Que peut faire l’architecture à mesure que la société vieillit ? À Londres, une solution de logement vieille de 900 ans vient d’être mise à jour. Chronique d’Outre-Manche.
Dans une société prospère, les personnes âgées sont engagées dans la communauté au sens large et mènent une vie heureuse et saine. Mais à moins d’être riche, il est presque impossible pour les personnes âgées de rester dans des villes comme Londres, et si elles le font, nombre d’entre elles se retrouvent isolées et ignorées dans des maisons de retraite ou des centres de soins. Avec une population moins jeune et une espérance de vie moyenne plus longue que jamais, les personnes âgées dominent progressivement la démographie des pays développés. Pour résoudre ce problème, l’architecture a besoin d’idées nouvelles. Au Royaume-Uni, elles arrivent.
L’Angleterre a créé une typologie appelée « hospice » (‘almshouse’), qui fournit un logement caritatif aux personnes âgées. Le roi anglo-saxon Athelstan construit le premier à York dans les années 1130. Les Chevaliers de Saint-Sauveur en ont bâti un autre à Southwark, près du London Bridge en 1588. Aujourd’hui, il n’y a plus ni chevaux ni armures ni zèle militaire et leur nom est désormais United St. Saviour’s Charity mais ils ont toujours pour mission de fournir un soutien dans Southwark. Leur nouveau bâtiment, nommé Appleby Blue Almshouse, conçu par l’agence Witherford Watson Mann, pourrait changer la donne dans la façon dont sont accueillies les personnes âgées dans les villes du XXIe siècle. Le secret des architectes réside dans une approche holistique fondée sur la recherche.
Appleby Blue, ouvert en 2023, propose 57 appartements subventionnés aux habitants de Southwark âgés de 65 ans ou plus. Chacun de ces logements vaudrait une fortune sur le marché immobilier de folie de Londres, même aujourd’hui, alors qu’il est à moitié mort. Le bâtiment a une grande présence dans la rue – cinq étages qui s’étendent sur la longueur d’un pâté de maisons. C’est assez différent de la plupart des hospices anglais qui disposent d’un jardin donnant sur la rue, entouré sur trois côtés par le bâtiment. Néanmoins, si le volume principal est ici encore en forme de U autour d’un jardin, un deuxième volume, haut de seulement deux étages, s’étend à l’arrière du site, faisant du jardin une cour intérieure. Comme nous le verrons, ce n’est pas le seul endroit où poussent des plantes à Appleby Blue.
La façade sur rue est en briques de différentes sortes, avec une longue baie vitrée à deux étages encadrée de bois. Il y a beaucoup de bois à Appleby Blue, tissé dans une structure en béton de quatre étages complémentée par de l’acier en hauteur et dans le volume arrière. Les façades intérieures sont en bois. Les couloirs bardés de chêne reliant les appartements disposent de sièges (et parfois aussi de bacs à plantes), de sorte qu’ils deviennent des espaces sociaux.
Stephen Witherford, partenaire fondateur de l’agence d’architecture, affirme avoir ainsi conçue une « sociabilité plus organisée ». Le plus grand espace social est cependant une salle commune de deux étages, elle aussi bardée de bois, avec des poutres en chêne et des écrans coulissants qui s’ouvrent sur la cour d’un côté. Un coin repas desservi par une cuisine ouverte se trouve de l’autre côté. Les repas sont préparés dans un souci d’alimentation saine et comprennent des ingrédients réellement cultivés sur le bâtiment.
Oui, Appleby Blue est aussi une ferme urbaine, produisant des légumes, des fruits et des herbes aromatiques dans de grandes jardinières situées sur le toit du plus petit volume. Il reste encore suffisamment de place pour le photovoltaïque pour générer 35 % des besoins en électricité. Le toit est encore un autre espace social, flottant entre un écran de vieux arbres à l’arrière du site et cette cour-jardin ombragée par les ginkgos qui récolte la pluie dans un jeu d’eau apaisant. Stephen Witherford décrit la cour comme « une pièce temporelle » car elle révèle le mouvement du soleil, les saisons, les migrations des oiseaux, « engendrant ainsi une relation entre la nature et les humains ».
Appleby Blue est accessible au public et accueille donc différentes générations. La clé de la conception a été la recherche, couvrant des questions allant de l’environnement bâti à la santé mentale et, surtout, visant à quantifier le rendement social. Les recherches menées par l’Université de Bournemouth se poursuivent et les chercheurs qui surveillent la santé et l’activité des résidents confirment d’ores et déjà à quel point une bonne alimentation fait une énorme différence. Il en va de même pour un environnement dans lequel chaque résident a des choses à partager avec son voisin immediat. Lorsque j’ai demandé à un résident ce qu’il a ressenti en emménageant, sa réponse a été : « C’est comme tomber d’un avion sans parachute et atterrir sur un château gonflable ».
La conception des hospices innove également ailleurs. Tout comme l’Angleterre a été la pionnière des résidences étudiantes de grande hauteur, elle pourrait également ouvrir la voie aux hospices verticaux. Par coïncidence, à Southwark également, Fathom Architects a conçu un immeuble de 15 étages appelé Blackfriars Almshouses pour Southwark Charities, avec 62 logements pour personnes âgées aux niveaux supérieurs. Si le projet se concrétise, il sera niché derrière un immeuble de bureaux de 21 étages, également conçu par Fathom, dans une rue qui est devenue un canyon presque new-yorkais. Comme Appleby, le projet Blackfriars est hautement durable (répondant aux normes Passivhaus), se connecte à la nature et est conçu pour promouvoir l’interaction entre les résidents à chaque étage et dans les espaces communs. Il compte un jardin sur le toit avec cuisine et un jardin au niveau de la rue que partagent les résidents et le public.
De nouvelles maisons de retraite peuvent retenir et intégrer les personnes âgées dans la vie de la ville, mais qu’en est-il pour celles vivant à la campagne ? Cet automne, Dovehouse Court Almshouses, ouvrage dessiné par Mole Architects pour l’association caritative Girton Town, a ouvert ses portes dans un village à l’extérieur de Cambridge. Il borde trois côtés d’un jardin communal, tout comme l’hospice traditionnel, mais avec trois volumes blancs de faible hauteur qui abritent 15 logements. Encore une fois, la conception encourage l’interaction, répond à des normes élevées de durabilité et se connecte à la nature dans sa stratégie de plantation. On y cultive aussi de la nourriture, avec un potager et un verger.
Nous pourrions avoir un avenir où les personnes âgées seraient reléguées dans des maisons où on leur servirait des repas préemballés et réchauffés au micro-ondes et où la télévision commune serait allumée et éteinte selon un horaire strict. Les robots pilotés par l’IA pourraient progressivement remplacer le personnel soignant dédié au contrôle de l’espace et des activités, la solitude et la démence guettant constamment les personnes âgées.
Mais la science nous dit que notre biome intestinal est essentiel à la santé et à la longévité. Cela lie les personnes âgées à la nourriture, et celle-ci n’est pas plus fraîche que si elle est cultivée là où elles vivent. La proximité apaisante de la nature améliore le bien-être mental, alors intégrons-le également. Il faut laisser fleurir les interactions sociales, entre et au-delà des personnes âgées. Et que cela se produise dans des bâtiments qui n’affectent que légèrement notre planète.
Tout cela l’architecture peut l’apporter. Il suffit de le demander aux architectes.
Herbert Wright
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