La figure de la « marguerite » pour développer une architecture du soin au cœur de la Cité ? À regarder l’histoire, ce sont des architectes qui ont su exprimer voire transcender l’évolution permanente du système de soins. Chronique Sillages.
L’innovation motrice indispensable de la transformation des hôpitaux
Lors d’un débat récent SantExpo 2024, trois hauts responsables de la santé *, gestionnaires et/ou programmateurs d’hôpitaux s’accordent sur la nécessité urgente de changer de paradigme. Ils souhaitent faire des hôpitaux des acteurs économiques pour réindustrialiser les territoires, développer notamment des synergies nouvelles entre médecins et chercheurs et créer de nouvelles start-up. Le mot-clé fondamental est de favoriser des tremplins d’innovations !
Ces ambitions convergent vers notre précédente analyse consistant à implanter des hôpitaux dans les zones commerciales pour les transformer durablement.**
Ces trois visionnaires restent cependant conscients de leurs soucis premiers, celui des ressources notamment. Le Directeur Général du CHU de Nantes (Loire-Atlantique) a déjà monté à Brest (Finistère) des cofinancements de start-up. Le responsable de l’agence innovation du ministère de la Santé a longuement évoqué le privé non médical (le modèle décathlon) en quête perpétuelle de remises en question technologiques et de management. Le patron de Parisanté campus est plus circonspect, conscient des difficultés de terrain entre les corporatismes et les pénuries de postes. Comment tout d’abord rendre plus attractifs les profils hospitaliers publics ?
L’architecture motrice de l’accélération de l’innovation
En réponse à cette question, l’architecture, même si son avenir est fondamental, n’est pas au centre du débat sur l’innovation, hormis lors d’une brève incise sur les ‘opens spaces’ polyvalents conçus surtout à des fins d’économies de m² !
Pourtant, à regarder l’histoire, ce sont des architectes qui ont su exprimer voire transcender l’évolution permanente du système de soins. Parfois en renversant la table, ils ont marqué des jalons dans l’histoire de l’architecture hospitalière.
Dans le grand mouvement de modernisation au XIXe siècle, Charles Auguste Quesnel ou Martin Pierre Gauthier avec l’invention des galeries reliant des pavillons autour d’un jardin, comme à Paris à Sainte-Anne ou à Lariboisière, Paul Nelson avec son vaisseau vertical moderniste à Saint-Lô (Manche), ou encore, Pierre Riboulet avec son hôpital pour enfants Robert Debré en terrasses avec sa rue galerie centrale, ou encore, Samir Farah inventeur de l’organisation horizontale en plateau percés de patios de l’hôpital de Nevers (Nièvre).
Plus récemment, l’équipe composée de Pargade architectes et Art&Build, pour répondre à la commande d’un CHU XXL implanté sur l’île de Nantes, a réinventé un modèle morcelé, dont l’organisation en marguerite permet de créer un réseau de fonctions déconcentrées en lien avec la ville et le paysage. En rupture avec le précédent modèle « tout en un », il préfigure une nouvelle vision de l’hôpital capable d’enjamber les contraintes. Perméable à son environnement, proche des habitants, résiliant, porteur d’innovations, il se situe dans une démarche de transition écologique.
Ainsi, pour renverser puis redresser la table vers d’autres futurs que les grands blocs (22 CHU monopolisateurs de toute la recherche et l’enseignement), nous plaidons pour une approche programmatique résolument plus légère et souple : des plans guides évolutifs d’unités satellites de moindre importance savamment articulées entre elles. Au centre de ces « marguerites » qui formulent les villes santé du Care omniprésent de demain, un bâtiment hub/smart building qui concentre les points durs du système (dont l’imagerie en phase de progrès gigantesques et les big datas carburants du futur).
Compacité du centre, puis légèreté des petites unités périphériques aisément transformables et, pour certaines, polyvalentes entre recherche et soins.
L’attractivité de l’architecture
L’architecture hospitalière se caractérise d’abord par ses performances fonctionnelles qui répondent à un process d’un côté, à des exigences individuelles, de l’autre.
Aujourd’hui, nombre d’hôpitaux repliés sur eux-mêmes pour plus de compacité, synonyme d’efficacité, sont conçus sur le modèle IKEA. Une opposition intérieur-extérieur qui dévoile une enveloppe uniforme rationalisée et un intérieur à l’inverse surchargé de signes pour rompre la monotonie. Une enveloppe « minimaliste » contraste avec des aménagements intérieurs à la recherche d’un environnement apaisant le plus souvent détaché de tout contexte (customisation des espaces).
À l’inverse, l’ambition de l’architecture d’un nouveau modèle en « marguerite », c’est-à-dire suivant un schéma perméable, n’est-il pas de mieux s’adapter à son contexte et de trouver son inspiration dans le local ? et ainsi, de décliner un langage naturellement plus diversifié ? L’architecture du bien-être sera alors moins normative, du sur-mesure, de l’agilité pour répondre aux usages de plus en plus complexes et aux impératifs environnementaux.
Inséré dans la ville, plus proche de ses habitants, le « village santé » sera comparable à un « écoquartier ». Un important travail paysager d’accompagnement doit demeurer prioritaire pour enfin préfigurer de véritables quartiers de villes sanitaires pivots de toutes les entrées du Care de demain pour tous.
De nouvelles congruences seront en jeu. On trouvera à proximité de l’hôpital les services de la Ville, espaces culturels, espaces dédiés à la recherche, aux start-up…
L’architecture répondra à sa vocation première, l’accueil, l’attractivité…
Jean-Philippe Pargade, architecte fondateur de Pargade Architectes
Bruno Vayssière, professeur d’architecture et d’urbanisme
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* Stéphane Pardoux Directeur Général de l’ANAP ; Philippe El Sair Président de la conférence des Directeurs Généraux de CHRU ; Antoine Tesnieres, Directeur Général Parisanté campus