
L’architecture d’Avoriaz (Haute-Savoie), conçue par l’Atelier AAA au tournant des années ‘60, se révèle si durable qu’elle est encore en 2025 l’une des pionnières de l’architecture biomimétique. Chronique Altitude 1 160.*
Les stations de ski françaises ont fleuri au cours du XXe siècle. Nombre d’entre elles font aujourd’hui face aux dérèglements climatiques. Pourtant, certaines se distinguent, telle Avoriaz. station de Haute-Savoie impulsée par le champion de ski Jean Vuarnet, un enfant du pays, et livrée en 1965 par l’Atelier d’Architecture d’Avoriaz (Jacques Labro, Jean-Jacques Orzoni et Jean-Marc Roques), pour la Société Immobilière et de Construction d’Avoriaz, maître d’ouvrage – 209 000 m², pour un coût à l’époque d’environ quatre millions de francs.
En effet, dès 2013, la station recevait le prix ECO Award, récompensant « la station de ski la plus innovante au monde en matière de développement durable ». Pourtant, au premier regard, Avoriaz apparaît loin de l’image typique des chalets. Le projet, soutenu par Gérard Brémond, un promoteur au regard novateur, est dans un premier temps confié Jacques Labro qui s’entoure de deux autres architectes – Jean-Jacques Orzoni et Jean-Marc Roques – avec lesquels il crée l’Atelier d’Architecture d’Avoriaz (AAA). Leur idée ? Une station vernaculaire, mais « vernaculaire contemporaine », telle que la décrivait Jacques Labro. Les trois associés ont à peine la trentaine lorsqu’ils se lancent ce défi : une ville-ski sans voitures et des bâtiments qui se prennent pour des montagnes… au milieu des montagnes.
Ces jeunes architectes provoquent la surprise autour d’eux, voire le désarroi : pourquoi ne pas rester sur le bon vieux chalet de bois ? Pourquoi ces monticules boisés ? Surtout, à une époque où la voiture était reine, il en fallait, du panache, pour décréter qu’ici, tout se fera à skis. L’histoire montre que cette démarche était l’une des plus avant-gardistes du XXe siècle en matière d’écologie ?

Nouveau paradigme, à flanc de falaise
En pleine course à « l’or blanc », il fallait déjà une détermination sans faille pour s’implanter sur le plateau d’Avoriaz. À 1 800 mètres d’altitude, ces terres d’alpage étaient depuis des siècles le domaine des agriculteurs du Chablais. Plus bas, la station de Morzine, bien que moins ambitieuse, reposait sur des bases solides : chalets en pierre et en bois, routes pour les voitures, pistes pour les skis, et chemins piétons bien distincts.
À l’inverse, dans les cimes d’Avoriaz, l’affront à l’automobiliste est spectaculaire puisque la voiture est définitivement bannie de la station dès sa conception ; les pistes, les routes et les bâtiments se confondent. Cette conception innovante permet une intégration harmonieuse des infrastructures dans le paysage montagneux, offrant une expérience immersive aux visiteurs. Jean Vuarnet, visionnaire du projet, proposa même des déplacements en traîneau au sein de la station, allant jusqu’à faire venir des rennes de Laponie qui s’acclimateront à la station et s’y reproduisirent, avant d’être remplacés peu à peu par des chevaux jurassiens plus adaptés aux rues pentues. De fait, les acteurs du projet ont imaginé ensemble une station révolutionnaire où le skieur peut descendre la montagne tout schuss et rejoindre directement son logement dans une autre montagne. Autrement dit, le front de neige et les résidences sont directement reliés, nul besoin de déchausser. Et puis l’été, les descentes en VTT et les randonneurs remplacent les pistes et les snowboardeurs… Dès l’origine, un parti pris d’intégration paysagère toutes saisons confondues.
Plus atypiques encore, les bâtiments de béton et de bois imaginés par AAA, dessinés au fil du tracé des pistes, sont aussi pentus qu’une piste rouge.
Une architecture vivante
Au-delà de formes organiques inspirées des montagnes, Jacques Labro décrivait des bâtiments qui « respirent ». Le village des Dromonts est le premier ensemble bâti de la station. L’Hôtel des Dromonts est l’exemple même d’une architecture mimétique des montagnes. Un jour de neige, Jacques Labro expliquait ainsi au CAUE de Haute-Savoie devant l’Hôtel des Dromonts : « Tout à l’heure, il va être tout blanc. Dans le brouillard, on ne verra plus rien. Peut-être que demain, au soleil, il réapparaîtra et commencera d’ailleurs à fumer avec l’évaporation de la neige et on aura l’impression qu’il respire comme un être vivant ».
