Nous avions déjà évoqué dans notre article ‘Inventer la Métropole, une question de style verveine’, la supercherie qu’il y avait, à découvrir les programmes lauréats, à parler d’agriculture urbaine. De retour de Detroit, Michigan, c’est l’occasion d’en reparler.
Même si chacun peut interpréter les chiffres à sa façon, ils sont têtus. Anne Hidalgo, maire de Paris, a fixé pour 2020 le seuil de 33 hectares cultivables à Paris, soit la multiplication par dix de la surface existante. Aussi son concours Parisculteurs en 2016, commandait-il de produire sur une trentaine de sites «environ 500 tonnes par an de fruits et légumes, champignons, fleurs, engrais, miel, bière, poissons…». 500 tonnes ! A boire et à manger. Byzance.
Sauf que, même si cet objectif est atteint, 500 tonnes de nourriture par an, éparpillées sur toute la ville, représentent moins d’un seul jour de consommation à Paris, ou 0,26% de la consommation annuelle de la capitale. On fait comment le reste du temps ? Il s’écoule chaque jour en quelques heures 40 tonnes de produits frais sur chacun des nombreux marchés parisiens et ce sont plus de 200 000 tonnes, rien qu’en fruits et légumes, qui entrent dans Paris chaque année. Quelqu’un à la mairie de Paris a-t-il le sens des proportions ?**
En tout cas, donner à penser que l’on va transformer Paris ou des immeubles en «ferme urbaine» est une mystification. Pourtant, le concept s’impose désormais dans chaque concours avec toujours le même refrain et, à chaque fois, l’exemple de Detroit. Detroit, dans le cadre d’une visite de presse, Chroniques en revient et il semble nécessaire de remettre les choses à leur place.
En premier lieu, garder à l’esprit que l’agriculture urbaine ne souligne en rien le renouveau de Detroit. C’est le centre-ville, qui connaît aujourd’hui un développement que nul n’imaginait il y a deux ou trois ans à peine, avec le retour de grandes fortunes et celui des multinationales qui, comme Ford qui vient de prendre possession de l’immeuble emblématique de l’ancienne gare (dont l’aménagement est confié à Snohetta), réinvestissent le centre-ville. Le renouveau de la ville c’est dans le centre que ça se passe, le long du Riverfront et dans quelques quartiers spécifiques qui ont mieux résisté que d’autres.
La ville a bien un plan global et cohérent de revitalisation d’une dizaine de quartiers avec un credo résumé par le maire – «faire en sorte que les gens reviennent et, surtout, ne partent pas» – mais l’agriculture urbaine n’entre pas dans ce plan. Seuls à ce jour sont prévus des ‘green ways’ pour relier ces poches éparses de densité.
D’ailleurs Mike Duggan, maire blanc élu en 2014 dans une ville à 80% noire, est plus fier de la construction de la plus haute tour de Detroit, au-dessus d’un centre commercial dans un centre-ville qui manque cruellement de commerces, que pour sa ville de devenir un exemple de développement durable. Les parkings sont omniprésents dans le centre et, quand la nature reprend ses droits, c’est pour envahir les nombreux et vastes espaces abandonnés. La ville durable, serait-ce la ville rendue à la nature ? A Detroit les maisons en pierre ont résisté à l’assaut de la végétation, les maisons en bois moins.
Pourquoi une telle dichotomie entre les perceptions des deux côtés de l’atlantique ? Ici, à Paris, l’agriculture urbaine est considérée comme une Bonanza pour sauver la planète et peut-être les élections, là, à Detroit, c’est un sujet anecdotique.
En 2013 Motor City, accablée sous les dettes, est en faillite et devient le symbole de la déroute de la société de consommation quand, selon la légende, de braves habitants se remontent les manches pour inventer un nouveau paradigme : l’agriculture urbaine est née. Vue d’Ici, l’histoire est belle et vive la résilience, la ville est presque trois fois plus grande que Paris et trois fois moins peuplé, il y a de la place.
C’est faire abstraction que dans les paysages dévastés de la capitale du Michigan, parsemés de maisons vides et de ruines, dans une ville à l’agonie, cette première agriculture urbaine était d’abord une culture de subsistance, voire de survie : faire pousser A MANGER dans son jardin le plus possible aussi vite que le climat le permet. Sauf que crever la dalle ou partir, c’est moins romantique qu’un mur végétal. Les tomates de la colère comme pourrait l’écrire un John Steinbeck du Midwest ?
