
Shigeru Ban, Tadao Ando, Fumihiko Maki, Kengo Kuma… Pas moins de quatre Prix Prizker aux côtés de douze autres architectes – Sou Fijimoto, Toyo Ito, etc. – se sont employés pour le ‘Tokyo Toilet Project’. Sept toilettes publiques signées ont déjà été inaugurées à l’été 2020 à Shibuya, Tokyo, Japon. Tiens en France, à ce sujet, où en est-on ?
Si ces sept nouvelles vespasiennes étaient prêtes à temps pour les Jeux Olympiques 2020 de Tokyo, reportés à 2021, elles n’en font pas moins partie d’un lot de 17 nouvelles toilettes publiques prévues pour équiper bientôt le quartier de Shibuya. Le ‘Tokyo Toilet Project’*, financé par Toto, un industriel du secteur, avait pour objectif de rendre les toilettes publiques accueillantes, propres et accessibles à tous quels que soient le sexe, l’âge ou le handicap de l’usager. Un sujet urbain d’importance au Japon.

Les toilettes signées Shigeru Ban, situées dans les parcs de Fukamachi et Haru-no Ogawa (il est le seul à avoir deux exemplaires de son modèle, un jaune et un bleu), s’affichent donc désormais en toute transparence, deux parallélépipèdes de verre coloré s’intégrant au paysage environnant ; une fois la porte verrouillée, le verre devient opaque, garantissant à l’utilisateur son intimité.

« Lorsqu’on rentre dans des toilettes publiques, on s’inquiète de savoir si elles sont propres et s’il y a quelqu’un à l’intérieur », explique l’architecte. « Grâce aux dernières technologies, le verre extérieur devient opaque lorsqu’il est verrouillé. La nuit, l’installation illumine le parc comme une belle lanterne », dit-il.
Entre toilettes et espace public, entourée de cerisiers, la structure circulaire conçue par Tadao Ando est accessible dans le parc Jingu-Dori. L’architecte cherchait à dépasser les limites d’une toilette publique en réalisant un espace de repos confortable et sécurisé pour les habitants.

« J’ai choisi d’utiliser un plan d’étage circulaire avec un toit enjambant en saillie. Les visiteurs peuvent se déplacer à l’intérieur de la paroi cylindrique de persiennes verticales, en ressentant le confort du vent tout en se sentant en sécurité, grâce au cheminement circulaire libre et sans barrière », explique Tadao Ando. Comme les toilettes des aires de repos de nos autoroutes en somme.
Il y a encore le palace signé Fumihiko Maki….

Et que dire des toilettes dessinées par Masamichi Katayame sinon qu’elles donnent envie !


Quatre Prizker ! Sans compter les autres. Pour des toilettes…
Tiens, à propos des Jeux Olympiques, puisque ce sera notre tour en 2024 (si tout se passe bien), où en sommes-nous question toilettes publiques à Paris et en France ?
A ce jour, cela donne ça…

Et ça.

Il faut dire que la ville de Paris avait trouvé malin en 1981 de se débarrasser des dernières vespasiennes historiques pour les remplacer par les toilettes Decaux (oui, Decaux, la même société qui avait gagné les Vélib et qui n’a jamais perdu d’argent avec la ville de Paris)
Il y en a aujourd’hui 400 à Paris, au design imaginé par Patrick Jouin et depuis longtemps rebaptisées ‘Sanisettes’ (sic). Elles sont ouvertes de 6h à 22h, excepté sur les grands axes où 150 d’entre elles sont en accès libre 24h/24. Cent cinquante pour trois millions d’habitants, c’est trop de générosité. Si elles ont coûté une blinde chacune, sans parler de l’entretien, elles sont gratuites depuis 2006. Parce que ces ‘sanisettes’ signées JC Decaux, installées de 1981 à 1986, en plein mandat de François Mitterrand, étaient un symbole déjà de modernité, c’est-à-dire qu’elles étaient désormais payantes tandis que madame pipi pointait au chômage. Fin décembre 1981, Paris comptait 59 appareils en service.
Si la gratuité des sanisettes a été décidée en 2006, depuis cette date, la notion de ‘en service’ demeure toute relative bien que, c’est à noter, elles sont toutes accessibles aux personnes en situation de handicap et accessibles à personne quand elles sont hors service. Il n’empêche que l’autonettoiement de ces appareils prend tant de temps et que l’efficacité de l’ouverture et fermeture des portes est si aléatoire que la ville a jugé plus prudent à l’occasion de réinstaller des pissotières au design simple mais efficace.
C’est le cas notamment Quai de la Loire, un équipement qui d’évidence répond à des besoins pressants auxquels la seule sanisette en panne du quai ne saurait répondre. Au moins, cette pissotière-là ne peut pas coûter cher !

