Bien que francilien et très parisien, un référencement exceptionnel permet désormais de distinguer plus de 500 agences françaises et étrangères qui seront amenées à construire l’avenir du pays.
Le 23 mai 2023, au Pavillon de l’Arsenal à Paris, la Société du Grand Paris (SGP) et ses partenaires ont restitué les résultats de l’appel à manifestation d’intérêt (AMI) lancé en 2022 à destination des architectes et paysagistes. L’objectif était de « référencer » les agences souhaitant « participer à la réalisation du programme de développement urbain et immobilier des quartiers de gare du Grand Paris Express ».
Il s’agit pour la SGP de partager ses « ambitions pour les quartiers de gare, les modalités de consultation et les prochaines étapes pour construire ensemble la ville de demain ». Il est clair qu’à ce titre un référencement s’impose, ne serait-ce que pour savoir qui a déjà construit une gare puisque des références ad hoc sont désormais requises pour toutes les équipes de maîtrise d’œuvre, surtout pour des chantiers si prestigieux appelés à durer des siècles. Alors si les architectes le souhaitent…
En tout cas, les chiffres font saliver : « Dans les quartiers de gare du Grand Paris Express, 32 millions de m² (surface de plancher) vont être aménagés. La SGP contribuera à la réalisation d’une centaine de projets représentant une surface de plancher totale d’1 million de m² dont 8 000 logements et 400 000 m² d’activités, commerces et services qui seront réalisés d’ici à 2030 ».
Une centaine de projets d’ici 2030 sont agités. Sachant que finalement il n’y en aura qu’un en 2023 et un seul autre en 2024 mis en compétition, cela fait supposément une grosse dizaine de projets par an jusqu’à la Saint-Glinglin. De quoi pour les femmes et hommes de l’art prendre le temps de préparer un dossier coton, avec les références et tout, afin de référencer l’agence parmi l’élite qui sera appelée au développement de l’Île-de-France en particulier, de la France en général.
C’est ce qu’explique la SGP. « Ce référencement va permettre de fédérer une génération d’architectes et de paysagistes engagés sur les enjeux de la transition écologique et de faciliter la mobilisation des agences pour les futures consultations. Il sera mis à disposition de Grand Paris Aménagement (GPA) ».
Cette liste sera supposément actualisée tous les trois ans. Et pour les futurs bannis, seulement une station de tramway ?
Il y avait donc foule à l’Arsenal pour l’annonce des lauréats. De fait le Pavillon n’aurait jamais pu contenir tout le monde puisque ce ne sont pas moins de 518 agences d’architectes et de paysagistes, dont 43 étrangères qui n’ont pas fait le voyage, qui ont finalement été référencées. Excusez du peu ! La SGP en aurait sélectionné 2 000, elle aurait pu louer Bercy !*
Plus de 500 agences ! C’est un nombre encore supérieur à celui du classement du magazine d’a des 400 premières agences françaises ayant réalisé en un an plus d’1M€ de chiffre d’affaires. Il va donc bien falloir finalement se convaincre de l’excellence de l’architecture française puisque, après l’analyse précise de 4 573 bâtiments, il a suffi au jury**, ci-après nommé conseil scientifique, d’élargir les critères pour surtout ne mécontenter personne. La preuve, les agences sont toutes là ou presque ! Même les Grand Prix nationaux d’architecture, qui n’ont pas été à telle fête depuis longtemps, et les académiciens(ne)s, idem, sont retenus ; c’est dire si l’auberge espagnole est généreuse comme il faut et non discriminante en fonction du sexe, de la race ou de l’âge du capitaine.
À tout prendre, pour obtenir ce résultat, il suffisait d’acheter d’a, ce qui ne coûte pourtant pas cher et permet de soutenir la presse d’architecture, et toutes les réponses étaient déjà là pour qui s’intéresse. En plus, tous les ans sans faillir, ce classement, d’a l’établit sans frais pour le contribuable.
Parce qu’il faut compter le temps passé par de multiples fonctionnaires – de la rédaction de l’AMI jusqu’à la fine analyse de plus de 4 000 références et la sélection torride de 500 agences – tout ça en temps et en heure parfaitement utiles car passés à réinventer l’annuaire !
Comme si Internet n’existait pas. Parce que les promoteurs, ils sont un peu cloches. S’ils n’ont pas une liste de 500 noms, ils ne savent pas quoi faire au moment de choisir leur architecte.
Car il s’agit bien en effet de projets conduits sous le régime de la copromotion. « Les sociétés de copromotion constituées pour chaque site par la filiale « Société du Grand Paris Immobilier » et un promoteur préalablement désigné, s’appuieront sur les acteurs référencés par l’AMI pour mener des consultations de maîtrise d’œuvre restreintes pour les projets urbains et immobiliers ». C’est qui le chef ? Aux « acteurs » d’apprendre leur rôle.
Dit autrement, le référencement, qui permet de mettre en concurrence « restreinte » quelques équipes choisies, est une autre façon de dévoyer le concours d’architecture, le copromoteur faisant bosser qui il veut selon la voix de son maître. C’est l’aboutissement des PPP (partenariats-Public-Privé), l’étendard de la loi ELAN qui signe pour des projets (semi-publics) prestigieux la fin des concours du type « que le meilleur projet gagne ».
