
Parmi la masse de propositions – 750 participants, 300 contributions – plus ou moins absconses, drôles, sérieuses, angoissantes ou radicales, Chroniques d’architecture a posé la question aux architectes : laquelle retenez-vous ? Verbatim.
Éric Daniel-Lacombe : « Le pavillon français… Une occasion unique pour inventer une nouvelle architecture… Le pavillon français fermé pour travaux nous a permis d’installer une architecture de la bifurcation, moins étanche, plus ouverte, traversant la nature sur la pointe des pieds pour ne pas l’abîmer et l’apprécier et enfin rejoindre la lagune. Une promenade architecturale autorisée pour la première fois dans l’histoire de la biennale. Et qui permet de se sensibiliser aux montées de l’eau, sans hostilité et avec une nouvelle manière d’habiter et de penser ».
Stéphane Maupin : « Un pavillon vise deux objectifs : l’affordance d’un message complexe pour une exposition de masse et l’ingéniosité de sa mise en scène dans le lieu. Instagram est un bon indicateur de la réussite de ce cocktail. Au jeu du maximum de posts, la Serbie l’emporte haut la main. Loin devant le sempiternel triptyque lacrymal terre/boue/bouse-arbre-flotte… »
Bernard Desmoulin : « Pour des raisons différentes, mes pavillons préférés sont : la France pour sa frugalité ; L’Espagne pour nous rappeler que même dans les catastrophes on peut rester élégant, et enfin l’Égypte et l’Uruguay pour l’efficacité et la poésie de leur message ».

Françoise Raynaud : « L’intelligence des peuples autochtones au pavillon Britannique, lequel pose les bases d’une réflexion sur l’intervention géologique que constitue chaque bâtiment et donc, de fait, sur la notion d’appartenance à la nature de l’architecture. Les peuples longtemps appelés « primitifs » que nous regardons encore aujourd’hui avec beaucoup de condescendance ont tout à nous apprendre sur la gestion des ressources, le vivre ensemble, le respect du vivant végétal et l’animal. Sans avoir accès à ce que nous considérons comme des avancées majeures de la connaissance – la théorie de la relativité, le modèle standard, etc. – ils ont compris que « rien ne se crée et tout se transforme » et que nous appartenons à un tout qui nous englobe et que nous ne dominons pas : Gaïa. Le pavillon britannique permet de réfléchir en termes de culture et non de nature humaine. De ce point de vue, l’anthropocène n’est-elle pas une forme de vision certes coupable mais encore hégémonique, occidentalo-centrique ? Depuis la création de l’agence Loci anima (l’âme des lieux), ces sociétés non industrielles m’inspirent un immense respect, elles nourrissent notre démarche que j’appelle ‘’animisme postindustriel’’ ». *
Jonathan Thornhill : « Le pavillon hongrois : Nothing to see here… Nous sommes accueillis par un slogan d’inspiration « Mies-sienne », situé dans un espace sans plafond ni toit, donc à ciel ouvert et livré aux éléments : « NO IS MORE ». Il ne s’agit pas seulement d’abandonner la pratique architecturale mais d’un manifeste pour libérer le monde naturel de la surpopulation humaine, de la surconstruction et la prise en compte des mesures pour rééquilibrer ce que nous extrayons continuellement depuis la révolution industrielle. C’est un plaidoyer pour lâcher prise et libérer le monde naturel de l’expansion humaine. C’est une injonction pour atteindre les objectifs 2050 de Zéro Emissions Net ».

Much Untertrifaller : « Mon pavillon préféré ? Le pavillon espagnol : il a un message clair, présenté de manière convaincante, intelligente et esthétique, avec un beau mode de construction des cadres et un beau collage des matériaux. À mon avis, il faut souligner l’équilibre entre la nature et la construction géo et biosourcée – représentée par les « balances modèles » – et, enfin, le choix réussi des projets et des thèmes ».
Alfonso Femia : « L’Espagne, avec son pavillon « Arquitectura para el equilibrio Territorial » (Architecture pour l’équilibre Territorial), met en lumière plusieurs équilibres : celui entre la recherche et le projet, entre la responsabilité et la générosité, entre la communication et l’architecture, entre la scénographie et la représentation ».
