Au détour d’une recherche, une question : comment enrichir un lieu ou ne pas corrompre ce qu’il offre déjà ? En réponse, ce texte daté de 2012 mais redécouvert hier. Signé Françoise Raynaud, fondatrice en 2005 de Loci Anima,* il donne les éléments d’une réponse sensible. « J’ai un respect philosophique pour la nature qui nous entoure et j’ai essayé, avec ‘animisme postindustriel, de trouver un terme qui puisse être compréhensible par tout le monde », explique l’architecte. Manifeste.
Nous savons depuis longtemps que l’histoire de l’univers est notre histoire, que nous sommes constitués des mêmes particules élémentaires que les premiers filaments cosmiques interplanétaires. Nous faisons partie de la nature, comme toutes les espèces animales et végétales et aussi comme toute la matière inanimée.
Cette connaissance n’a finalement que très peu modifié la vision de l’homme occidental sur la place qu’il occupe sur terre et dans l’univers. Si nous faisons l’effort de penser appartenir à la nature, et non l’inverse que la nature nous appartient, nous sommes amenés à nous comporter très différemment. S’agissant d’un monde dont nous ne sommes qu’un des éléments de l’évolution, qu’une branche de la diversité possible, nous pourrions avoir pour lui et toute sa diversité une extrême vigilance, nous devrions l’aimer et les préserver comme une partie de nous-même.
Des sociétés dites primitives (celles qui subsistent aujourd’hui), sans avoir aucune idée de la physique quantique, ni accès au « modèle standard », ont la conviction qu’il y a un lien fort entre un caillou et un homme, que dans la nature existent des forces qui rentrent en relation avec nous. Intuitivement, ces sociétés font preuve d’une sagesse et d’une clairvoyance remarquable. L’Homme fait partie d’un tout qui le dépasse mais avec lequel il est en permanence connecté.
La nature est un mystère, ce mystère est transformé en sacré. Ces civilisations plus respectueuses de leur environnement ont été déclassées, marginalisées, quand elles n’ont pas été tout simplement éradiquées. Dans les civilisations où les croyances ne se réfèrent pas à une puissance extérieure mais à des forces vitales qui animent les objets, la nature tout entière est habitée par des génies qui circulent et qui ont sur nous des effets qui l’emportent sur notre libre arbitre.
Au Japon, pays de tous les paradoxes, propulsé sans limite dans l’économie de marché, ravagé par la folie humaine du jeu avec l’atome, on construit selon la religion shintoïste, on célèbre dans un éclair de conscience, une cérémonie dite de « réconciliation avec la terre », pour affirmer que la terre doit être traitée avec égards.
Les religions monothéistes, la raison et les lumières ont fini par nous éduquer, nous éloigner de cet état primitif. C’est donc avec beaucoup de condescendance que nous regardons ces autres cultures pratiquer leurs rites empreints de fétichismes et de superstitions. L’homme tout puissant coupé de la nature et à la recherche permanente de progrès et d’expansion pour alimenter l’économie de marché est encore aujourd’hui à la merci des dieux tout puissants, des religions monothéistes et des débordements obscurantistes qui en découlent.
Nous devons croire en la nature comme expression immanente de la création. Dans nos civilisations occidentales, avec notre connaissance scientifique, n’est-ce pas ce que nous nommons énergie, qui s’apparente à ces forces vitales que nous savons exister dans chaque partie infime de la matière minérale et organique ?
N’est-ce pas cette énergie, cette force vitale, retenue dans la matière (qui ne se crée pas mais qui se transforme) qui sera libérée à la fin de la vie et transformée ? Cette énergie qui se transmet à l’infini dans les cycles de vie, de la matière vivante à la matière inerte, représente le mystère de la vie. Cette vision « énergétique » de notre monde peut changer notre regard sur la nature et nous faire admettre que nous en faisons partie.
Un bâtiment, au même titre que nous-mêmes, n’est qu’une transformation provisoire et un stockage d’énergie « de forces vitales ». À ce titre-là il est aussi « vivant ». Les bâtiments que nous élaborons sont les stratégies esthétiques, techniques et comportementales qui s’inspirent directement de l’observation de la nature et qui sont mises en place pour contribuer à améliorer, réparer, prolonger ce qui préexiste et créer des cadres de vies à la hauteur de ce que la nature nous a offert et que nous pouvons encore admirer quelques temps…
À défaut de scénario global de sauvetage du « vaisseau terre », et parce que nous n’en sommes pas propriétaire, laissons-nous guider par cette philosophie que je nommerai « Animisme postindustriel ». Cette vision redonne un sens à une vertu tellement oubliée de nos jours l’humilité. L‘humilité, c’est prendre conscience de notre condition et de notre place au milieu des autres espèces et dans l’univers.
Françoise Raynaud
Paris, 2012
* Lire également notre entretien avec Françoise Raynaud : de l’animisme postindustriel et notre portrait Chez Françoise Raynaud, l’architecture est naturelle, voire surnaturelle
« Les bâtiments que Loci Anima élabore sont des stratégies esthétiques, techniques et comportementales qui s’inspirent directement de l’observation de la nature ».
Mimétiques – Se fondre dans son environnement en adoptant une caractéristique distinctive du monde vivant ou minéral.
Cryptiques – Prendre l’apparence d’un autre pour signifier ou véhiculer autre chose.
Tectoniques – Créer à partir de strates géologiques issues des forces de la terre ou à partir du résultat de la sédimentation.
Endémiques – Adopter la caractéristique spécifique d’un lieu et en faire son caractère dominant.
Magnétiques – Être en harmonie avec le site, tenir compte des expositions.
Primitifs – Ce qui est premier, originaire, se caractérise par la simplicité.
Métamorphiques – Être capable de se transformer pour s’adapter aux saisons, se plier aux exigences et aux désirs.
Migrateurs – Se transformer sans laisser de traces pour sans cesse renaître.
Héliotropes – Utiliser, capturer, contrôler la lumière et le soleil.
Jolis cœurs – Attirer, séduire, se parer de ses plus beaux atouts.
Symbiotiques – Construire un partenariat au bénéfice de tous.