Bâtir sans ni chauffage ni climatisation ? La mode est désormais à la frugalité, à la sobriété et à l’économie. Pourtant bien des solutions proposées concernent, sous nos latitudes tempérées, le confort d’été. Avec les immeubles 2226, l’agence Baumschlager Erbele (BEA) démontre pourtant que, même dans le Voralberg autrichien, l’architecture bioclimatique sait parer aux plus rigoureuses conditions hivernales.
« Envisager la durabilité d’une construction, c’est l’inscrire dans la ville, dans le temps, le temps qui dure, le temps qu’il fait », expliquait Mathias Bernhardt, directeur de l’agence de Paris de BEA, lors d’une présentation du bâtiment cet automne. Si 60 % du carbone bâtiment se retrouve dans sa construction, il demeure que plus le temps passe, plus le bâtiment, son entretien, sa consommation coûtent chers. Sans compter les modifications climatiques majeures en cours à peu près partout dans le monde, le Voralberg inclus. C’est ce constat qui a dicté la recherche prospective lancée par BEA autour de bâtiments conçus sans ni chauffage ni climatisation.
« L’idée générale selon laquelle l’efficacité énergétique n’est possible qu’avec une technologie constructive technologiquement complexe a fait son temps », constate Mathias Bernhardt. Selon lui, les architectes, accompagnés d’ingénieurs, sont désormais capables d’obtenir des constructions simples quel que soit le contexte et ainsi de se passer entièrement de systèmes coûteux et rapidement obsolètes.
Pour BEA, l’un des enjeux était de n’utiliser aucune technique mécanique pour gérer la qualité de l’air et des températures intérieures confortables à tout moment. C’est d’ailleurs ce standard plus ou moins international situé entre 22 et 26°C qui a donné son nom au concept 2226. A en croire le site de l’agence, six projets tertiaires ou de logements fonctionnent déjà sur ce principe (où sont en cours de conception), essentiellement en Autriche, mais aussi en Suisse, là où l’amplitude climatique est pourtant considérable tout au long de l’année.
A Lustenau, dans le Vorarlberg autrichien, l’étude est devenue réalité. La compacité du bâtiment et ses murs constitués de double-murs de briques porteuses de 38 cm et de 38 cm de briques isolantes, garantissent une belle inertie thermique. Ce mur sert à la fois de masses isolantes et de stockage, puisque les eaux pluviales sont évacuées vers l’intérieur de la façade. Par ailleurs, la structure est conçue en briques à joints décalés pour casser les ponts thermiques. « Un enduit local à la chaux en intérieur comme en extérieur qui a la particularité de capturer le carbone en séchant est ensuite appliqué en plusieurs couches », précise l’architecte.
Grâce à cet enduit, le bâtiment respire par sa façade, vitrée sur seulement 24% de sa surface. Les châssis vitrés sont étroits mais hauts et accompagnent la généreuse hauteur sous-plafond favorisant les flux aérauliques. L’architecture durable démontre qu’elle doit être contextuelle et bioclimatique. Il s’agit de vivre en harmonie avec les éléments, avec le chaud et le froid. Le climat intérieur doit générer une sensation confortable en toute saison en exploitant l’angle du soleil et le flux du vent.
Comment bâtir sans chauffage, ni climatisation ou ventilation dans la chaîne alpine ? Les seules sources de chaleur du bâtiment – les utilisateurs eux-mêmes (chaque individu dégage en moyenne 80 watts de chaleur), les lumières, les ordinateurs et autres photocopieurs, voire les machines à café – sont certes là à d’autres fins mais, cumulées, sont une ressource pérenne. Le bâtiment ne sait pas encore se passer de panneaux de ventilation contrôlés par capteur qui ajustent la température et les niveaux de CO² selon les besoins.
En hiver, la chaleur générée par les différentes sources de chaleur est utilisée pour maintenir une température ambiante agréable. Les panneaux de ventilation s’ouvrent automatiquement dès que la teneur en CO² ou la température de la pièce commence à augmenter. Pendant la chaleur de l’été, les panneaux s’ouvrent la nuit pour refroidir les 2226 avec des courants d’air naturels.
Ces bâtiments sobres ont mis en œuvre une économie de moyens et de matériaux en adéquation avec de nombreux discours contemporains en allant plus loin que la mise en place d’une simple ventilation naturelle ou de doubles-orientation. Le système de contrôle du bâtiment surveille les conditions intérieures et extérieures et régule la température en conséquence. La technologie est utilisée avec parcimonie pour améliorer l’architecture bioclimatique et contrôler les consommations de l’immeuble.
L’architecture lowtech montre qu’elle peut aller plus loin que de simple discours, dit de bon sens, mais tout à fait relatifs. Ici, le coût de construction est réduit, sans influer négativement sur son efficacité énergétique et ses coûts de cycle de vie.
A Lustenau, BEA a testé son discours en concevant son siège social sur ce modèle. Toute expérience se devant d’être homologuée, l’immeuble est resté vide pendant un an après sa construction afin d’observer son comportement dans le temps.
L’expérience pratique montre que le concept 2226 a fait ses preuves, à Lustenau donc et aussi pour l’immeuble de bureaux d’Emmenweid (Suisse), pour le centre thérapeutique de Lingenau (Autriche) et un immeuble résidentiel à Dornbirn (Autriche). Ici, sobriété et minimalisme ne riment pas avec petits projets et l’agence étudie un projet de 18 000 m² tertiaires à Zurich.
Avec les 2226, l’agence autrichienne offre une réponse correspondant finalement à la fois à l’architecture bioclimatique et à la philosophie de la philosophie de René Dubos résumée ainsi : « agir local, penser global ».
Si construire simplement est si évident, à quand une expérience similaire en France ? Les règles sont-elles beaucoup plus souples en Autriche ou en Suisse qu’en France ?
En réalité, dans les trois pays, le cadre réglementaire n’est pas encore tout à fait adapté à ce type d’expérience et les exigences légales sont aussi contraignantes en Suisse et en Autriche qu’en France. « Pour que cela fonctionne, il est important d’inclure très en amont les acteurs du projet et les autorités compétentes dès les premières phases de conception », souligne BEA. Par exemple, dans un projet Suisse sur le modèle du 2226, le canton reçoit trimestriellement le rapport énergétique du bâtiment, justifiant que les chiffres de consommation énergétique calculés dans la simulation dynamique correspondent bien à la consommation réelle du bâtiment.
Cela écrit, l’expérimentation et la prise de risque que nous venons d’évoquer ont été rendues possibles par un cadre réglementaire qui permet aux architectes de proposer. En France, ces derniers doivent s’en remettre à tous ceux qui veulent leur expliquer comment faire un projet.
Alice Delaleu