Au cinéma, au fil des années, le personnage de l’architecte n’est jamais anodin. Les plus grands cinéastes l’ont mis en scène, de Fritz Lang à Cédric Klapisch sous les traits de Gary Cooper et de Lambert Wilson. Tantôt farfelu, tantôt angoissé, souvent architecte jusque dans sa vie privée, le 7eme art a su rendre hommage au fil des décennies à un personnage surtout romantique, ne le muant jamais en poncif. Galerie de portraits cinématographiques.
Les années 30′ : l’architecte romantique. Peter Ibbetson, de Henry Hathaway, 1935
Gary Cooper est Peter Ibbetson
Dans la riche société de l’Angleterre du XIXe siècle, l’architecte londonien Peter Ibbetson est hanté par le souvenir de son idyllique enfance parisienne avec Mimsey, une petite voisine dont il était fortement épris. Sans enthousiasme, il se rend dans le Yorkshire pour la construction de nouvelles écuries. Après une prime rencontre tendue, il s’éprend progressivement de la duchesse Mary. C’est alors que Mary et Peter découvrent qu’ils ont retrouvé leur amour d’enfance. Piqué dans son amour-propre par leur romance, le duc pointe son pistolet sur son rival qui, en se défendant, le tue accidentellement. Le romantisme du début cède progressivement à un surréalisme qui fera dire à André Breton que Peter Ibbetson est «film prodigieux» qui montre le «triomphe de l’amour fou et de la pensée surréaliste». Les qualités d’architecte, somme toute médiocres, de Peter Ibbetson ne peuvent s’exprimer dans la réalité de la construction. En revanche, ses rêves éveillés n’en finissent pas d’échafauder un foyer pour Mimsey et lui-même.
Les années 40′ : l’architecte séducteur. Le Secret derrière la Porte (Secret Beyond the Door), de Fritz Lang, 1948
Michael Redgrave est Mark Lamphere
C’est au Mexique que Celia Barett, jeune héritière, croise le regard de Mark Lamphere. Sous le charme de cet homme elle décide de l’épouser. Lors de la cérémonie, elle se rend compte qu’elle ne sait rien de lui si ce n’est qu’il est architecte et directeur d’une revue en difficulté financière. Elle découvre que son mari a également une étrange passion : il collectionne des chambres dans lesquelles des meurtres ont eu lieu. Cependant, l’une de ces pièces est toujours fermée à clé, et le mari refuse d’en parler : y a-t-il un secret derrière la porte? Dans ce conte à la fois baroque et freudien, Michael Redgrave «reconstitue des pièces où un crime a eu lieu, avec leur mobilier original, et les fait visiter à ses invités».
Les années 50′ : celles de l’architecte kitsch ! Le Tigre du Bengale et Le tombeau Hindou, Fritz Lang, 1959
Paul Hubschmid est Harald Berger
L’architecte Harald Berger se rend dans la ville imaginée par Fritz Lang, Eschnapur, en Inde. Le maharajah Chandra souhaite faire des travaux dans son palais. En chemin, l’homme de l’art sauve une danseuse, Seetha, des griffes d’un tigre. Ils ne tardent pas à tomber amoureux l’un de l’autre. Harald Berger reçoit l’aide d’Azagara, un architecte indien formé en Occident. Pendant leurs explorations, dans les souterrains, destinées à conforter la construction des bâtiments, ils se trouvent à proximité du temple de la Déesse. Des films tellement hors des genres et de la filmographie du père d’M le Maudit que Scorsese en dira «qu’ils ressemblent à de la peinture en mouvement».
Les années 70′ : l’architecte et la lolita. Breezie (Breezy) de Clint Eastwood, 1973
William Holden est Franck Harmon
Frank Harmon, un architecte quinquagénaire, est établi à Los Angeles. Un jour, il prend en stop une jeune fille de 17 ans, Breezy. D’abord indifférent, l’homme de l’art cynique se laisse peu à peu séduire par la grâce adolescente et la malice de cette jeune «hippie». Cette image-là, seule une poignée de spectateurs français a pu la découvrir en mars 1975 dans l’unique salle parisienne qui projeta le film lors de sa sortie. Pourtant, ce troisième film de Clint Eastwood, calamiteux au box-office, signe l’une des premières chroniques intimistes et mélancoliques dont lui seul a le secret. Et puis des histoires pareilles, ce n’est pas en France que ça arriverait.
