Le plus étonnant dans le métier d’architecte est le hasard, ce qui fait que d’une minute à l’autre, notre emploi du temps peut changer et notre vision du monde évoluer. Escales à Singapour et Bali. Chronique de l’architecte Jean-Pierre Heim.
Singapour
Un client chinois basé à Singapour me demande de le rejoindre au plus vite pour dessiner un shopping Center dans cette ville du futur, c’est ainsi que je l’ai découverte.
Singapour, un climat tropical, des pluies, du soleil, et toujours cette humidité jaillissant du sol avec un nuage de vapeur qui flotte dans la ville après les grandes pluies sous les palmiers, sous les bananiers, sous une végétation luxuriante autour des immeubles modernes. La ville est un véritable jardin où se mêlent des arbres tropicaux énormes, des centres commerciaux, des bâtiments coloniaux ainsi que des ouvrages d’une très grande modernité.
Le tout est très propre, très bien rangé, très bien organisé, très bien surveillée – il y a partout des postes de surveillance – une ville emblème mondial de la propreté et de la sécurité. Les habitants sont un grand mélange de populations malaisienne, chinoise et européenne, la conduite à gauche rappelant la présence historique anglaise. Le musée de l’histoire de Singapour montre et met en valeur cette évolution d’un petit pays à la fois malais, chinois et indonésien. Le Raffles est l’hôtel mythique de Singapour et témoigne de la période coloniale qui a marqué cette ville. Situé dans un très beau parc, l’hôtel a été rénové et est désormais protégé par deux immenses gardes habillés en rouge avec un chapeau à plumes. Un fiacre se trouve à l’entrée. Tout au fond du parc, nous devinons un bâtiment blanc, colossal, le fameux hôtel Raffles, palace d’adoption des grands voyageurs et grands marchands du monde entier.
La visite de la ville est assez rapide : il y a le quartier de l’hippodrome, le quartier de Marina Bay, le centre d’affaires et le centre historique. Marina Bay est désormais connu dans le monde entier grâce à ses trois immeubles sur lesquels flotte une passerelle comme une soucoupe volante. Dessiné par l’architecte Moshe Safdie, l’ensemble est d’une élégance et d’une modernité impressionnantes.
C’est le détroit de Malacca, situé entre la Malaisie, Singapour et l’Indonésie, qui a fait la renommée de Singapour. Ce passage incontournable de la route de la soie, entre la mer de Chine et l’océan Indien, est un lieu stratégique où tous les bateaux, qu’ils viennent de Chine, d’Extrême-Orient ou d’Europe, devaient passer et s’acquitter de leurs redevances. Ce détroit sépare l’histoire de Singapour de celle de l’Indonésie réunit les influences musulmanes, hindouistes (notamment à Bali), bouddhistes et celles des diverses contrées indonésiennes, telles que Bornéo, Java, Bali, et bien d’autres.
Bali
Parmi ces îles, Bali est la plus fascinante. Elle attire tant de visiteurs que le tourisme excessif commence à l’endommager, congestionnant l’île et menaçant sa culture unique, son ambiance, ses couleurs et sa diversité extraordinaire. Bali, cette petite perle au cœur de l’Indonésie, mêle à merveille cultures, architectures et paysages volcaniques à couper le souffle. Ses rizières en terrasses, ses côtes bordées de plages splendides, en font l’une des destinations les plus prisées non seulement en Indonésie mais dans toute l’Asie.
Se déplacer à Bali est un défi. La côte, très découpée, et les embouteillages ahurissants rendent les déplacements lents et laborieux, particulièrement dans le Sud, où les villages touristiques sont envahis par les norias incessantes de motocyclettes, vélos, voitures, camions et même d’animaux. Il faut faire preuve de patience pour circuler sur les routes bondées.
Entre cérémonies religieuses et festivités hindouistes, l’île est en fête permanente. En une journée, il est possible d’assister à plusieurs processions dans les temples et les rues, chacune avec ses propres costumes colorés, masques et traditions qui soulignent harmonieusement l’architecture locale. Les temples, avec leurs pierres sombres et humides à cause du climat tropical, s’intègrent parfaitement dans la nature luxuriante où palmiers et bananiers se mêlent à la végétation dense.
Bali regorge de lieux magnifiques dont le Temple de Tanah Lot, perché sur un rocher au bord de l’océan Indien, est le plus emblématique. Autre temple, celui d’Uluwatu qui, situé au sommet d’une falaise surplombant l’océan offre des couchers de soleil impressionnants qui attirent chaque soir des centaines de personnes venant assister à des spectacles et des danses jusqu’au crépuscule. Le Mont Batur, volcan encore actif, est une destination unique offrant une vue imprenable sur le lac Batur en contrebas. Les rizières en terrasses de Tegallalang à Ubud sont célèbres pour leur beauté sculpturale. Elles illustrent parfaitement l’irrigation traditionnelle balinaise, appelée “subak”. Cadre idyllique au climat agréable toute l’année, Ubud est aujourd’hui au cœur d’un essor immobilier, l’hébergement touristique et les nombreuses maisons achetées par des étrangers transformant peu à peu l’image de la ville.
Pour autant, malgré le tourisme de masse, Bali a su garder son âme. C’est un lieu où modernité et tradition se rencontrent mais où l’architecture, la nature et la culture se fondent dans un équilibre fragile et captivant.
Les temples, appelés “Pura” à Bali, sont uniques et profondément enracinés dans la culture hindouiste balinaise. L’influence de l’hindouisme javanais dans l’architecture des temples intègre des éléments locaux liés à la spiritualité animiste. L’entrée est souvent marquée par deux types de portails : le “Candi Bentar”, une porte en deux parties symbolisant la division entre le monde extérieur et le monde sacré, et le “Paduraksa”, une porte couverte et ornée qui marque l’entrée d’une zone encore plus sacrée à l’intérieur du temple.
Les Meru sont des structures emblématiques des temples balinais et représentent le mont Meru, la montagne sacrée dans la cosmologie hindoue. Ces tours peuvent avoir jusqu’à onze toits superposés, toujours constitués de fibres de palmier ou d’herbes séchées, les plus imposants étant dédiés aux divinités importantes. Soutenus par des piliers, des pavillons ouverts sont utilisés pour des cérémonies, des méditations ou des offrandes. Ils sont souvent décorés de sculptures en pierre ou en bois.
Les temples sont construits principalement en brique ou en pierre volcanique, ce qui leur donne une couleur sombre. La pierre est souvent sculptée de motifs floraux, d’animaux mythologiques (comme le Garuda) et de personnages divins ou démons, illustrant les légendes balinaises et hindoues. Les sculptures ornent aussi les toits, les murs et les portes, souvent recouvertes de mousse et patinées par le temps. Chaque temple balinais est divisé en plusieurs cours, généralement trois. La plus intérieure, appelée “Jeroan”, est la plus sacrée et abrite les sanctuaires principaux. Cette organisation tripartite reflète la relation entre le monde des dieux, des humains et des démons.
L’architecture balinaise est symétrique et fortement influencée par les concepts de géométrie sacrée. Elle respecte des principes cosmiques, comme l’alignement avec les montagnes et la mer, considérées comme des entités spirituelles importantes, en harmonie avec les sites privilégiés de la nature. Les temples incarnent cette profonde spiritualité qui marque un équilibre entre la nature, les croyances nouvelles et les traditions anciennes.
Les hôtels, destinés à une clientèle internationale, reflètent cette esthétique unique. De fait, le mobilier, typique de la région, sculpté dans des bois locaux, s’exporte à travers le monde.
Jean-Pierre Heim, architecte
“Travelling is an Art”
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