Les rapports entre architectes sont parfois houleux, les cocktails bruissent de rumeurs mauvaises entre ceux qui jalousent, font des coups bas, ou dénigrent le travail des autres avec énergie. Y circulent aussi des récits positifs, joyeux et prometteurs. Que cela dit-il de nos relations confraternelles ? Journal d’une jeune architecte.
Cette semaine, un matin, dans un café parisien, j’ai rendez-vous avec une de nos anciennes enseignantes, appelons-la Carole. Elle parle du fait qu’elle a été beaucoup sollicitée par d’anciens étudiants de diverses générations au cours de ces dernières années. Elle explique qu’enseigner, c’est aussi être le dernier référent et donc la personne avec qui évoquer ses problématiques, exposer ses doutes, parfois même demander de l’aide.
Le projet proposé ce matin-là par Carole est de structurer et de créer l’occasion de moments ouverts pour partager collectivement ces questionnements épars d’étudiants et jeunes professionnels.
L’idée est une forme de réunion d’entraide et de réflexion entre jeunes et moins jeunes architectes. Définir en un lieu, un moment de bienveillance, où chacun peut selon les thématiques se sentir concerné. Carole nous demande, à mon associée et moi-même, si nous pouvons l’aider à définir et organiser ces moments.
Nous sommes déjà un peu débordées et pourtant notre réponse est un grand OUI ! Il n‘est pas question de ne pas aider à la création d’évènements de ce type. Pourquoi ? Parce que nous nous rendons compte que sans la bienveillance de pairs architectes plus expérimentés pour répondre à nos doutes, guider nos choix, nous recommander, nous pousser, nous n’en serions pas là aujourd’hui.
Bienveillance ? Entraide ? Le jeune architecte est-il accompagné et encouragé ? Peut-il se passer d’entraide ? Est-il vraiment à l’abri lors de ces relations confraternelles ?
Architecture sport fratricide
En réfléchissant à la bienveillance entre architectes, je me demande pourquoi cela est même un sujet : n’avons-nous pas un devoir de confraternité ? Et puis, architectes ou non, il y aura toujours des gens mauvais et avides quand d’autres seront plus humains et ouverts. Qu’est-ce qui pousse des architectes à n’être pas acteur d’une entraide ?
Je me dis que depuis l’école d’architecture nous sommes finalement peut-être conduits à appréhender l’autre comme la jauge de notre propre travail. Il y a peu j’entendais des étudiants m’expliquer : « dans notre groupe de copains, c’est la course à celui qui sera le meilleur en projet », « impossible, je n’arrive pas à croire que machin ait une meilleure note, j’ai plus travaillé », « les profs m’ont dit qu’il avait un projet qui fonctionnait mieux que le mien, du coup j’ai juste fait un système qui ressemble un peu au sien ».
En toile de fond, il s’agit bien d’une lutte pour sortir du lot et avoir un travail qui se démarque. Lorsque plusieurs étudiants produisent sur le même site avec le même programme, les différents travaux sont généralement jaugés, opposés les uns aux autres. S’agit-il alors déjà d’une forme de mise en compétition entre pairs ? Générant un pli que nous garderions dans nos pratiques futures ? Devrions-nous repenser les systèmes de notation afin d’induire la notion qu’il y a autant de réponses que d’élèves ? Qu’il n’y ait finalement pas de réponse attendue et que la notation provienne plutôt d’un process visant à acquérir des compétences ?
Soraya, mon associée, me rappelle qu’il existe des systèmes éducatifs beaucoup plus compétitifs que ceux des écoles d’architecture ; en comparaison à la médecine, nous n’avons pas de classement numéroté par exemple.
Il est vrai de plus que les projets sont souvent comparés afin de mettre en lumière les variations et les similitudes sans pour autant chercher à déterminer un travail meilleur que l’autre. Pour ma part j’ai ressenti de la compétition lors mes études, mais aussi énormément d’entraide intergénérationnelle : système d’atelier, apprendre les logiciels ensemble, se serrer les coudes en cas de difficultés, etc.
Pour autant, il est vrai aussi que, dans le monde du travail, nous sommes beaucoup opposés et mis en compétition entre architectes, alors n’est-ce pas une préparation à la réalité de notre métier ?
Une fois sortie de l’école, cela ne fait effectivement que se complexifier car il ne suffit plus d’avoir une note suffisante pour avoir son semestre, faire partie du haut du panier ne fait pas gagner un concours, il faut simplement être LE ou LA meilleure !
Il faut avoir le projet le plus singulier, le plus pertinent, les références les plus justes et aussi parfois le meilleur chiffre d’affaires… Alors ce système dans les écoles ne nous apprend-il pas finalement à nous battre pour avoir accès à certaines commandes ?
Dans cette « guerre » (toutes proportions gardées), les ennemis sont malheureusement nos amis, nos collègues, nos anciens professeurs, etc. Ceux avec qui nous devrions ne former qu’un seul corps (de métier) sont aussi ceux de qui nous devons nous distinguer.
Cela fait-il de nous des opposants ou de sains compétiteurs ?
Bienveillance comme évidence
À lire cet article, Léa, une collaboratrice de l’agence, se montre assez dubitative quant au choix de cette thématique. Elle me demande : « As-tu déjà été confrontée à de la malveillance de la part d’architectes ? ». Et bien non, comme écris plus haut, cela a plutôt été l’inverse. Compétition n’est donc pas synonyme de malveillance et, à regarder ces quelques années passées dans le monde professionnel, la bienveillance à notre égard de confrères et consœurs est déterminante dans notre réussite.
Lorsque l’on est jeune architecte, il faut qu’un jour quelqu’un accepte de nous faire confiance sans avoir autant d’assurances qu’avec un architecte plus expérimenté.
Soraya et moi-même faisons partie de ceux qui ont commencé par de petits projets et qui essaient à chaque réalisation de passer à l’échelle supérieure. À chacun de ces changements d’échelle, il n’est pas simple de rassurer les maîtres d’ouvrage, peut-être même qu’il n’était parfois pas simple de nous rassurer nous-mêmes face à de nouvelles typologies de projets jamais réalisés.
Ces étapes ont souvent été franchies grâce à des architectes plus expérimentés qui nous ont accompagnés et se sont portés garants de notre sérieux. Ils nous ont permis d’accéder à la commande, mais aussi de prendre confiance en nos capacités.
La plupart n’avaient pas ou peu de profit à tirer de ces collaborations alors pourquoi les ont-ils faites ?
Il me semble que cela était souvent guidé par l’envie de nous donner notre chance ; certains préférant donner un projet à un jeune plutôt que de le refuser quand d’autres souhaitent aujourd’hui seulement aider et transmettre. Et puis il y a toutes les rencontres qui rendent possibles de nouvelles collaborations.
Finalement c’est aussi grâce à la confiance et la bienveillance de certains enseignants que nous avons pu faire nos premiers jurys, puis nos premiers enseignements. L’écriture de ces Chroniques ne faisant également pas exception.
Merci alors à ces confrères et consœurs qui nous ont aidés et qui nous accompagnent encore aujourd’hui. Je pense que, de façon intrinsèque, nous ne pouvons pas nous passer les uns des autres.
Jeunes architectes écoutez vos pairs, soyez sincères sur vos besoins, parlez de vos doutes et osez aller demander de l’aide : des mains ne manqueront certainement pas d’être tendues.
Attention cependant à n’être pas dépendant de la bonne volonté des uns et des autres !
Et c’est reparti !
Curieux métier…
Estelle Poisson
Architecte — Constellations Studio
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