Corinne Vezzoni : « L’Espagne, comme souvent, prend le sujet à bras-le-corps. D’un constat concernant, les architectes proposent des solutions limpides et réjouissantes. Leurs propositions, issues de matériaux naturels et des déchets de l’industrie, font architecture. L’école espagnole se transforme mais conserve son cap et sa virtuosité ».

Maxime Bonnevie (Grands Ateliers) : « J’ai apprécié la proposition du pavillon espagnol, « Internalities » parce qu’elle aborde la question de l’architecture par la ressource, la matière, depuis son extraction, sa transformation, sa mise en œuvre, puis son recyclage, thème fondateur des Grands Ateliers. Aussi l’attention donnée aux supports de présentation, les différents modes de représentation, alliant photo, table des matières et en son centre le retour à l’architecture avec la présentation de projets exemplaires. Pour le reste, mon sentiment général reste mitigé. À l’Arsenal et aux Giardini, très dense et intellectuel, mettant en avant la multiplicité de la discipline de l’architecture, mais questionnant la place de l’architecture en tant que telle ».
Fredrik Svenstedt : « J’ai beaucoup aimé le pavillon polonais, qui traite avec bienveillance et humour tout ce qu’on fait pour se protéger dans l’architecture, entre panneaux de signalisation et avertissement, et des superstitions comme mettre un peu de sel dans les angles. Toutefois, le plus inspirant à chaque fois que je viens, c’est quand même le pavillon scandinave de Sverre Fehn, chef-d’œuvre absolu, toutes catégories confondues. La force et légèreté de sa conception et constitution est un exemple de ce qu’on peut inventer avec quelques gestes. C’est souvent mieux vide ».
Brigitte Metra : « L’installation « heatwaves » présentée par le Pavillon du Bahreïn apporte une réponse architecturale et urbaine directe, simple, immédiatement « ressentie », à la problématique d’adaptation aux températures extrêmes. Issu de leur héritage ancestral, le système de rafraîchissement de l’air « passif », adapté à l’espace public, proposé par les pays les plus exposés, nous offre en miroir des réponses aux problématiques que la « modernité » a contribué à créer. Avec 50° Celsius comme horizon, d’autres également dans cette Biennale, comme le pavillon Français, posent des petits « cailloux » vers des solutions, qui devront changer d’échelle pour devenir évidence et culture partagée… ».
David Trottin : « Comme d’habitude les pavillons de cette biennale sont très sérieux et très conscients ! Un problème… donc une analyse… Et donc une solution ! C’est cela l’architecture ! Pour faire face aux menaces du quotidien, le pavillon polonais convoque des grigris, des superstitions, des routines matérielles et des histoires transmises depuis les âges farouches pour trouver des solutions. Il faut se rassurer avoir confiance, ici l’humour rend résistant ! ».
Duccio Cardelli + Ning Wang (And Studio) : « Difficile de dire quel a été mon pavillon préféré ; je n’ai pas tout vu. Parmi ceux que j’ai visités : le pavillon espagnol, pour la force du message qu’il transmet et l’intelligence de sa mise en scène ; le pavillon polonais, avec l’installation poignante « Repeat After Me II », qui m’a profondément touché ; le pavillon italien, pour sa manière poétique d’explorer la relation entre architecture et mer. Mais, après ma visite de la Biennale, une pensée ne me quitte pas : à quel point nous dépendons des mots pour comprendre, et combien il est rare de simplement ressentir, à quel point l’architecture peut être une forme de silence et pourtant parler plus clairement que les mots ne le pourraient jamais : et si l’on imaginait une Biennale d’architecture sans mots, sans technologie, sans explications ? Un espace où l’architecture s’exprime uniquement par l’espace lui-même, par l’installation. Un lieu où chacun — adultes comme enfants — est invité à interagir, jouer, explorer, avec innocence et spontanéité. Au fond, cela pose une question radicale : l’architecture peut-elle éduquer et inspirer sans prononcer un seul mot ? L’espace peut-il être notre première langue ? »

Suzel Brout : « En contrepoint du pavillon espagnol, cohérent, lisible, lumineux, le pavillon de la Hongrie reproduit l’espace aseptisée d’une agence d’architecture. Des mannequins-architectes installés sur de longues tables devant une dizaine de postes types, en vis-à-vis : un clavier, deux écrans. Un écran reproduit les multiples manipulations d’un projet et l’autre donne en réplique les résultats de sondages sur la perception de l’architecture et des architectes par le public. Drôle et terrifiant, comme un miroir de nos pratiques déconnectées ».
