrait ouvrir en janvier ou février 2026 – ce sont autant de mois d’exploitation perdus. Sans compter encore d’ici-là les dépenses de maintenance et frais fixes pour la piscine. Après avoir financé un projet à 13 M€, certes avec l’aide de l’État et des collectivités locales, ces nouvelles factures sont douloureuses.
Elles le sont sans doute également pour la maîtrise d’oeuvre. Quant à l’entreprise, n’en parlons même pas. Heureusement qu’elle a les reins solides. En tout état de cause, même une fois les préjudices analysés et pris en charge, voilà un projet d’architecture pécuniairement perdant-perdant pour tout le monde.
Toutefois, il est pour les élus autant sinon plus une question d’image, celle notamment offerte aux administrés d’un bâtiment qui ne serait pas fiable. « Et », insiste Jean-Philippe Saulnier-Arrighi, « la réalisation n’est pas conforme au projet. C’est un préjudice à l’esthétique globale. L’aspect esthétique comptait énormément », dit-il. Si grand est son ressentiment qu’il ne peut s’empêcher d’en vouloir à Z Architecture. « Dès que cette problématique est apparue, l’architecte a tout fait pour expliquer qu’il n’y était pour rien : il ne s’est jamais excusé, n’a jamais cherché à aider. Il nous a dit « On n’a plus rien à voir avec ce dossier », c’est quand même fort de café. L’architecte a fait preuve de légèreté : il prend plus d’un million d’euros d’honoraires sans se considérer comme responsable. C’est tout juste si nous n’étions pas des enquiquineurs ».
De fait, la conversation avec William Vassal avait à peine commencé qu’elle a failli mal tourner quand il s’est immédiatement mis sur la défensive. Exemple : « avec votre question, j’ai l’impression d’entendre la maîtrise d’ouvrage », déplore-t-il. Ha, parce qu’elle n’est pas bonne la question ? Il préférerait qu’on ne lui demande pas son avis ? Être ainsi sur la défensive n’est en général pas très bon signe. Maintenant, il est sans doute en vérité plus facile pour un architecte de discuter avec une entreprise pour trouver une solution à un aléa technique qu’avec un maître d’ouvrage en colère qui ressent comme une humiliation le fait que de bonne solution, il n’y en aura pas. Si l’agence d’architecture n’est pas magicienne et si elle est en l’occurrence sans doute dans son bon droit, la diplomatie et l’empathie, voire un peu de contrition, n’ont jamais nui à quiconque et tendent à apaiser les différents.
« Notre boulot est d’accompagner la maîtrise d’ouvrage, c’est très loin d’être réciproque », constate William Vassal. Qui précise : « Moi je suis prestataire de services ».

C’est peut-être le souci. Ce qui était demandé ou espéré dans ces circonstances est un architecte, pas un prestataire de services tenu à une seule obligation de résultat. Il y a une nuance. Et même s’ils n’en peuvent mais, je ne connais pas beaucoup d‘architectes qui se satisferaient aussi aisément d’un projet somme toute raté, surtout quand ils sont mandataires.
Morale de l’histoire. Pour une piscine à l’intérieur d’une longère avec un toit à deux pentes couvert de tuiles plates le long d’un lac, avec un maître d’ouvrage qui engage l’avenir de sa communauté, peut-être convient-il justement à un architecte de s’appuyer sur des assemblages qu’il maîtrise et des méthodes éprouvées que le charpentier local, avec toute la passion qui l’anime, saura mettre en œuvre. Qui sait, cela coûtera peut-être même moins cher. Voilà qui serait véritablement innovant !
Christophe Leray