Chaque projet hospitalier relève d’une démarche purement individuelle car aucune prise de position commune capable de défendre un point de vue collectif n’a réellement pu émerger en l’absence de véritable débat. Chronique Sillages.
Jamais l’architecture hospitalière n’a fait autant parler d’elle. Alors que la promotion privée après de « belles années » fait aujourd’hui grise mine, mine que le MIPIM (le Marché international des professionnels de l’immobilier, foire commerciale qui se déroule annuellement en mars à Cannes) a tenté de ranimer en exposant maquettes et films de projets du futur. Le marché des projets hospitaliers quant à lui se porte bien. Domaine protégé par excellence, marché en constante évolution, il attise de nombreuses convoitises.
En révélant un certain nombre de faiblesses de notre système de santé, la crise du Covid a déclenché une nouvelle vague de programmes hospitaliers publics, « le Ségur de la santé ». Les conséquences de l’effet Covid ne se cantonnent pas à l’Hexagone, elles gagnent l’Europe, en particulier l’Italie, et également tout le continent africain (Maghreb, Afrique noire) particulièrement sous équipé. L’Afrique est même devenue un eldorado pour les architectes, associés souvent aux Majors du BTP, parfois chinois, pour réaliser de grands projets fréquemment pharaoniques détrônant les méga équipements de santé en Chine et dans les pays du Golfe. Avec pourtant beaucoup de déconvenues, par manque de financement notamment. Certaines entreprises préfinancent les projets, d’autres peuvent faire appel à des formules plus inédites comme le « barter » (troc ou, en l’espèce, préfinancement en échange de matières premières).
Profitant de cette dynamique constante depuis plusieurs années, nombre de manifestations se sont mises en place pour promouvoir ce domaine fructueux.
Hôpital expo (du 21 au 23 mai 2024) réunit sous le même toit, fournisseurs, entreprises, maîtres d’ouvrage publics et privés et programmistes, architectes, petites et grandes agences, venus les rejoindre. Dans un contexte de marché global, les débats sur la couleur de la moquette ou la marque du lavabo côtoient les louanges sur les dernières réalisations architecturales. Tout est au même niveau car aujourd’hui tout est important. Les projets architecturaux sont présentés comme des produits au travers de l’identité de leurs concepteurs, contrairement au salon du MIPIM où l’image architecturale du projet est mise en valeur et débattue. Ce qui exacerbe la concurrence entre les maîtres d’œuvre et entraîne un mouvement de concentration des moyens pour y faire face.
Cela peut être une des raisons de l’absence de l’architecture hospitalière dans la critique architecturale officielle. Car le plus souvent considérée comme la concrétisation d’un process qui consiste dans l’assemblage d’éléments prédéfinis (on pourrait même évoquer de composants) dans une enveloppe neutre dont l’image transcendée est celle d’un tableau abstrait plus ou moins radical.
Autre manifestation parallèle dont l’objet est de promouvoir l’architecture hospitalière, l’UAFS (union des architectes français en santé) et son congrès annuel à Menton en octobre. Là encore fournisseurs, entreprises, maîtres d’ouvrage, maîtres d’œuvre se côtoient dans un but d’échange et de partenariats futurs, chacun affichant au travers de stands ou de conférences le ‘power point’ de ses réalisations, affichant ses bonnes relations avec les maîtres d’ouvrage, la dimension de son équipe et de ses moyens.
L’ambition louable des organisateurs est de faire se rencontrer les maîtres d’œuvre entre eux, pourtant souvent sur la défensive dans ce marché très concurrentiel mais qui finalement n’ont pas souvent l’occasion de s’informer de la production des projets de leurs concurrents, justement parce qu’ils sont absents des revues, et avec les maîtres d’ouvrage à la recherche de l’équipe idéale pour réaliser leurs importants projets.
De cette expérience, malgré l’émergence de nouveaux modèles applicables dans tous les contextes, malgré les appels répétés sur l’hôpital du futur (ou de demain), l’hôpital urbain, le ‘healing hospital’, etc. le constat s’impose que chaque projet hospitalier relève d’une démarche purement individuelle car aucune prise de position commune capable de défendre un point de vue collectif n’a réellement pu émerger en l’absence de véritable débat.
Constat très paradoxal car l’hôpital, équipement majeur de la cité, est le lieu privilégié de confrontation des nouvelles exigences de notre société dans son ensemble.
Cette exigence va dans le sens d’une personnalisation des besoins des usages des organisations. Le domaine de la santé offre ainsi l’opportunité d’innover en sortant d une logique rationnelle cartésienne conduisant inexorablement à une politique des modèles vers une autre logique qui intègre l’aléatoire, une plus grande complexité et une réponse parfaitement adaptée car personnalisée.
Aujourd’hui la notion de pôle est remise en question au profit d’une organisation fluide des circuits patients, d’une parfaite évolutivité des fonctions, de l’abandon des enceintes fermées, de la recherche de la complémentarité à l’interface entre les spécialités… De cette façon l’architecture hospitalière par sa complexité propre pourrait constituer l’avenir de l’architecture et, dans ce cadre, permettre de faire des petits établissements de santé le véritable moteur de la revitalisation des zones commerciales.
Jean-Philippe Pargade, architecte fondateur de Pargade Architectes
Bruno Vayssière, professeur d’architecture et d’urbanisme
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