La composition du nouveau siège social de la CCI du Havre ne se laisse pas deviner au premier coup d’œil. L’imbrication des espaces et des matériaux, au-delà de l’usage et de la fonction, est un hommage des architectes aux couleurs de sa ville natale de René.
« Je devais le faire« . Quand le concours fut lancé pour un nouveau siège de la Chambre de Commerce et d’Industrie (CCI) du Havre, René Dottelonde, havrais pur souche qui n’avait jamais pu construire dans la ville natale à laquelle, même de son agence parisienne, il est toujours resté attaché, savait qu’une telle occasion ne se reproduirait pas. Face à Alain Sarfati et Claude Vasconi notamment, il a proposé un projet « rarement aussi tchadé« . « Je connais ce climat, il y a donc des erreurs que je n’ai pas faites ; j’ai offert la bonne réponse par rapport au ciel et le jeu des courbes et des volumes qui se décrochent agissent comme un brise-lame sur lequel le vent s’éclate« .
« Le maire tenait beaucoup à un bâtiment fort à l’entrée de sa ville« , précise René Dottelonde. Pour sa part, la CCI saisit l’opportunité de vendre son siège historique pour l’installation d’un casino et décide en 2001 de la construction d’un nouveau siège à l’entrée de la ville, sur une partie remblayée (70x100m) du Bassin Vauban. Une problématique que l’architecte connaît sur le bout des doigts puisque son projet de diplôme portait sur l’aménagement du Bassin du Commerce du Havre. Encore que le remblai s’est révélé problématique quand l’immensité du chantier de dépollution s’est fait jour ; perdus les trois niveaux de parking en sous-sol tandis qu’un tissu textile (un voile pudique ?) permettait de garder le problème enterré.
La trace de l’ancien bassin ayant été conservée – pour le grand bonheur des archéologues de l’an 3000 – le projet est constitué de deux bâtiments. Le premier est un parallélépipède rectangle de R+5 posé sur le sol, marquant la fin de la perspective du bassin et ainsi l’entrée (ou la sortie selon le sens de circulation) de la ville, que l’on y pénètre en voiture ou en train. Selon les architectes, ce bâtiment – qui comprend les services administratifs, le Centre des Ressources et de documentation, les locaux techniques, etc. – « symbolise la stabilité et la pérennité de l’institution« .
Ce bâtiment est entouré d’un encadrement en verre translucide qui abrite en parties verticales, les escaliers de secours, et horizontalement, une gaine technique qui parcourt toute la longueur du bâtiment. Cet encadrement symbolise la Porte de la Ville, soit par un jeu de contre-jours, soit par une mise en lumière nocturne.
Le second bâtiment, appelé Pôle des Echanges, est de forme plus complexe. Il est soulevé du sol et exprime « le dynamisme de l’institution et la multiplicité de ses actions sur l’activité économique du Havre« . Dans ce bâtiment, le hall d’accueil, traité en atrium, est développé sur trois niveaux. Au rez-de-chaussée, il offre à travers l’espace d’exposition, une vue panoramique sur le bassin Vauban. Un escalier central permet d’accéder aux circulations qui offrent des vues plongeantes et transversantes sur le hall et desservent les étages supérieurs. C’est là que sont situés l’amphithéâtre – salle de Conseil de 120 places ingénieusement conçue -, des salles de conférence, de réunion, de commission, etc. et les « lieux de convivialité » (bar, salon, salles à manger) dont certains ont récupéré le mobilier de paquebots prestigieux.
Les lumières du Havre donc. « Les façades sont inspirées d’un tableau ‘Face au Havre’ (1952) de Nicolas de Staël. Leur traitement a été fortement influencé par la force de la lumière du Havre, lumière qui évolue tout au long de la journée. Elles sont traitées tel un reflet du ciel, par un jeu complexe de verres sérigraphiés. Cet effet de ‘pixellisation’ est amplifié par l’effet de miroir qu’offre l’eau du bassin Vauban« , explique Phine Weeke Dottelonde. Un parvis de 7.000m² entoure le siège et recouvre un parking de 160 places environ, des locaux d’archives et des locaux techniques.
« Ce secteur, à l’articulation du quartier de la gare et des friches portuaires, est en pleine mutation« , offre l’architecte. Les bateaux déchargeant leurs cargaisons de balles de laine, de coton, des sacs de café, de cacao ont disparus et il faut chercher dans les escaliers métalliques de la CCI, ressemblant à s’y méprendre à des escaliers de pont de cargo ou de transatlantique, la trace d’une mémoire que l’architecte havrais a longtemps gardé en lui. Aujourd’hui, côté autoroute et voie ferrée, une zone sans grâce qui n’a de moderne que la prétention, de l’autre des quais « bordés de nappes d’entrepôts en briques rouges » à la composition subtile – les entrepôts se ressemblent sans être jamais tout à fait les mêmes – rappellent opportunément aux hommes de l’art que « lieux de mémoire » sont le plus souvent indifférents à l’orgueil qui prévaut à leur construction.
Nul n’en voudra à René Dottelonde de sa fierté d’avoir enfin, au bout de trente ans, pu se réconcilier avec sa ville natale, plutôt deux fois qu’une d’ailleurs puisque, le hasard enfin clément, ce sont deux bâtiments d’un coup, à un jet de pierre l’un de l’autre, qu’il construisit au final avec sa fille. « Il faut réinventer une utilisation de ce site en y installant les usages contemporains« , explique-t-il. Un scénario déjà en partie rédigé. Déjà une salle polyvalente – les Docks Océanes – est construite (Architecte Guervilly). Viendront bientôt un multiplexe de douze salles et des activités ludiques (Architecte Reichen et Robert), l’Observatoire de la Mer (Jean Nouvel) et des logements dans une opération dirigée par Bruno Fortier (Architectes J.P Viguier, Audren Schlumberger, C. Furet). René et Phine Weeke Dottelonde sont en bonne compagnie. Et si le quartier change, le Havre restera pour longtemps encore un port de commerce et d’industrie. Lui le sait mieux que tout autre.
Christophe Leray
Fiche technique :
Maître d’ouvrage : Chambre de Commerce et d’Industrie du Havre
Décembre 2001 : Lancement du concours d’Architectes
Juin 2002 : Choix du projet lauréat
Août 2003 : Ouverture du chantier (remblaiement du bassin)
Février 2005 : Livraison de la partie bureaux services C.C.I. du Havre
Octobre 2005 : Livraison du Pôle des Echanges
Montant des travaux : 24,6 millions d’euros H.T (valeur mai 2002)
Surface
Le terrain : Partie remblayée de 100m x 70m gagnée sur le Bassin Vauban ; Bureaux : 5.600m² ; Pôle des Echanges : 2.100m² ; Divers : 400m² ; Soit un total de : 8.100m² (SHON)
Equipe de maîtrise d’œuvre :
Architecte mandataire : René Dottelonde, Phine Weeke Dottelonde, assistés par Soraya Sebbar ;
Architecte associé : SCP 3D Architecture – Franck & Olivier Duflo
Bureau d’Etudes Techniques : BETOM
Economiste : Ingénierie de l’Estuaire (INES) – Monsieur Calbrix
Sécurité Incendie : Cabinet Casso & Cie
Autres intervenants :
Programmateur : Jérôme Dourdin consultants
Bureaux de contrôle : Norisko – Monsieur Cure
OPC : SERO – Monsieur Watrin
Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 25 janvier 2006