Le salon Batimat, qui s’est tenu du 3 au 6 octobre 2022 Porte de Versailles à Paris, se veut le salon de l’innovation, durable l’innovation. Dans les allées livrées aux lobbies de toute sorte, chausse-trappes et faux-semblants abondent évidemment. Au point de créer un écran de fumée devant l’imprévu vertueux ?
Le mois d’octobre est, un an sur deux, synonyme de Batimat, le salon des acteurs de la construction. L’occasion pour moi de revenir sur cet évènement majeur par le biais d’une réflexion d’un ami croisé dans les allées du salon. Arrivé là par hasard car totalement étranger au monde du bâtiment, cet ami était émerveillé tant, d’un stand à l’autre, tout lui semblait « hyper technologique », très loin de l’image qu’il se faisait du monde du bâtiment.
Il me faut reconnaître que j’arpente les allées de Batimat depuis plus de 25 ans, d’abord comme étudiant en génie civil, puis comme étudiant en architecture et enfin comme praticien. Alors cet enchantement technologique a pour moi un peu disparu. Pour autant, chacun des exposants est là pour présenter ses innovations et, en ces temps de RE 2020, chacun y va de son innovation bas carbone.
Cette débauche de technologie, parfois extrêmement fine à mettre en œuvre, prête à réflexion quand, dans le même temps, sur les chantiers chacun sait à quel point les architectes ont à faire à une main-d’œuvre peu, voire pas, qualifiée… Qu’advient-il lorsque tous ces systèmes hyper pointus ne sont pas mis en œuvre avec l’exactitude millimétrique d’un laboratoire ?
En ces temps où il nous est par ailleurs expliqué que l’avenir est au ‘low tech’, au retour aux techniques constructives les plus primaires pour ne pas dire primitives, il est permis de s’interroger sur cette débauche de technologies, ces années de recherches et développement, toute cette matière grise mise en œuvre si, finalement, nous devons nous tourner vers la construction vernaculaire.
De stand en stand, le discours est le même : mise en conformité de la production avec la RE2020. Chaque fabricant a doctement suivi les consignes gouvernementales de réduction de l’empreinte carbone, ainsi de discuter avec eux de profils de menuiseries aluminium pour apprendre que les leurs sont tous parfaitement en conformité. Chacun sait combien l’aluminium à un processus hautement polluant et énergivore mais, que tout le monde se rassure, les FDES ont été négociés par les représentants de la profession. Ainsi la quantité d’aluminium à recycler étant au maximum de 45% de la production de l’ensemble des fabricants, ces derniers ont obtenu leur certification de producteurs vertueux…
En même temps, comment pourrait-il en être autrement ? S’il faut maximiser les apports solaires passifs, il faut de grandes menuiseries. Or les adeptes du ‘low tech’ n’ont pas encore montré comment faire des menuiseries ‘low-tech’ et, dans ce cadre-là, l’aluminium reste bien utile et pas forcément plus problématique que l’acier dont les fabricants ont eux aussi négocié « croix de bois croix de fer » qu’ils recyclaient tout ce qui pouvait l’être afin d’obtenir leur fameux sésame FDES dont l’absence pourrait plomber tout projet utilisant leurs produits.
En réalité, les discussions avec les industriels permettent de mieux mettre en perspective les grands discours mathématiques d’analyse de bilan carbone vendus par certains comme d’une justesse absolue. Dans les faits, chaque filière a négocié son analyse de cycle de vie avec les autorités.
Comment faire autrement. Si par exemple l’ensemble de la filière annonce que les menuiseries produites sont posées pour durer et, qu’à ce jour, même en la répartissant équitablement sur l’ensemble des producteurs de profils, cette matière première issue du recyclage des plus anciennes menuiseries aluminium que l’on commence à démonter ne peut représenter que 45% de la production… Les fabricants ne peuvent pas inventer de la matière à recycler et comme le besoin de menuiseries aluminium demeure, il faut bien que le bilan soit un peu « enjolivé ».