Les années 80′ : l’architecte passionné et obsessionnel Le Ventre de l’architecte (Belly of an architect), Peter Greenaway, 1987
Brian Dennehy est Stourley Kracklite et Lambert Wilson est Caspasian Speckler
Stourley Kracklite, un architecte américain, est invité à Rome pour organiser une exposition sur l’architecte français Etienne-Louis Boullée. Très vite, Kracklite se rend compte qu’un autre architecte, Caspasian Speckler, complote pour lui arracher le projet tout en faisant la cour à Louisa, sa femme. Les monuments de Rome se transforment alors en un enfer de marbre dans lequel Kracklite, qui souffre de terribles maux de ventre, erre désespérément dans la ville, alors que le contrôle des événements lui échappe. Le spectateur vit le personnage. Il a presque aussi mal que l’architecte. Les latences prennent réellement au ventre. Un film à voir et revoir avec (dé)plaisir tant pour la partition entêtante du compositeur Wim Mertens, que pour Boullée, architecte qui en demeure la figure obsessionnelle.
Les années 90′ : l’architecte et le politique. L’Arbre, le Maire et la Médiathèque d’Eric Rohmer, 1992
Pascal Greggory est le maître d’ouvrage
A partir de l’ambition du maire d’un village de faire construire une médiathèque, ce film est une fable politique et une réflexion ironique sur le rôle du hasard dans l’Histoire, en l’occurrence celle de Julien Dechaumes, maire socialiste de Saint-Juire, un petit village de Vendée. Ce dernier rend visite au beau-frère de sa cousine, rédacteur en chef d’un magazine mensuel de gauche intitulé Après-Demain, afin d’obtenir son appui médiatique. A cette occasion, Julien fait la connaissance de la journaliste Blandine Lenoir qui, séduite par sa démarche, décide de lui consacrer un article. Elle se rend à Saint-Juire pour interviewer les habitants et rencontre l’instituteur Marc Rossignol, violemment opposé au projet notamment à cause de l’abattage d’un magnifique arbre centenaire que la construction d’un tel bâtiment entraînerait…
Les années 2000 : l’architecte stakhanoviste. Paris de Cédric Klapisch, 2008
François Cluzet est Philippe Verneuil
Au centre d’un film choral où se croisent les destins de Parisiens, il y a Romain Duris, danseur malade du cœur, entre le quotidien et la contemplation. A ses pieds, par-dessus les toits, Pierre regarde la ville comme pour la première fois… Autour de lui, gravite une mélopée parisienne de personnages qui le rend plus vivant. Parmi eux, l’architecte Philippe Verneuil, obsédé par son chantier parisien et sa carrière dans son bel appartement moderne avec terrasse et vue sur tout Paris.
Les années 2010 : une histoire de l’architecture et de famille. Lullaby to My Father d’Amos Gitai, 2012
L’architecture représente les transformations de la société et ceux qui donnent forme à cette architecture. Le film suit le parcours de Munio Gitaï, le père du cinéaste, né en 1909 en Silésie, en Pologne. A l’âge de 18 ans, Munio part à Berlin et à Dessau pour aller rencontrer Walter Gropius, Kandinsky et Paul Klee au Bauhaus. En 1933, le Bauhaus est fermé par les nazis, qui accusent Munio de trahison envers le peuple allemand. Munio est emprisonné, puis expulsé à Bâle. Il part pour la Palestine. A son arrivée à Haïfa, il entame une carrière d’architecte et il adapte les principes européens modernistes au Moyen-Orient.
Bonus transversal sur deux siècles : une histoire de vie et de (presque) mort. The man who built Cambodia de Haig Balian et Christopher Rompré, 2015
Ce film explore le destin de l’architecte cambodgien Vann Molyvann. La vie et la pratique de Molyvann ainsi que son idéal d’une «nouvelle architecture Khmer» dans les années 50-60 coïncident avec l’émergence turbulente du Cambodge moderne, indépendant. Après ses études à Paris, il est pris par l’envie de donner forme à des villes nouvelles dans tout le pays mais, lors du coup d’Etat des Khmers Rouges en 1970, il devient persona non grata et il est contraint de fuir. Il trouve asile en Suisse. A son retour au Cambodge en 1991, c’est un pays mentalement et physiquement dévasté qu’il retrouve. Beaucoup de ses édifices sont détruits ou à l’abandon. Les ruines, témoins des siècles…
Alice Delaleu