En France on n’a pas de pétrole mais des énarques rarement capables, par formation, d’avoir une idée originale. Aussi le grand sauvetage du jour d’après ressemble à ce jour à un grand sauve-qui-peut : il faut sauver l’industrie automobile française, il faut sauver l’industrie aéronautique française, il faut sauver l’industrie de l’armement française, il faut sauver les chantiers navals français, il faut sauver l’agriculture française, etc. Et les milliards de tomber du ciel comme les obus à Gravelotte.
A force de vouloir sauver tout le monde – Macron est même allé repêcher Zemmour au fond d’un puits nauséabond – cela ne fait pas un projet mais un grand rebond en arrière et tout le monde, une fois sauvé, de repartir comme en 14 avec une dette de guerre colossale. En témoigne le sauvetage de la SNCF.
Acceptons l’idée que, à l’issue de la pandémie et sans que l’Etat visionnaire y soit pour quoi que ce soit, la révolution du télétravail ait déjà commencé et que, en conséquence, les villes moyennes, jusqu’aux petits bourgs, beaucoup plus aimables que les métropoles denses et onéreuses, vont pouvoir accueillir ces nouveaux habitants qui ne sont plus liés à un lieu de travail. L’exode rural a peuplé les métropoles du XXe siècle, l’exode urbain du XXIe siècle va repeupler les campagnes !
Certes, s’il s’agit de produire un étalement urbain sauvage pour ces bobos d’un nouveau genre, ce n’est pas la peine*, et si c’est pour apporter des embouteillages là où il n’y en avait pas, ce n’est pas la peine non plus !
Souvenons-nous, il y a moins de deux ans, les Bus Macron n’y suffisant pas et ce dernier devenu président de la République, le gouvernement proposait déjà avec son « nouveau pacte ferroviaire » de sauver la SNCF non rentable à coups de nouveaux milliards d’investissements – 3,6 Md€ par an pendant une dizaine d’années – et d’autres milliards cachés sous le tapis de la dette de 54,5Md€ (dont 23Md€ issus du coût de construction des lignes à grande vitesse) ! Une réussite ce pacte, d’ailleurs soulignée, juste avant l’arrivée du Covid-19, par des grèves monstrueuses dans les transports, dont la plus longue de l’histoire de la SNCF. Pour le coup, les marcheurs étaient à pied !
Pour la SNCF déjà, l’argumentaire était essentiellement comptable. De fait le rapport Spinetta, du nom de Jean-Cyril Spinetta, l’ancien PDG d’Air France – KLM, rendu public quelques mois plus tôt préconisait de concentrer les investissements sur les lignes les plus fréquentées, c’est-à-dire 90 % des voyageurs sur 30 % du réseau.
Pour le reste, aux régions de se débrouiller désormais avec leurs réseaux décatis déficitaires et ouverts d’ici peu à la concurrence. En clair, dans les campagnes, un service public de transport par train, « ça coûte un pognon de dingue ».
En plus il n’est pas même sûr que le train soit très écolo. Certes pour les Franciliens et sur les lignes les plus fréquentées le bilan carbone est largement positif mais la réalité est autre à l’échelle du territoire. Non seulement le taux de remplissage des trains ne dépasse guère 25% mais, comme tout le réseau n’est pas électrifié, ce sont des berlines Diesel qui tractent les milliers de tonnes d’acier de haute technologie, et encore, nécessaires au transport de 30 passagers qui ensemble et tout mouillés pèsent moins de deux tonnes !
Il demeure que des centaines de kilomètres de voies sont sous utilisées, voire carrément désaffectées. Les maires ruraux peuvent bien protester de n’avoir plus qu’un train par jour, à 6h40 le matin, l’infrastructure est souvent obsolète – souvenez-vous de l’accident de Brétigny-sur-Orge en juillet 2013 parce que les voies n’étaient pas assez larges ! – et sa remise en état trop coûteuse. Et puis, finalement, comme s’interrogeait finement le rapport Spinetta, « il paraît impensable de consacrer près de deux milliards d’euros à seulement 2% des voyageurs et le maintien de lignes héritées d’une époque où le transport ferroviaire était l’unique moyen de déplacement doit être revu ». CQFD
Toutefois, l’avantage des voies ferrées, même inexploitées, est qu’elles proposent une infrastructure dédiée presque parfaitement isolée du réseau routier et des dessertes rurales déjà existantes qui pourraient être facilement accessibles par des navettes autonomes. Se souvenir que 90% de la population vit à moins de 10 km d’une gare.