Autre exemple. Chacun sait que la filière bois a bénéficié d’un traitement de valorisation en partant du principe que le bois était produit en France dans des forêts gérées durablement… même si chacun sait que le pays ne produit pas assez de bois… Tout cela est bien normal pour que le monde de la construction ne s’arrête pas d’un coup. Tout cela n’a cependant pas grand-chose à voir avec un calcul mathématique absolu et limpide comme on tente de nous le faire croire mais bien avec, comme toujours, une lutte d’influence entre industriels pour éviter que leur activité ne soit défavorisée, sinon rayée d’un trait de plume…
Un tour dans les allées des fabricants de chauffage permet là une tout autre approche, chacun présentant sa dernière pompe à chaleur, reléguant en fond de stand une ou deux chaudières(s) à gaz devenue(s) invendable(s)… Mais le discours, une fois le vernis commercial franchi, est pour le moins inquiétant. Tous les fabricants sont unanimes sur le fait que les pompes à chaleurs ne sont pas une réponse viable, mais imposée ! En effet, les pompes à chaleur les plus courantes dites air-air ou air-eau, de l’aveu même des fabricants, fonctionnent parfaitement en mi-saison mais aucune ne peut assurer suffisamment de puissance en cas de grand froid… Il n’est même pas certain qu’elles puissent garantir les 19° légaux !
Mais la consigne gouvernementale est ce qu’elle est… et les subventions aussi… Donc après avoir étalé de la chaudière gaz durant les quinze dernières années, nous voilà à étaler de la pompe à chaleur sans que cela ne soit une vraie réponse. La différence : un coefficient 10 sur le coût d’achat ! Quand une chaudière gaz coûte 1 500 €, son équivalent pompe à chaleur 15 000 € !
N’est-on vraiment plus capable d’avoir des systèmes de chauffages efficaces ? Si bien sûr, tout d’abord les pompes à chaleur eau-eau. Autrement dit la géothermie, soit horizontale mais il faut de grands terrains ce qui n’est plus dans l’air du temps… soit verticale, mais le coût est encore plus élevé. Quant à envisager la récupération de chaleur d’une nappe phréatique… Il faut tant d’autorisations administratives… Autrement dit : inenvisageable !
Bref, rien de joyeux dans ce milieu du confort thermique…
Toutefois, en cherchant bien, un industriel, pas le moindre, au milieu de ses pompes à chaleur, offrait une autre voie, celle de l’hydrogène ! Une approche pour le moins originale à l’heure où nous sommes abreuvés de commentaires élogieux sur ce gaz, autant que de démonstrations de la complexité d’en produire vertement. Cet industriel propose lui de le produire individuellement.
Grâce à une machine d’une taille équivalente à une chaudière, avec des panneaux photovoltaïques pour une électricité verte et raccordé sur le réseau d’eau, il propose de faire sa propre production d’hydrogène à injecter… dans la chaudière gaz ! Et cela marche ! Depuis 2019, il y a aux Pays-Bas des immeubles chauffés de cette façon !
Il peut paraître surprenant de découvrir qu’avec un équipement d’encombrement modeste, nous savons produire de l’hydrogène pour l’injecter dans une chaudière tandis que le gouvernement préfère subventionner à grands frais des systèmes inopérants… Pourquoi une telle stratégie ? Le développement durable ? Ou la pression des lobbies qui vont pouvoir continuer à vendre à grands frais des abonnements et du gaz ou de l’électricité en cas de grands froids ? Ou simplement un manque d’ambition et de vision d’avenir ?
Cela interroge aussi sur la pertinence des discours sur la difficulté de produire de l’hydrogène vert, lesquels conduisent aujourd’hui à envoyer tout le monde acheter des véhicules électriques au bilan carbone plus que discutable ! Si avec un appareil gros comme un frigo et quelques panneaux solaires, chacun a la capacité de produire de l’hydrogène pour chauffer son habitat, son eau chaude et recharger sa voiture, pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que, pour les fournisseurs d’énergie, il va y avoir un manque à gagner !
A bien y regarder, en effet, contrairement à l’image couramment véhiculée par le milieu du bâtiment, il y avait de la technologie de pointe à Batimat.
Stéphane Védrenne
Architecte – Urbaniste
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