Cette question du confort des Parisiens et des touristes à la prostate défaillante fut cependant l’occasion pour la ville de Paris d’innover. C’est ainsi que des « uritrottoirs écologiques » ou « urinoirs 2.0 », censés limiter les épanchements sauvages et devant permettre le recyclage des urines, ont été inaugurées début août 2020 à Paris. Bien que ces objets ressemblent à une poubelle, la presse de s’extasier : ‘A Paris, votre urine sert d’engrais aux agriculteurs’ (Le Parisien) ; ‘Le pipi des Parisiens au service de l’agriculture’ (Réussir) ; ‘L’urine, cette mine d’or qui s’ignore’, avait anticipé Libération dès 2018 ; idem Les Echos en 2019 ‘Avec l’économie circulaire, l’urine passe de déchet à engrais’.**
Le principe est que l’urine est stockée avec de la matière sèche (de la paille par exemple) qui peut ensuite être transformée en compost. Les écolos viennent d’inventer le purin. Et bientôt l’âne et sa charrette pour venir vider les « uritrottoirs » ? Non, car ce système écolo en diable est doté de cellules photovoltaïques et fonctionne tout seul ! Sauf, comme le rapportent Le Canard Enchaîné et Le Parisien en août 2020, que ces « naturinoirs » installés à Paris sous le métro aérien entre La Chapelle et Stalingrad ont fini par inonder les trottoirs. En effet, le produit de la « récolte » devait être transféré grâce à des pompes alimentées à l’énergie solaire dans un réservoir de 1000 litres. « Mais le site a été choisi en février, et aucun écolo n’avait alors pensé que les platanes à proximité feraient de l’ombre au printemps et en été », souligne Le Parisien.
Résultat : les pompes solaires se sont mises à l’arrêt faute de courant et les WC ont commencé à déborder sérieusement. Au secours ! Et dire que les Romains n’y avaient pas pensé ! En tout cas, au début du XXIe siècle, Paris compte une dizaine d’« uritrottoirs » en service !

Si la ville doit certes trouver une solution aux épanchements sauvages et autres incivilités urinaires, peut-être lui faut-il s’en remettre aux bonnes vieilles vespasiennes dont l’exposition intitulée Les Tasses : Toilettes Publiques – Affaires Privées * nous a rappelé l’an dernier combien elles étaient le symbole d’un endroit de liberté au grand air. Paradoxe, la vespasienne, imaginée par le préfet Rambuteau en 1834, fut ainsi baptisée en référence à l’empereur Vespasien qui jadis imposa une taxe sur l’urine. Au début du siècle dernier, Paris comptait des milliers de vespasiennes.
Ce petit mobilier urbain, nous rappelait Marc Martin, commissaire de l’exposition, s’est inséré dans la grande histoire. Pendant la Résistance, la vespasienne fut un haut lieu d’échange et de rendez-vous. Elle s’est aussi immiscée dans l’affaire Dreyfus ! Les conspirateurs s’y retrouvaient la nuit pour ourdir le complot et échanger fluides et faux. Ce qui a quand même plus d’allure qu’un « naturinoir » !

En plus, la vespasienne, c’est parfait pour l’artisanat local, les matériaux biosourcés et le circuit court et cela ne coûte pas très cher, moins cher sans doute en tout cas qu’un nouveau contrat avec Decaux, sans compter le confort de proximité pour les usagers. L’occasion à Paris et en France d’un grand concours d’architecture pour découvrir peut-être un nouveau Guimard des toilettes publiques ? Voire plusieurs nouveaux Guimard de la vespasienne comme à Tokyo ?

Cela certes ne résoudra pas le problème de la vespasienne pour dames. Encore que Shigeru Ban et consorts semblent y avoir pensé.
Bah, pour les Jeux Olympiques à Paris et ses millions de spectateurs étrangers buveurs de bière, d’ici 2024, il y a encore le temps d’y réfléchir ! Un « uritrottoir » végétalisé, écologique, participatif, solidaire et non genré par exemple ?
Christophe Leray
* En savoir plus : https://tokyotoilet.jp/en/
** Lire notre article Ecologie, trompe-l’œil bas carbone, la grande imposture *** Au Point Ephémère, à Paris (jusqu’en décembre 2019).