A l’heure de la réouverture des musées, des lieux sont plus attendus que d’autres, telle la Bourse du Commerce dans le premier arrondissement de Paris devenue par la grâce de Tadao Ando un nouveau musée d’art contemporain abritant une partie de la collection de l’industriel François Pinault.
Attendu parce que le lieu est emblématique, parce que Tadao Ando, l’architecte japonais de sa transformation, l’est tout autant. Parce que ce musée est aussi le symbole d’une privatisation de la culture.
L’annonce de l’installation de Fondation Pinault à la Bourse du Commerce, en plein centre de Paris, date de 2016. Le bâtiment venait d’être racheté par la Ville de Paris pour 86 millions auprès de la chambre de commerce et d’industrie tandis que celle-ci l’avait acquis auprès de la Mairie pour un 1 Franc symbolique en 1949. Après l’échec de son projet sur l’île Seguin*, qui l’a incité à partir installer sa collection à Venise, François Pinault trouvait enfin l’écrin parisien destiné à accueillir sa collection, la fondation Pinault bénéficiant d’un bail de 50 ans pour la déployer.
La réhabilitation est confiée à Tadao Ando*, qui a déjà œuvré au Palais Grassi et à la Pointe de la Douane à Venise, accompagné de l’agence NeM, qui a réhabilité le presbytère qui accueille des résidences artistiques à Lens de la Fondation Pinault, et Pierre-Antoine Gatier, qui a déjà été mené entre autres les réhabilitations de la Villa Médicis et du domaine de Chantilly. Un casting de confiance.
L’œuvre d’art total s’incarne parfaitement dans cet ouvrage. L’entrée passée, le détour par une première galerie d’expositions, dont l’œuvre critique de Martial Raysse, mène à la découverte de l’espace central et circulaire de la bourse. L’architecture de béton minimale de Tadao Ando sublime le bâtiment, son cylindre de 29 mètres de diamètre sur 9 mètres de haut ouvrant le regard vers la verrière reflétant le ciel parisien.
Le regard déambule, circule pour découvrir la variation des ombres sur le béton, découvrir la fresque qui à la base de la verrière dépeint le commerce sur les cinq continents. Ce léger anneau circulaire exprime le volume, il ouvre autant qu’il ferme l’espace. L’Enlèvement des Sabines d’Urs Fischer, réplique en cire de l’ensemble de Giambologna, en combustion lente au milieu de l’espace amplifie par le mouvement des corps la vision entre la terre et le ciel.
Ce délicat anneau de béton permet d’accéder aux trois niveaux d’expositions, tous bénéficiant de la lumière naturelle de la ville, et tous ouverts sur l’espace central. Depuis chaque salle, le regard est happé tant par les œuvres que par l’architecture des lieux. A chaque palier, un point de vue sur ce qui se passe dans l’espace central permet d’observer les installations de Fischer et les visiteurs admirant les œuvres.
En créant une circulation naturelle dans l’édifice, Tadao Andao sublime l’existant et dialogue avec lui et relie les espaces d’exposition sans jamais ni cacher ni faire d’ombre à l’écrin qu’est la bourse du commerce. « Mon intention est de faire s’enchaîner avec force des séquences d’espaces très variés découlant de la combinaison de la rotonde et du cylindre. L’espace existant et le nouveau créent un lieu plein de vie, apte à porter la bannière de la culture urbaine des générations à venir », expliquait l’architecte japonais en 2017.
De quoi apprécier la collection de François Pinault forte paraît-il de 10 000 œuvres et dont la valeur est estimée à 1,5 Md€*.
Cette ouverture n’est que le début d’une série d’inauguration dans le centre de Paris. Alors que le Musée Carnavalet est ouvert après quatre ans de travaux depuis le 29 mai, l’hôtel de la Marine sur la place de la Concorde accueillera le 12 juin ses premiers visiteurs pour découvrir les appartements et salons d’apparat ainsi que la Collection Al Thani, de la famille royale Qatari, qui a signé une convention de 20 ans avec le centre des Monuments nationaux.
Six jours plus tard, et après 16 ans d’attente, La Samaritaine, réhabilitée par Sanaa et l’architecte des Monuments historiques Jean-François Lagneau, sera de nouveau accessible. Puis viendra le tour de la Poste du Louvre de Dominique Perrault, qui accueille des bureaux, commerces et un hôtel. Pour la fondation Cartier, qui quitte ses pénates parnassiennes pour intégrer le cœur de Paris dans les galeries du Louvre des Antiquaires confié à Jean Nouvel, il faudra attendre un peu plus : 2024 pour les 40 ans de la fondation.
Le centre de Paris risque à la fois la sublimation et la muséification complète avec ces nouveaux espaces, qui vont attendre le retour du tourisme de masse. Les Parisiens sauront-ils s’approprier ces nouveaux lieux ou n’ont-ils vocation qu’à célébrer les grandes œuvres des grandes fortunes ? Sans lesquelles, En tout état de cause, ces réhabilitations prestigieuses n’auraient probablement pas pu avoir lieu.
Julie Arnault
* Pour découvrir la bourse du commerce, le documentaire d’Arte, La Bourse de Monsieur Pinault est un portrait doux amer de François Pinault et de la réhabilitation de la Bourse du commerce : https://www.arte.tv/fr/videos/103923-000-A/la-bourse-de-monsieur-pinault/. Lire également notre article Pour la Bourse du commerce à Paris, Tadao Ando dans le premier cercle.