Tous les mois, le journaliste Augustin Trapenard s’installe derrière les écrans avec son émission littéraire 21cm, tandis que François Busnel squatte chaque semaine la 5 en début de soirée avec La Grande Librairie. Pendant ce temps, les prix littéraires n’ont jamais eu aussi bonne presse. Le public est au rendez-vous fixé par les écrivains. Si la très élitiste littérature a su s’inviter dans les foyers, à quand une émission « 21 mètres » pour parler d’architecture au grand public ?
Les grands médias ne distillent pas l’architecture comme ils s’intéressent à la musique, au cinéma, à la littérature ou à l’art contemporain. C’est un fait. Pourtant l’architecture est encore plus universelle que les livres ou le cinéma. C’en est un autre. Elle concerne tout le monde. Chacun a un toit sur la tête, un lieu de travail construit, emprunte routes ou transports pour relier les deux et vivre sa vie.
Alors même que la cuisine, pour citer un autre exemple, a su totalement se réinventer, il est encore rare de découvrir, au détour d’une brève le plus souvent, des mentions d’architecture dans les quotidiens les plus installés. Et quand le miracle se produit, le nom de l’architecte passe rarement à la postérité, comme en témoigne cet article paru dans Ouest-France, relatant, Youpi !, que le Dôme de Caen* avait été récompensé d’un nouveau prix. D’architecture le prix en plus ! Alors l’architecte c’est, c’est, c’est ? Ben va falloir chercher ma bonne dame ! Pourtant Bruther architectes, ce n’était pas bien compliqué à trouver, ils sont dans l’annuaire … **.
Nouvelle preuve s’il en faut que l’architecture plus quotidienne et «provinciale» n’intéresse pas, du moins pas le journaliste qui préfère généralement des articles saignants à propos de millions gaspillés. Même Télérama a poussé le vice jusqu’à publier un article de plusieurs pages sur la U Arena de Nanterre quelques jours avant son inauguration par Les Rolling Stones, sans jamais citer Christian de Portzamparc. Porzy ? Un illustre inconnu ? Peut-être finalement.
Aujourd’hui la vie réelle, enfin celle de ‘Touiterre’, ‘Fait-ce-bouc’ et autres ‘Hein-ces-grammes’, fait la part belle aux belles photos. Les influenceurs se font égéries touristiques dans les plus belles maisons d’architectes du Brésil à l’Afrique du Sud. Les musées du monde entiers s’offrent le coup de crayon des Pritzkers encore en vie. Mais où est l’architecture devant chez moi ? Celle qui nous fait tous vivre, habiter, dormir, travailler.
Alors à quand une émission qui ne serait pas programmée aux aurores le dimanche matin ou dans les tréfonds de la nuit noire à l’heure où même les insomniaques piquent du nez ? Quand l’archi s’invite dans les JT c’est pour distiller une architecture du fantasme, bien loin de la réalité quotidienne. Quand un architecte s’offre une tribune, c’est dans le Monde ou le Figaro, pas sûr que le commun des mortels la voit passer.
A l’heure des grands-messes télévisuelles, Frédéric Taddei avait réussi l’exploit de réunir toute la famille pour quelques minutes entre le JT et la météo avec son émission D’art D’art, soit un jour une œuvre d’art, tel était le slogan. Diablement efficace ! Sinon un «D’ar-chi, d’ar-chi», un jour une visite ?
L’architecture n’est pas grand public. Pourrait-elle le devenir ? A quand des annonces «A vendre bel appartement traversant dans un immeuble signé Chartier-Dalix» ou «mes enfants vont dans une école dessinée par les architectes Nathalie Franck et Yves Ballot, tu sais les architectes qui ont gagné l’Equerre d’argent…»
Tiens et L’Equerre d’Argent alors, ce prix qui se présente comme le Goncourt de l’architecture. Un prix aussi qui choisit en 2017 la facilité de la récompense d’un déjà multi reconnu (Renzo Paino, en fait l’Equerre c’est plutôt le Nobel ?) tout en choisissant de ne pas choisir dans la catégorie la moins spectaculaire, mais celle qui parlerait au plus grand nombre : le logement !*** De la prétention au mépris il n’y a qu’un pas. Un prix indiscutable semble pourtant nécessaire à une profession en manque de repères, de modèles et de cohésion. De là à imaginer une manifestation, un «event» qui draine tout le ban et l’arrière-ban de l’architecture contemporaine, comme il y a encore dix ans… ça va, chaque architecte y pense un peu !