Il est vrai que dans une ville où la priorité n’est pas de construire mais de détruire des dizaines de milliers de maisons et immeubles vacants, quand on ne peut pas payer de pesticides, ces tomates sont bios. La belle histoire vue d’ici se poursuit avec cette agriculture bio devenant une alternative à la mondialisation agroalimentaire. La réalité est que, pour les rares initiatives ayant pu se développer, car nul ne s’improvise agriculteur, ces produits bios désormais courus sont rares et chers et de fait destinés à la partie ‘high end’ du marché.
Bref, l’agriculture urbaine, même romancée, n’a jamais été plus qu’une anecdote aussi loin que les habitants de Detroit sont concernés. Dit autrement, le prochain ou la prochaine ou les deux qui vous parlent d’agriculture urbaine et citent Detroit en exemple vous racontent des salades poussées dans les limbes de prosélytes impénitents, pour le dire gentiment.
Cela dit, à Detroit, ils furent les premiers étonnés de l’engouement mondial pour l’expérience et ont fini, à leur corps défendant ou presque, par en considérer l’hypothèse. Certes Maurice Cox, l’adjoint du maire à l’urbanisme, est dubitatif mais il sait qu’en effet, dans une ville déjà surdimensionnée pour deux millions d’habitants en 1950 et qui en compte moins de 700 000 aujourd’hui, et continue d’en perdre, même si son plan de développement est un succès, «30 à 40% de la surface de la ville», demeurera inutilisable au moins jusqu’à l’horizon 2050. C’est plus que la surface de Paris intra-muros. Que faire de telles surfaces dont l’entretien coûte une fortune ? Encore faudrait-il qu’elles ne soient pas éparpillées façon puzzle sur les 370 km² de la ville, remarque Maurice Cox. Le remembrement, même à Detroit, n’est pas une mince affaire.
Même prudence de la part de Xavier Mosquet, qui au sein de Boston Global Consulting a dirigé l’équipe constituée par Barak Obama pour œuvrer au sauvetage de General Motors et Chrysler en 2009 et dont les bureaux sont en banlieue de Detroit. Lui-même, comme le maire, n’exclut pas de sacrifier à la nature les limites extérieures de la ville et s’il admet qu’un usage agricole serait propre à organiser, structurer et sécuriser ces espaces, ce ne le sera selon lui que dans le cadre d’une exploitation économique sensée, c’est-à-dire dans le cadre d’une organisation agricole et industrielle portée par des investissements financiers et humains conséquents. Il est certain sans doute que l’on ne peut pas nourrir une population en s’appuyant sur les petites mains des jardiniers bénévoles dans les quartiers.
Bref, même à Detroit, dans un contexte pourtant favorable comme il est dit des planètes habitables, l’idée d’une agriculture urbaine relève encore d’une lointaine hypothèse. Comme cultiver sur Mars. Alors à Paris ou en banlieue ou à Bordeaux et Marseille, évoquer une agriculture urbaine est pour des élus vis-à-vis de leurs électeurs rien de moins que de la publicité mensongère et pour des maîtres d’ouvrage de l’exiger des architectes une fuite en avant à la chasse au dahu. Autant affirmer que la terre est plate. L’agriculture urbaine ne va pas plus nourrir la planète dans un cycle court vertueux que les murs végétalisés ne réduisent la chaleur en été en Ile-de-France.
Qu’il n’y ait pas de malentendu : les efforts de végétalisation peuvent et doivent être poursuivis mais, pour y parvenir, il ne faut pas promettre la lune. Les toits et terrasses se prêtent sans doute à des usages végétaux inventifs qui peuvent n’avoir par exemple d’autres intentions que d’ajouter du confort aux résidents. Ce serait déjà pas mal. Végétaliser les toits de Paris et en faire des lieux d’accueil, pourquoi pas. Chaque initiative et expérience communautaire, et elles sont nombreuses, sont bienvenues mais, de grâce, épargnez-nous le couplet sur l’agriculture urbaine.
Pour finir, pour les maires écolos responsables enthousiastes, afin de rendre l’agriculture durable, ce n’est pas en ville que cela se joue mais dans le pays entier. Mais là il faut s’en prendre à la FNSEA, qui est à l’agriculture en France ce que la NRA est au port d’arme aux Etats-Unis. Une perspective autrement plus difficile que de se rassurer en faisant pousser des tomates sur son balcon car le puissant syndical de l’agriculture intensive ne se raconte pas, lui, d’histoires à dormir debout.
Christophe Leray
*‘Inventer la Métropole, une question de style verveine’
**voir notre article ‘Green Deal’ avec Valérie, Emmanuelle et Anne