Faire d’une pierre deux coups, une mauvaise idée ? C’est du moins ce que semble penser Gilles Perraudin,* promoteur s’il en est de la construction en pierre massive, à propos du béton, selon lui trop armé pour la planète. Ne sommes-nous pas tous assis sur un gros caillou ? Calcul raisonné en deux phases. Deuxième partie : l’épopée du transport. Tribune.
Dans le calcul du bilan carbone de la mise en œuvre d’un mur béton ou d’un mur en pierre massive, se pose, à juste titre, la question du transport. Avant d’éclaircir cette question, je remarque que le béton et la pierre ont exactement la même origine géographique. Que pour aller de la carrière jusqu’au chantier, la distance parcourue est théoriquement la même ! C’est-à-dire que l’on peut en conclure que la dépense carbone est exactement la même. Cette conclusion simpliste est pourtant fausse.
Voilà pourquoi la dépense en transport est nettement plus importante pour le béton armé que pour la pierre.
Nous avons dans la première partie – La fabrication** – évoqué le coût énergétique du transport du minerai pour faire le fer qui deviendra acier, celui du transport du sable et du gravier et chacun comprend que la pierre est maintes et maintes fois transportée pour faire du béton et qu’il faut y ajouter le transport de l’acier et du bois. Mais là n’est pas le gisement important de la dépense carbone transport du béton. Elle tient à la nature du produit.
En fait, le béton ne peut pas être transporté sur de longues distances, ni sur des temps très longs. Tous les bétonneux vous diront qu’un béton prêt à l’emploi doit l’être au maximum dans les heures qui suivent et qu’une toupie (camion spécial de transport du béton) est en permanente rotation pour éviter la ségrégation des granulats composant le mélange.
Pour ce faire il faut donc mailler le territoire d’usines à béton, qui doivent être ravitaillées en permanence par un flux de camions transportant du ciment, du sable et du gravier, depuis les différents lieux de leur production. Et le sable, devenant de plus en plus rare, est transporté sur de plus grandes distances.
Le plus intéressant n’est pas encore là. Il est dans le fait que la pierre, qui ne s’altère absolument pas dans le temps, peut être transportée par des moyens peu énergivores par voie ferrée ou fluviale.
La question du coût carbone du transport n’est pas dans la pierre mais dans le mode de transport. Si demain nous devions réduire drastiquement le coût carbone des constructions nous pourrons le faire avec la pierre mais pas avec le béton. Or ce jour viendra obligatoirement, s’il n’est pas déjà là…. La pierre peut être transportée de longs mois alors que le béton doit être utilisé avant une heure….
Une étude importante, que je cite à chacune de mes conférences, est celle menée par les équipes de Guillaume Habert à l’EPFZ de Zurich. Partant des constructions en pierres massives réalisées par Fernand Pouillon à Melun dans les années ‘60, l’étude démontre que le coût carbone d’un édifice en pierre massive, sans isolation ni double vitrage, et rapporté sur une durée de vie d’une soixantaine d’années, demeure imbattable comparé à celui des édifices récents au profil prétendument bas carbone. La pierre venait des carrières de Fontvieille était transportée par voie ferrée.
Nous examinons actuellement, et pour des édifices futurs à Lyon, la possibilité de réactiver le transport fluvial pour livrer des pierres depuis des carrières à proximité des fleuves. Lorsque l’on regarde les villes anciennes, il apparaît toujours que les pierres proviennent de gisements parfois très éloignés mais reliés par un fleuve ou par une voie ferrée. C’est le cas par exemple des carrières de Saint-Maximin au nord de Paris qui étaient reliées par une voie ferrée à la capitale.
C’est la raison pour laquelle je m’oppose à l’idée fausse qui voudrait que l’on cherche la pierre dans la proximité des chantiers. Le problème n’est pas la distance mais le mode de transport. Je nourris ma conviction de l’examen d’exemples pris dans l’histoire. Les exemples contemporains ne manquent pas non plus.
Pour ceux qui connaissent Baalbek, au Liban, et visitèrent les temples romains de Bacchus et de Jupiter, ils ont dû remarquer les magnifiques colonnes de granit rouge qui composent une partie de l’édifice. Or, ce granit vient d’Assouan au Sud de l’Egypte, c’est-à-dire à des milliers de kilomètres de Baalbek, située au nord de la plaine de la Bekaa. Ignorant les affres des transports, utilisant des carburants fossiles, les colonnes ont probablement, comme les obélisques Egyptiens, été transportées par voie fluviale et maritime, puis par traction animale (des bœufs ?) jusqu’à Baalbek où elles furent dressées. Au passage, notons que ces mois de transport n’affectèrent en rien la qualité de la pierre.
Cet examen des conditions réelles de la construction en pierre me convainc qu’il y a probablement une erreur dans les calculs des ingénieurs d’hier et d’aujourd’hui qui concluent à une si faible différence de bilan carbone entre une construction en pierre massive de taille et une construction en béton armé.
Qui peut croire qu’une pierre tirée de son jardin et posée à proximité immédiate pour en faire une cabane pourrait être équivalente en bilan carbone à cette même pierre transformée en béton !
Gilles Perraudin
Architecte, mai 2022
*Lire nos articles Sur cette pierre, Gilles Perraudin bâtit une maison et Atelier Perraudin envoie des pierres dans la mare
** Lire la première partie de cette tribune : Bilan carbone de la pierre vs bilan carbone du béton : la fabrication