Les prix, qu’ils soient de musique, de cinéma, de littérature, de cuisine, sont suivis d’un branle-bas médiatique de haute volée. Les victoires de la musique, les festivals de cinéma à Cannes ou Berlin, les prix littéraires qu’ils s’appellent Goncourt, Nobel ou Pulitzer sont certes souvent très commerciaux mais ouvrent des horizons et déverrouillent les portes à un public novice mais volontaire.
Sans pour autant tirer vers les bas la production, il fallait s’armer d’une valeureuse encyclopédie pour accéder à toutes les qualités du roman « Boussole », de Mathias Enard, récompensé du prix Goncourt en 2015. Si le prix Nobel de littérature 2017 remis à Yasunari Kawabata, donne à ouvrir les frontières des cultures, alors pourquoi l’architecture ne peut pas réussir le même exploit ?
L’an dernier, le conservateur suédois d’art contemporain à une lichette du ‘burn out’ de « The Square » avait remporté la Palme d’Or. A quand un Ours (un ourson en guimauve au moins) qui caricaturerait un peu moins nos hommes en noir ?
Les architectes eux-mêmes sont-ils seulement capables de communiquer leur art, et ont-ils envie de le démocratiser ? Sont-ils capables de trouver les mots pour décrire leur profession, souvent perçue comme élitiste, d’une façon accessible au plus grand nombre, et de démontrer enfin que l’architecte, bien loin d’une fantasmatique table à dessin, s’intéresse avant tout aux besoins de tous ? C’est peut-être même le dernier !
Il est vrai que l’architecte n’est pas le meilleur des communicants. Déjà qu’il doit rentrer en contact avec les maîtres d’ouvrage et qu’il y a souvent de la friture sur la ligne, pas la peine d’attendre de nos constructeurs ‘teasings’ et autres ‘trailers’ de leurs bébés en devenir. Les architectes en France n’ont pas la chance des artistes repérés par Obama. Ils ne bénéficient pas de la vitrine d’une interview présidentielle pour offrir un coup de projecteur bien senti sur Shepard Fairey dont l’oeuvre Obey trônait en bonne place à côté d’un Alechinski. Et l’architecture, ce n’est pas chic Monsieur le Président français ? Pourtant ça fait pas mal jaser, caqueter, causer dans nos gazettes.
L’art contemporain est supposé être mégagigacool (#jekiffegrave) ? L’ar-chitecture est supposée s’adresser aux édiles (#ouvalemonde) ? En 6 mois, le Domestikator de Van Lieshout et « le bouquet » de Jeff Koons ont fait la Une de magazines du monde entier…
Trêve de billevesées ! A-t-on finalement envie que l’architecture devienne grand public ? C’est encore bien snob de raconter en ville son séjour à la biennale de Venise que le tout-venant ne fréquente guère. Prière de s’équiper en cartons VIP et de ne pas passer par la porte des vulgaires payants. Bon le visiteur vénitien pourra se réjouir que certaine grandes manifestations ne dégénèrent pas en Eurovision du parpaing.
Au moins, l’architecture a le bon goût de rester l’expression d’un métier exigeant et d’une passion, un bastion de la pensée aussi. Au risque de l’entre-soi sans doute.
Alice Delaleu
* Le Dôme, une cité des sciences translucide mais pas invisible
**Un nouveau prix d’architecture pour le dôme
*** Voir notre article Equerre 2017 : sauf coup de théâtre, Renzo PPPiano