Que l’on se rassure cependant puisque la SGP « portera une attention particulière à la réduction de l’empreinte carbone des constructions, à la qualité des logements et à l’accueil de la nature et de la biodiversité dans les quartiers de gare ». Si ce n’est pas touchant !
La preuve que cet AMI ne veut que du bien aux architectes, la SGP n’en peut plus de courbettes justificatrices. Ce référencement, au service de la stratégie urbaine de la SGP, n’est rien moins qu’une « déclaration de confiance pour la profession de l’architecture et du paysage », indique Jean-François Monteils, président du directoire de la Société du Grand Paris. Parce que la confiance n’est pas déjà là ? « Notre ambition, partagée par les architectes et paysagistes référencés, est de réussir l’insertion urbaine des nouveaux programmes », poursuit-il. Parce que sans architecte référencé, l’insertion urbaine est à ce jour habituellement ratée ?
On a connu hommage plus chaleureux.
Certes, dorénavant, les équipes de l’aménageur utiliseront la base d’architectes référencés pour les opérations immobilières de GPA en copromotion mais GPA tient également à réaffirmer à cette occasion « sa conviction profonde du rôle de l’architecte ». D’ailleurs, « à ce titre, l’établissement privilégie la mission complète et une juste rémunération des concepteurs, notamment en phase concours ». Ha, parce que la juste rémunération des concepteurs, à ce jour, cela ne va pas de soi chez ces gens-là ? Merci du « privilège » !
Fallait-il que la SGP et le GPA, dans un seul communiqué, insistent à ce point de leur bonne volonté architecturale ? N’est-elle pas d’évidence et d’intérêt général ? En substance, il est pourtant permis de lire : « Non, non, architectes, n’allez pas croire qu’une fois référencés, vous êtes soumis au bon vouloir des promoteurs, en fait, on vous adore, d’ailleurs j’ai moi-même une petite-nièce qui est architecte ».
À la fin, que signifie pour une agence d’être « référencée » de la sorte ? Elle est référencée ‘gymnases au lait cru’ et peut se voir retenue – une chance sur 500 – pour une salle de sport biosourcée à Trifouillis-les-Deux-Oies (Ile-de-France) ? Référencée ‘écoles réemploi’ – une chance sur 500 ? Référencée ‘gares passagères’ – idem ? Référencée ‘halles de marché post-Covid’ ? Référencée hôpital à 500 millions de dollars ? Référencée « étrangère », d’où la nécessité pour les élus de voyages d’études dans des pays accueillants ?
Certes, être référencé parmi 500 confrères et consœurs doit être une sorte de distinction et sans doute une invitation à l’innovation, à l’audace, à l’inventivité et au talent !
Il faut cependant raison garder et nul doute que pour choisir parmi les 518, en fonction du sens du vent et avec toute l’attention nécessaire portée au vivant, les promoteurs sauront le moment venu reconnaître les règles destinées à restreindre leurs options. Mais bon, au regard d’une liste qui n’existait pas, il ne sera pas dit qu’ils n’avaient pas le choix.
Surtout, de toute cette agitation d’élus de bonne volonté ne se dégage ni politique – de polis, la cité – ni cohérence dans une démarche qui implique pourtant le cœur battant de la France et ses millions d’habitants. Il s’agit juste en somme d’un nouveau blanc-seing accordé aux Majors du bâtiment et d’une liste aussi pompeuse qu’approximative de noms d’agences d’architecture, laquelle peu ou prou est pourtant accessible au prix d’un magazine en vente en kiosques.
Pour les promoteurs de l’évènement cependant, « ça c’est fait », comme on dit autour de la machine à café. Cette nouvelle élucubration devrait en tout cas permettre aux sociétaires du Grand Paris, avec plus de 500 grains à leur chapelet, de s’endormir sur leurs deux oreilles pendant au moins les trois prochaines années.
Christophe Leray
* Pour découvrir la liste des 518 lauréats, de [GOES]-PERON ARCHITECTES URBANISTES jusqu’à ZUO en passant par JACQUES BOUCHETON ARCHITECTE, NEXT ARCHITECTES PARIS et autres SCALÈNE ARCHITECTES.
** La Société du Grand Paris s’est entourée d’un conseil scientifique pour analyser les réponses à cet AMI et accompagner la filiale SGP Immobilier dans l’organisation des futures consultations de maîtrise d’œuvre architecturale pour l’ensemble de ses opérations.
Ce conseil scientifique est composé de :
– Alexandre Labasse, directeur général de l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR) ;
– Frédéric Quevillon, secrétaire général du Conseil Régional de l’Ordre des Architectes Île-de-France ;
– Loïc Pianfetti, représentant de la Fédération française du paysage ;
– Marion Waller, directrice générale du Pavillon de l’Arsenal ;
– Léa Mosconi, présidente de la Maison de l’architecture d’Ile-de-France ;
– Francis Rambert, chef du département de la création architecturale de la Cité de l’architecture et du patrimoine ;
– Jana Revedin, professeur HDR, présidente fondatrice du Global Award for Sustainable Architecture.