Après une grande inspiration nocturne, le bâtiment se révèle de nouveau chaque matin. Les façades, à nouveau visibles, sont enveloppées de cèdre rouge, autrement connu sous le nom de red cedar dans les matériauthèques. Bien que non local, ce bois résiste, vit et vieillit bien. Lorsque la neige a tiré sa révérence, il s’approche même, au fil du temps, de la teinte grisée des falaises, accentuant encore l’effet de mimétisme.

Les pierres utilisées, quant à elles, sont du pays. Les murs intérieurs sont parsemés d’une chaux plus que locale : celle-ci est récoltée au pied de la montagne morzinoise. À ce titre, la station d’Avoriaz remplit aisément les critères d’une architecture organique : formes inspirées du vivant, matériaux naturels et locaux, sensibilité accrue au contexte…
Pour autant, de nos jours, nous parlons bien plus de biomimétisme que de projets organiques, qui n’est pourtant que la continuité de l’architecture organique ? L’agence AAA faisait-elle du biomimétisme avant l’heure ? Avec le recul, il est permis de penser que ces coups de Rotring étaient les prémices d’un courant plus vaste… dont le fil rouge était l’imitation du vivant.
L’inspiration est symbolique du côté de l’organique ; le biomimétisme va titiller l’inspiration fonctionnelle et systémique. L’architecture des bâtiments est pensée comme un organisme au sein d’un écosystème aux interactions dynamiques (ressources, climat, biodiversité). Au-delà d’un vocabulaire scientifique et des calculs thermiques poussés du biomimétisme actuel, force est de constater que les architectes pratiquaient déjà sans en avoir conscience une forme de biomimétisme : formes fractales, verticalité naturelle, vieillissement contrôlé des matériaux. Le tout dans le cadre de la conception d’une station globale, insérant dans l’écosystème de la vallée d’Aulps sports de glisse, tourisme et logements.
Les créateurs de ce projet d’envergure avaient cinquante ans d’avance. Sans connaître la durabilité exacte de leurs idées, ils étaient motivés par un concept novateur : « Avoriaz est une utopie réalisée », a expliqué plus tard Gérard Brémond, le promoteur du projet.
Vision avant-gardiste dans les sixties, qu’en est-il aujourd’hui ?
Dans les années 1960, la question écologique était encore bien loin de faire l’unanimité. Les trois compères — promoteur, skieur et architecte — durent même tricher sur leur maquette pour vendre le projet puisque, à l’époque, les financiers leur rétorquaient qu’une station sans auto serait vouée à l’échec. Visionnaires, les banquiers ?
Accrochés à leur idée, les architectes finirent pourtant par en être récompensés : en 1968, ils reçurent le célèbre prix architectural Équerre d’Argent pour les premières constructions de la station.
Près de soixante ans plus tard, la transition écologique a le vent en poupe et les investisseurs l’ont bien compris. Le greenwashing ne se limite plus aux pubs télé : il entache aussi l’architecture. Au lieu de peinturlurer les bâtiments de murs végétaux cramés à la première canicule, il faudrait revenir aux fondamentaux. Le message de Jean-Jacques Orzoni, Jean-Marc Roques et Jacques Labro est toujours valable en 2025 : le site est le potentiel.
Aujourd’hui, les ouvrages conçus par AAA, intimement liés à leur contexte, restent confortables été comme hiver. Les essences choisies — red cedar et mélèze — maintiennent leur rôle structurel et continuent de s’approcher naturellement de la teinte des montagnes. Pionniers dans leur domaine, les bâtisseurs d’Avoriaz avaient pensé l’isolation par l’extérieur et des balcons coupés, limitant les ponts thermiques. Ils ont su anticiper ce qui, de nos jours, est une évidence en matière de performance énergétique.
Outre ses préceptes architecturaux, Avoriaz continue à faire école pour l’avenir des stations. Les activités se sont diversifiées : raquettes, VTT sur neige en hiver, VTT classique en été, randonnées, via ferrata, parapente, escalade… La montagne se découvre désormais toute l’année. Le dernier snowpark, The Stash, imaginé par Burton Snowboards, reprend l’esprit d’Avoriaz : des modules en bois local disposés entre les pins. Ainsi, l’installation mime une pratique hors-piste camouflée au cœur de la forêt des Lindarets.
Aujourd’hui encore, les architectes de la station poursuivent le travail de leurs prédécesseurs : s’inspirer de la nature et intégrer discrètement les installations humaines dans la montagne.
Que chacun soit sensible ou non à l’architecture de cette station alpine, nous devons rendre à Avoriaz ce qui est à Avoriaz : une architecture des années 1960-1970 si durable qu’elle est encore en 2025 l’une des pionnières de l’architecture biomimétique, en Haute-Savoie et ailleurs.
Marine Adam
Architecte D.E.
*Altitude 1160 sera la chronique de l’architecture de montagne, tant à travers les questions environnementales, de la réhabilitation du patrimoine rural que d’événements locaux. Marine Adam.