La magnifique Philharmonie de Jean Nouvel, encore en chantier, a dix ans. À l’intérieur, la magnificence de la salle Pierre Boulez a été conçue et réalisée par Brigitte Métra (Métra et associés). C’est officiel !
Dans le cadre du 10ème anniversaire de la Philharmonie de Paris et du 30ème de la Cité de la Musique, deux ouvrages signés respectivement de Jean Nouvel et Christian de Portzamparc qui se côtoient dans le parc de la Villette (signé Bernard Tschumi) dans le XIXe arrondissement de Paris, était organisé les vendredi 10 et samedi 11 janvier 2025 un forum intitulé Architecture et musique : comment penser une salle de concert ?
Ce forum promettait de répondre aux questions suivantes : de l’acoustique à la dimension sociale, en passant par l’impératif environnemental, comment résonne le geste architectural ? les attentes artistiques, sociales et politiques ont-elles évolué ? quels liens ces lieux peuvent-ils construire entre les musiciens, le public et la cité ? Au fil d’interventions de 15 à 45 minutes ne pouvant faire le tour de ces vastes sujets, il n’en fut rien évidemment.
Toutefois, ce forum avait le mérite de réunir deux de nos Prikzkers : Christian de Portzamparc le vendredi soir à la Cité de la Musique, Jean Nouvel le samedi matin à la Philharmonie. Ils ne se sont pas croisés.
Une première surprise concerne les tables rondes du samedi, organisées elles avec le soutien du Centre national de la musique (CNM) en partenariat avec le magazine AOC et le Pavillon de l’Arsenal. En guise de quoi une liste d’invités dont l’expertise semble loin de l’intitulé du forum.
Plus surprenant est l’absence dans la liste des intervenants de Brigitte Métra (Métra et associés), dont il est de notoriété publique, du moins dans le petit monde de l’architecture, qu’associée à AJN, en charge depuis 2007, elle a conçu et réalisé la grande salle Pierre Boulez de la Philharmonie qui fait l’admiration des musiciens et mélomanes du monde entier. De fait, cette salle est aussi singulière que le furent en leur temps celle de la philharmonie de Luxembourg, avec ses loges sous forme de tours, et celle, ovale, de la Cité de la musique, signées toutes deux de Christian de Portzamparc. Dit autrement, si quelqu’un avait toutes les clefs pour discuter de la grande salle de la Philharmonie de Paris et de comment penser une salle de concert, c’est bien Brigitte Métra. Et puisqu’il s’agissait de fêter dignement les dix ans de la salle Pierre Boulez…
Bref, Brigitte Métra n’était pas exactement conviée au goûter.
Dans un sens, elle ne peut s’en prendre qu’à elle-même. Elle connaissait le personnage en signant finalement en juillet 2008 avec Jean Nouvel et Ateliers Jean Nouvel (AJN) un contrat de sous-traitance – sous-traitance ! ? ! – pour la conception et la réalisation de la salle. Elle avait pourtant, en 2002, quitté AJN après avoir gagné le concours pour la salle de Dole (Jura)* tout en restant salariée à mi-temps le temps de boucler pour AJN les études de la salle symphonique de Copenhague (Danemark).
En 2005, l’agence Métra est associée en son nom propre à AJN pour la réalisation du théâtre de Perpignan. Alors, quand en 2007, AJN lui propose de les rejoindre pour la conception et la réalisation de la grande salle de la future Philharmonie de Paris, quel(le) architecte aurait refusé une telle opportunité ? Va donc pour la sous-traitance ! La plupart des architectes connaissent la suite…
Brigitte Métra avait pourtant tenté de se prémunir des dommages collatéraux de la communication de Jean Nouvel. Dans ce fameux contrat daté du 31 juillet 2008, l’article 10 indiquait précisément qu’« AJN mentionnera le nom de Métra et associés comme associé à la conception et la réalisation de la salle de concert de la Philharmonie de Paris dans toute communication concernant la partie spécifique salle de concert ». Parce que ce n’est pas la moindre des choses ? Il faut croire que non puisqu’il a fallu plus de dix ans pour clore ce point devant la justice.