La technologie existe et est même parfaitement maîtrisée. Je ne parle pas de ces voitures autonomes bardées de caméras qui ne résolvent rien ni du point de vue de la congestion ni des ressources de la planète mais de ces navettes autonomes qui existent déjà partout. Les lignes automatiques du métro à Paris en sont un exemple et, en modèle plus réduit, quasiment tous les aéroports d’envergure ont leur propre mini-métro automatique.
L’idée est ici de simplifier encore le principe à l’échelle de l’utilisateur. Comme aujourd’hui, il pourrait commander son billet sur Internet mais, en l’occurrence, c’est lui qui choisirait l’heure de son départ, à plus ou moins 5 minutes selon la densité du trafic, le jour, la nuit, le matin, le soir, peu importe. A l’heure dite, le passager se fait ouvrir avec son téléphone ou son ticket les portes de la gare et du sas d’accès au quai qui pourraient ressembler à ces nouveaux sas de contrôle des aéroports. Leur nacelle de deux ou quatre places, avec ou sans bagages, garée précisément, les passagers n’auraient plus qu’à embarquer pour leur destination précise, la grande ville pour son offre culturelle ou un petit bourg à 20 kilomètres pour aller voir Mamie et Papi. Dit autrement, voyager aussi bien que des bagages dans un aéroport puisque Spinetta dans son rapport offre la comparaison du voyage en train avec celui du voyage en avion. Il s’agirait en somme, dans un champ horaire illimité, du Uber du transport public en zone rurale ou semi-rurale, limitant d’autant, et écologiquement, l’usage de la voiture et des bus.
Quant au coût de ces équipements, évidemment que ça coûterait une blinde de développer des prototypes puis produire des modèles – mais penser tout de même aux économies en termes de frais de personnel, Uber sans avoir à payer les chauffeurs, c’est une super affaire – et il suffirait de quelques-uns de ces milliards destinés à sauver la France pour lancer des premiers projets industriels et apprendre en avançant. De fait, les TER actuels qui crachent leur diesel sont déjà largement subventionnés. Pour info, le prix d’un train régional neuf en Europe se situe autour de 30.000 € la place assise ! A part ça, une formule 1 électrique est capable de tourner deux heures à fond les manivelles sans recharge !
Quant à la gestion de ces nacelles électriques, autonomes et automatiques, serait-elle à peine plus difficile que celle des Vélib à Paris ? Chaque gare disposerait d’un stock de nacelles et d’une boucle de transfert, il y aurait moyen, avec un zeste d’intelligence artificielle, d’affiner au fil du temps cette gestion du matériel pour des voyages toujours plus performants et individualisés. De l’intérêt d’un service local en lieu d’un gros machin jacobin !
Quoi qu’il en soit, qu’elle est l’alternative ? En 2010, l’Etat déjà s’employait à sauver la SNCF en désaffectant des voies alors, à tout prendre et quitte à dépenser des milliards, au moins tenter quelque chose de nouveau. En tout cas ces nacelles seraient bien moins chères à concevoir, à construire et à exploiter que les Louison proposées par Alstom, Bombardier ou Siemens.
Douce rêverie ? Elon Musk est capable d’envoyer deux types sur la station spatiale dans une Tesla de 4m² et nous ne pourrions pas transporter les deux mêmes entre Mazamet et Castres à 2 heures du matin sans déplacer des tonnes de ferraille à un coût prohibitif ?
S’il s’agit de sauver l’industrie française, si c’est parti comme à la SNCF, la réponse est non.
Christophe Leray
* Voir notre article Viens chez moi, j’habite le jardin du voisin