
Le musée des Beaux-Arts d’Angers était un ensemble de bâtiments vétustes et décrépis qui ne communiquaient pas entre eux. Il s’en est fallu de peu que les deux maîtrises d’œuvres réunies sur ce chantier ne communiquent pas mieux. Pourtant les plans de l’architecte Antoine Stinco, mis en œuvre par Gabor Mester de Paradj, ont donné au bâtiment la cohérence d’un véritable musée contemporain. Rencontre.
«Quand on dessinait une trémie ou une réservation pour le passage d’une gaine, c’était à l’autre Maîtrise d’œuvre de les réaliser d’après nos plans», explique Antoine Stinco, et de cette situation on ne peut plus embarrassante, il ne sait s’il doit s’en amuser ou, encore, s’en étonner. Combien de gaines et de chemins de câbles ont été réalisés, sur 8.000 m² et plusieurs années de chantier?
La réponse à cette question, aussi anecdotique semble-t-elle, est au cœur, aujourd’hui comme hier, des tensions inévitables lorsque deux Maîtrises d’œuvre, avec des objectifs différents, travaillent sur un même projet. C’est à l’honneur de Gabor Mester de Paradj, architecte en chef des monuments historiques (ACMH), et d’Antoine Stinco, architecte, d’avoir su mener à bien, dans le cadre de la rénovation/extension du Musée des Beaux-Arts d’Angers, une mission de coordination tout à fait exceptionnelle. Le premier (qui connaît bien le Maine-et-Loire pour avoir travaillé sur la cathédrale d’Angers et l’Abbaye de Fontevrault) avait en mémoire les deux projets précédents avortés, le second craignait conflits et heurts inutiles, le premier devant réaliser les plans du second.
Dans son agence au sommet d’un immeuble haussmannien de la capitale, quelques jours après l’inauguration du 17 juin dernier, Antoine Stinco insiste en préambule sur le caractère inhabituel de cette organisation qui a permis à deux architectes de travailler «en évitant les querelles absurdes». «La cohérence du projet tient au fait que nous avons réalisé un musée, et pas seulement la restauration de quelques bâtiments anciens ; la fonction nous a réunis», explique-t-il. Preuve sans doute de leur bonne intelligence, l’un et l’autre évoquent, presque avec gourmandise, leurs désaccords qui, sans jamais s’exprimer sur le fond, ont abondé sur les détails, les ouvertures du hall d’entrée notamment. L’ACMH les souhaitait avec soubassement et dotées de «menuiseries en bois à meneau et traverses pourvues de vitrages clairs». Antoine Stinco voulait de grandes baies vitrées lisses, à cadre métallique. Au final, il y a huit ouvertures avec soubassement, chacune étant dotée d’une menuiserie métallique et quatre grandes baies vitrées libérant l’accès au jardin. Une «querelle» que le visiteur serait bien en peine de discerner.

«Dans le cadre du Musée des Beaux-Arts, je me suis fixé une règle : me libérer du respect plat et littéral pour l’architecture du passé mais aussi de la peur ridicule de ne pas être ‘moderne’», explique Antoine Stinco. Des règles, il va en énoncer plusieurs au fil de la discussion mais celle-ci lui tient à cœur. «On ne pourra jamais faire les choses comme avant ; les savoir-faire, les sensibilités, les mises en œuvre ne sont plus les mêmes ; je cherche toujours à m’appuyer sur le bâtiment ancien, à être en empathie avec lui, et je finis par l’aimer», dit-il.
Son attention pour l’architecture ancienne est réelle, sinon comment expliquer la retenue de la nouvelle salle des réserves, bâtiment résolument contemporain, aveugle, qui ferme la cour du Logis Barrault (l’ancien bâtiment ayant été détruit par une bombe en 1944) mais dont les proportions et le revêtement en pierre de Richemont le rendent presque discret. «Un objet trop voyant n’avait pas de sens sur le plan historique et urbain», justifie-t-il. «Plus notre intervention se fait oublier et plus je suis satisfait car le projet va de soi». «Il se faufile malgré sa présence inévitable», dit-il.

Cela ne l’empêche pas de profiter des «collisions» et des particularités du bâti pour asseoir son travail, mais pour Antoine Stinco, «nul besoin de sursigner les détails», l’important étant «de faire vivre les espaces», qu’ils soient anciens ou nouveaux. Ce n’était pas gagné d’avance puisque le musée compte désormais neuf bâtiments (il y en avait déjà sept au départ) avec un nombre invraisemblables de «liaisons» à différents niveaux. Un enchevêtrement qualifié de «labyrinthique» par Sylvain Deson, qui a suivi les quatre ans de chantier.
Deux réalisations du musée témoignent de cette démarche. Le grand escalier, neuf, est quasiment invisible quand on est en haut, dans la partie historique de l’édifice (hall d’entrée). En bas, dans un espace entièrement nouveau, il fait partie, de façon lisible, du corps architectural de la salle des expositions temporaires. Les entrées des salles ‘historiques’ sont petites, ramassées sous la pierre brute. Du coup, les entrées des salles modernes offrent également des cheminements, cette fois «inventés», qui font le lien d’un espace à l’autre, pour éviter toute brutalité dans le passage, toute perte d’équilibre dans la transition.
«S’il y a un geste architectural, il se trouve dans le vide et non dans le bâti, dans l’organisation des passages, d’une séquence à l’autre», explique Antoine Stinco. «La muséographie n’est pas le seul objectif, elle n’est pas suffisante. Le plaisir dans le musée doit aussi être dans la déambulation qui fait découvrir les œuvres». Pour lui, l’organisation de ces séquences relève du même travail que celui réalisé lors du montage d’un film, qui permet qu’une «scène de trois secondes ait une continuité dans le temps». C’est ainsi qu’il a imaginé, lors de ces cheminements, des «ouvertures» vierges de tout objet qui, en permettant une respiration lors de la visite, ont pour effet également de ménager le suspense.

Une subtilité que l’on retrouve, au sens propre, avec la grande salle suspendue avec «trois cheveux». De fait, si on enlève les cloisons, il ne reste qu’un «pont suspendu». «La légèreté de la suspension traduit la recherche d’une sensation qui n’est pas grossièrement formelles», dit-il.
«Le bâti existant, sept bâtiments qui ne communiquaient pas forcément ensemble, était un collage de constructions, de styles et d’interventions étalés entre le XVe et le XIXe siècles, nous en avons juste ajouté un autre. Mais si on a l’impression que cet ensemble de bâtiment a toujours été là, cela me convient», conclut-il. Attention, ce n’est pas de sa part faire assaut de modestie, plutôt faire montre de sa «prétention à la simplicité», prétention qui en dit long sur l’ambition de l’homme.
Christophe Leray

Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 30 juin 2004