Aller au tribunal, c’est s’exposer à un concours d’inélégances. Certes, Brigitte Métra est vindicative mais à bon droit en l’occurrence puisque « force » fût à la cour d’appel de Paris, Pôle 4 – Chambre 6, dans son arrêt du 5 avril 2024, de constater « que les missions » qui lui étaient demandées par contrat « ont été réalisées ». La cour a donc finalement, sans équivoque puisque l’oubli de cette mention vaut désormais amende de 20 000 € à AJN, rendu à César(e) ce qui lui appartient : en clair, au-delà des disputes financières, la paternité (maternité ?) de la conception et de la réalisation de la salle lui revient aussi. C’est officiel !
Ce n’était pas un mystère puisque dès 2008, un article du Moniteur signé Jacques-Franck Degioanni l’indiquait sans ambiguïté. Pour autant, nombre d’articles subséquents, surtout ceux en dehors du monde de l’architecture, avaient tendance à l’instar de Jean Nouvel lui-même à purement et simplement oublier la femme de l’art. Dernier exemple en date dans le Parisien Week-End du 10 janvier 2024 où la véritable auteure de « la grande salle à l’acoustique exceptionnelle » n’est pas citée. Détails peut-être mais rageant pour qui a la sensibilité à fleur de peau après sept ans de travail et dix ans de procédures.
D’autant que cela ouvre le débat plus large de l’invisibilisation de la femme. En l’occurrence, à l’intérieur de cette splendide philharmonie comme derrière tout grand homme, il y a une femme. Brigitte Métra a finalement obtenu gain de cause parce que ses convictions personnelles lui ont donné la détermination de poursuivre ce combat incertain pour la reconnaissance de sa signature. Ce n’est pas comme si cette architecte manquait d’atouts, ne construit pas l’une des plus éblouissantes salles de concert au monde qui veut. Cependant, à observer aujourd’hui combien ce lui fut difficile, combien d’hommes ou femmes architectes auraient baissé pavillon en chemin ?
Il est d’ailleurs fort à parier – c’est toujours plus facile quand l’évidence finit par s’imposer – qu’aujourd’hui AJN s’y prendrait autrement, de façon sans doute plus respectueuse sinon élégante. Bobonne qui la ferme, ce n’est plus trop tendance. Autre temps, autres mœurs donc même si, ici, il ne s’agit pas exactement de maladresse bourrue mais de ce qui ressemble à de la vindicte.
Pour le coup, comme pour les divorces, tous les observateurs se retrouvaient en porte-à-faux, sommés de choisir leur camp, les journalistes hors de leur zone de confort. Ce qui a fini par ajouter de la confusion à la confusion.
Toujours est-il que vendredi soir 10 janvier 2025 à la Cité de la Musique, après Le poème électronique et l’aventure du Pavillon Philips, une conférence qui ne nous rajeunit pas de Carlotta Daro, maîtresse de conférences à l’ENSA Paris-Malaquais et chercheuse senior à l’ETH Zurich, il était juste temps de rejoindre la Philharmonie pendant l’entracte pour assister dans la grande salle – conçue et réalisée par Brigitte Métra associée, précision utile – à la seconde partie du concert anniversaire de l’Orchestre de Paris dirigé par Klaus Mäkelä.
Lequel concert était suivi d’un cocktail amical dans l’un des salons de la Philharmonie, l’occasion pour Olivier Mantei, directeur général de la Cité de la Musique – Philharmonie de Paris, lors d’un discours, de remercier Jean Nouvel, à ses côtés, et avec juste ce qu’il fallait d’emphase, de remercier également Brigitte Métra, citée comme « associée à la conception et réalisation de la grande salle ». Cela va tout de suite mieux en le disant et nul doute qu’elle sera désormais dûment sollicitée pour les prochains pince-fesses !
De fait, tout est bien qui finit bien. D’ailleurs Brigitte Métra, qui à force de sonner les cloches a été invitée au concert et au cocktail, a profité du moment pour offrir ses meilleurs vœux à Jean Nouvel, qui n’en pouvait mais…
Christophe Leray
* Lire notre article « La Commanderie », salle de spectacles (de congrès et de sport), à Dole (39)