En septembre 2023 le gouvernement, dans un énième plan, a annoncé vouloir s’attaquer à la « France moche », terme consacré depuis 2010 et un certain article de Télérama décrivant les entrées de ville. Cependant, pour s’attaquer à un problème, encore faut-il en comprendre les origines.
Au-delà de l’expression méprisante d’un parisianisme puant, il faut tout de même comprendre que ces entrées de villes sont avant tout les réceptacles de ce que la ville a rejeté, à commencer par les logements sociaux de masse, puis les commerces de masse nécessaires à alimenter l’ensemble des habitants de ces quartiers.
Tout cela sur le modèle parisien, qui a rejeté à Rungis les halles, créant ex nihilo un quartier « moche » mais loin des yeux des journalistes pas mécontents d’avoir dans leurs assiettes quotidiennes des produits passés par ce quartier « moche »… Sans aller jusqu’à Rungis, le périphérique est bordé de centres commerciaux et de zones plus ou moins reluisantes dans leur organisation comme dans leur architecture. La France moche n’est donc pas nécessairement la France de la province profonde.
Une différence notable : au prix du foncier parisien et au niveau des prix pratiqués dans les commerces parisiens, le parking souterrain trouve plus de rentabilité et d’attrait pour les opérateurs de ces centres que dans les villes de province ; l’œil du Parisien y gagne en confort ce que la planète y perd en pérennité, le bilan carbone du parking souterrain étant bien plus mauvais que celui d’une marée de parkings !
Il est d’ailleurs permis de s’interroger sur la raison qui fait que les centres commerciaux français soient aussi peu qualitatifs et choquent à ce point le journaliste parisien ? Ne serait-ce pas dû à l’absence d’architecture ?
Non pas que ces centres commerciaux ne soient pas l’œuvre de confrères, bien sûr ; comme tout bâtiment en France, ils sont signés par des architectes, pas de ceux cependant que fréquentent les journalistes car, en France plus qu’ailleurs, les architectes qui font les centres commerciaux sont traités avec dédain, voire mépris.
Quand y eut-il une Équerre d’argent décernée à un centre commercial ?
Quelle idée saugrenue ! Pour autant, nombre de prix d’architecture à l’étranger priment des projets de centre commerciaux, dont de grands noms de l’architecture sont parfois les auteurs, Daniel Libeskind à Berne par exemple ou encore Renzo Piano… à Paris avec Bercy 2, qui sera d’ailleurs prochainement démoli. Penserait-on démolir Beaubourg ? Évidemment non… En revanche, Bercy 2, ça dégage…
Le mépris pour l’architecture commerciale est tel qu’il s’agit d’un sujet tabou dès l’école d’architecture ; faire réfléchir les étudiants sur un concept fumeux de logements maintes fois ressassé et sans aucune viabilité économique, il y a du monde, mais s’interroger sur la façon dont le commerce peut répondre de manière élégante, architecturale et urbaine à la question de l’approvisionnement d’une masse critique de population, là… personne !
Dans ce désert de réflexion et avec ce mépris affiché par tout le monde depuis près de 50 ans pour cette question du commerce, pouvait-on décemment prétendre à mieux que les entrées de ville telles que nous les connaissons ?
Les journalistes ont beau jeu de se gausser du nouveau plan gouvernemental pour remédier aux problèmes de ces entrées de ville à coups de millions d’euros, arguant du fait que l’État ne devrait pas payer pour corriger les inepties des géants de la grande distribution qui ont prospéré dans ces zones. Là, encore, toujours se souvenir de qui donne le La des opérations ! Est-ce la grande distribution qui octroie les permis de construire ? Qui dessine les plans d’urbanisation ? Qui définit les zones commerciales ? Non, ce sont les politiques !
Que l’ignorance architecturale et urbaine de nombre de politiques ait participé de cette grande dérive des entrées de ville est certaine, que ce soit une fois encore le contribuable qui soit mis à contribution pour remédier à ces errements… une tradition française !
Donc le gouvernement va s’attaquer à ces entrées de ville, pour faire quoi ? Une vingtaine de projets pilotes, pour remodeler ces espaces, même envisager de remplacer les supermarchés par des logements… Mais, dans ce cas, le supermarché… il va où ? Les nouveaux résidents s’alimenteront où ?
Sur internet alors ? Histoire d’augmenter un peu plus le nombre et la taille des zones logistiques, elles aussi décriées sans que personne ne s’interroger sur leur structure… Ce sera pour le prochain plan du prochain gouvernement !
Alors remettre du logement sur la zone commerciale, pourquoi pas ? Cela reviendrait finalement aux fondements de la ville qui, dans la plupart des cas, a vu sa formation s’organiser autour d’une place de marché ; pourquoi donc ne pas remettre le marché au centre des nouveaux quartiers de ville ?
Il faut reconnaître à ces zones commerciales une vertu : construites de façon légère et peu dense, il sera facile d’envisager de les remodeler, d’ailleurs les plus anciennes d’entre-elles l’ont déjà été plusieurs fois. Maintenant, s’il s’agit d’enterrer les parkings sous des barres de logements, est-on sûr que le bilan environnemental sera meilleur ? Cela reste à démontrer !
Enfin, les habitants de ces nouveaux quartiers seront-ils différents de ceux des centres-villes actuels qui demandent la disparition de la voiture de sous leurs fenêtres, rejettent les mouvements de camions de livraison dans leur quartier ? Au risque d’assister à nouveau à la disparition du commerce sur lequel ces quartiers auront été basés ?
En effet, le cycle de la ville moderne, basé désormais sur le Nimby (Not In My Back Yard – Pas devant chez moi), sera sûrement le plus difficile à briser !
Stéphane Védrenne
Architecte – Urbaniste
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