Même si Jean-Michel Wilmotte énerve les architectes qui ne l’ont jamais considéré comme un des leurs, son succès répond à une attente bien réelle : celle d’une réconciliation avec le passé qui ne soit pas un retour en arrière.
Ce n’est un mystère pour personne : les architectes n’aiment pas Jean-Michel Wilmotte. Ils le méprisent et s’agacent que le grand public mais aussi un cercle plus restreint, censé connaître leur art, puissent y voir un architecte et, pire encore, un architecte talentueux.
Jean-Michel Wilmotte, lui, fait mine de ne rien entendre. Après tout, à quoi bon… Au fond de lui, il sait qu’il ne sera jamais accepté dans la grande famille des architectes. N’est-il pas à l’origine diplômé de Camendo, une école prestigieuse certes, mais en architecture d’intérieur, une spécialité parfaitement secondaire aux yeux de ses confrères ?
Qui dans le milieu pourrait oublier qu’il n’a eu son diplôme d’architecte que par équivalence et pour des raisons qui ne sont «peut-être» pas étrangères avec sa proximité avec le pouvoir ? Et comment ne pas être irrité par une liste de réalisations entretenant un flou plus ou moins savant entre architecture et architecture d’intérieur ?
Un architecte sur la défensive
Jean-Michel Wilmotte mise sur l’imprévisibilité de l’histoire avec un grand H et ses hommages aussi tardifs qu’inattendus. Il avance, écrit, publie, multiplie les chantiers. Et réagit par moments aux allusions insistantes. Un jour, il s’emploie à donner des gages en dénonçant le façadisme comme pour mieux souligner combien ses chantiers de réhabilitation dépassent la simple opération de relooking. Un autre jour il s’évertue à souligner l’atout que lui confère sa double expérience d’architecte et d’architecte d’intérieur quitte à enfoncer des portes ouvertes en rappelant qu’«un bâtiment doit promettre quelque chose à l’extérieur qui doit se retrouver à l’intérieur».
Un autre jour encore, il décide de passer à l’attaque en faisant écrire au journaliste qui l’interroge que ce qui dérange chez lui, c’est son «profil d’entrepreneur» et son «réseau», en un mot son succès… Et sans doute Jean-Michel Wilmotte n’a-t-il pas tout à fait tort.
Comme dans tous les milieux professionnels, l’architecture est traversée d’inimitiés et de rancœurs tenaces. Certaines sont motivées par le souvenir de coups bas impardonnables, d’autres par des réussites illégitimes, ou jugées comme telles. Inutile de préciser à quelle catégorie se rattache le mépris dont Jean-Michel Wilmotte est l’objet depuis des années.
Un créneau inoccupé
Le succès de l’architecte a pourtant d’autres explications qu’un bagout et un entregent exceptionnel. S’il plaît, c’est qu’il occupe un créneau qu’aucun architecte ne souhaite occuper aujourd’hui : celui du lien avec l’architecture d’avant. Car Jean-Michel Wilmotte aime l’histoire, il la soigne, la valorise, la remet au goût du jour en modernisant des musées et en donnant une nouvelle fonction aux bâtiments anciens.
Quand tant d’architectes mettent un point d’honneur à jouer la rupture avec le passé, totale et sans concession, lui proclame son intérêt sans limite pour l’histoire de l’art et de l’architecture. Contre une certaine doxa, son «Dictionnaire amoureux» salue le retour inattendu des arts décoratifs après-guerre, réévalue Mallet-Stevens, rend hommage aux escaliers du Palais d’Iéna et de l’Orangerie de Versailles, souligne la grande leçon d’architecture que fut le baroque, s’efforce de trouver le juste regard sur Le Corbusier, tourne en dérision des destructions artistiques Jean-Pierre Raynaud et Gordon Matta-Clark.
Entre le legs de l’histoire et la recherche de la nouveauté, Jean-Michel Wilmotte s’efforce de trouver un équilibre même si son intérêt pour les années 50 et son église russe du quai Branly confirment, si besoin était, que cet équilibre penche plus du côté de l’un que de l’autre et que l’aspiration à une réconciliation avec le passé appelle d’autres réponses.
Mais le succès de Jean-Michel Wilmotte n’en reste pas moins le reflet de l’époque actuelle, dans toute sa complexité et sa richesse : un mélange de nostalgie rassurante et une soif toujours bien réelle de nouveauté.
Franck Gintrand
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