Dominique Châtelet : « Globalement j’ai été impressionné par la scénographie de l’Arsenal. Je retiens en fin de parcours, le projet de la Norman Foster Foundation en collaboration avec Porsche, « Gateway to Venice’s Waterway », mot à mot la passerelle ou la porte d’entrée au navigable. Accrochée au quai, cette structure biomorphique ultra-symbolique de 37m de long installe la liaison entre la lagune et la ville de Venise, mais plus largement entre la terre et la mer. C’est aussi un prototype fonctionnel pour une mobilité urbaine durable ».
Véronique Descharrières : « Le pavillon estonien** est une mise en garde sous forme de fiction : « let me warm you ». Sur une façade vénitienne, on a plaqué des revêtements dits de protection thermique. Il démontre avec force la négation architecturale des lobbys de la rénovation énergétique sans architecture. Le rêve vénitien avec ses façades colorées, décrépies, s’éteint sous nos yeux avec ce plaquage mécanique de panneaux insipides ».
Anne Pezzoni : « Une installation dans l’Arsenal présente un duo de sculpteurs qui découpent au ciseau à bois une demi-pièce de charpente. De l’autre côté, un robot s’agite alors qu’il a déjà terminé son travail. Aucune perle de sueur, aucune irrégularité ne perturbe la main mécanique. À côté un robot AI qui répond aux visiteurs dans toutes les langues. Qui est l’avenir ? »
Dominique Jakob : « Le pavillon français, of course, qui n’est pas un échafaudage mais un bâtiment. Faire une boîte à idées – 50 projets. Imaginer l’avenir du monde sans déplacer les gens. Faire au mieux avec l’existant. Living with… »
Mathieu Forest : « Cette biennale ? Une accumulation foisonnante et une énergie indéniable. Quelques pépites salutaires (l’Espagne, le Qatar, et de beaux projets dans l’Arsenal). Mais au global, peu d’architectures ou peu montrées, beaucoup de discours et souvent le même : il fera chaud, nous sommes foutus, nous l’avons mérité. Des bacs à plantes sur les toits de Paris, des bâtiments sous-marins sur Mars (même pour rire), des bâtiments moches mais biosourcés, des IA qui pensent à notre place et une fois encore beaucoup de clones. Mais où est passée l’architecture ? Nous sommes là pour dessiner et construire des bâtiments, des villes, des paysages, situés, ancrés dans la diversité des climats, des géographies, des cultures : froids ou chauds, humides ou arides, en montagne ou en bord de mer, avec ou sans arbres, au nord, au sud. Il faut des architectures sensibles, durables, inscrites dans des lieux et dans l’histoire, « belles », pour émouvoir, pour être aimées, pour habiter ce monde et y prendre plaisir. Avec les ressources et les techniques de l’époque et des territoires, en mycélium, en brique, en acier ou en bois et aujourd’hui avec le moins de carbone possible. Construisons ce futur durable mais en architectes. Je préfère suer quelques jours par an sous un toit en zinc et savoir que je suis à Paris, que de voir dégouliner la terre des toits de cagettes mal cloutées ».
Alfonso Femia (bis): « Si l’on continue pendant des années sur une ligne qui avertit, sollicite, indique non pas la voie, ni les solutions, ni les actions, ni les responsabilités, mais une sorte de sensibilité sans action concrète, décisive, radicale qui mette en pratique la réalité, une certaine attention, une certaine mise en connaissance… Si nous ne parvenons pas à créer une conscience collective qui devienne un modus operandi, un projet, une culture, une politique ; si anesthésiés et hypocritement satisfaits qu’il suffise d’en parler et/ou de mettre tout cela en scène… D’accord, mais peut-être faut-il sortir des mots et agir de manière collective à travers le projet, l’architecture, les villes ».
Propos recueillis par Tina Bloch (Envoyée spéciale)
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