L’architecture japonaise semble toujours prête à fournir scoops et autres perspectives dans les concours internationaux français, avec plus ou moins de réussite (Louvre Lens, Pompidou Metz, l’Arbre blanc, la Seine Musicale) et de reconnaissance des pairs hexagonaux. En ce début d’automne, compter pas moins de trois expositions consacrées à l’architecture du Japon. Les Nippons, ‘has been’ ou classiques contemporains ?
Depuis quelques années, l’élégance pragmatique japonaise semblait avoir laissé la place libre à la sobriété froide de nos voisins scandinaves, qui se taillent la part belle dans la mode, la littérature, le design. Les grands noms de l’architecture et du design danois, suédois ou finlandais des années 50, lointainement réinterprétés par les Norvégiens adulés de Snøhetta ou par l’enfant terrible de Copenhague, Bjärke Ingels, sont remis sur le devant de la scène, renvoyant d’ailleurs les brillants Helvètes un peu ennuyeux au rang des grands absents médiatiques.
Pourtant, c’est bien de la production du pays du soleil levant, vue par la lorgnette pas toujours très érudite du grand public, dont les Français sont abreuvés. Ainsi, tandis que l’Unesco a offert un bref «voyage créatif au Japon» du 4 au 8 septembre, le Centre Pompidou-Metz a inauguré sa grande exposition de la rentrée «Japan-ness. Architecture et urbanisme au Japon depuis 1945», première d’un cycle consacré au Japon, alors que le Pavillon de l’Arsenal verra s’achever le 24 septembre son événement estival «architecture japonaise à Paris – 1867-2017» qui a rencontré un beau succès.
Qu’elles aient lieu dans des lieux spécialisés ou grand public, chacun de ces évènements bénéficie d’une couverture médiatique des plus chaleureuses de la part notamment de la presse généraliste. ‘Comment les architectes japonais magnifient-ils Paris ?’, s’interrogeait 20 minutes le 5 juillet 2017 ou ‘Exposition : Paris sous l’influence des architectes japonais’, alertait Le Monde le 31 août 2017. Sans compter Le Républicain Lorrain du 7 septembre qui titrait ‘Pompidou-Metz : voyage inédit dans l’architecture japonaise’. ‘Paris capitale de l’architecture japonaise’ annonçait sobrement Le Moniteur daté du 27 juin 2017, dans ses pages culture. L’exploit n’est pas mince quand d’aucuns se lamentent bien souvent de l’absence d’écho que rencontre l’architecture dans les médias.
Mine de rien, il s’agit de la nationalité la plus représentée parmi les lauréats du Pritzker Price, soit sept en 30 ans : Kenzo Tange (1987), Fumihiko Maki (1993), Tadao Ando (1995), Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa (SANAA – 2010), Toyo Ito en 2013 et Shigeru Ban l’année suivante. Pendant ce temps, depuis 2000 à Londres, la Serpentine Gallery, pourtant pas vraiment connue comme la plus accessible de la planète, faisait intervenir Toyo Ito (avec ARUP), SANAA ou encore Sou Foujimoto.
Pourquoi cette fascination des médias généralistes pour l’architecture du pays de Mishima, subtile et complexe au demeurant, alors même que les architectes de l’Hexagone s’exaspèrent à chaque annonce de réinventions en tous genres de la réussite insolente des Japonais ? Parce que bien loin de se contenter de truster les concours des grands projets culturels comme Le Louvre-Lens, Pompidou-Metz, La Seine-Musicale à Boulogne-Billancourt, la réhabilitation de la Bourse au Blé pour la Fondation Pinault, les architectes nippons s’offrent le luxe de faire une razzia sur les projets de bureaux, de logements et chassant même sur les terres franco-chauvinesque de l’infrastructure de gare ?
L’estampille «Japon», à l’instar d’un «made in France» ou d’un label hollywoodien, serait-elle devenue une marque de grande consommation de par le monde ? Sans doute un peu. Et comme tout ce qui est connu, reconnu et célèbre se doit d’être placé dans les conversations mondaines, il y a un public intéressé. Ce qui est bien, aussi, avec la ‘Japan mania’, c’est qu’il n’y a pas forcément à chercher bien loin pour avoir l’air malin. Un temple, un voyage, le dernier film d’animation.
Si la culture japonaise est complexe, la marque Japon n’en reste pas moins accessible et, à l’heure où l’architecture devient de plus en plus un phénomène de mode, l’architecture nippone reste une des seules plébiscitées par les novices.
Parce que, pour en revenir à nos moutons et autres bœufs de Kobe, ces trois événements de la rentrée, et tous les autres, s’adressent finalement davantage aux ignorants qu’aux sachants. Ces expositions semblent érudites, voire encyclopédiques, mais s’attardent essentiellement sur des architectes déjà ultra-connus et surreprésentés. A Metz, le Japon s’expose dans les murs érigés par des Japonais. Avec la cérémonie du thé comprise ?
Ces événements, qui encensent une architecture «d’ambiance» et «d’atmosphère», loin d’être exhaustifs, ne font-ils que colporter une juste rumeur ? A adorer les stars et les tours tokyoïtes, ces expositions ont une fâcheuse tendance à faire l’impasse sur un autre point, plus sociologique certes mais toujours autant lié au contexte nippon. Les commissaires se gardent bien en effet de trop rappeler que nombre de citadins japonais vivent dans des réduits guère plus grands que des cellules de prison, sans fenêtre, ou dans des tours sans charme, reléguant l’architecture traditionnelle de panneaux de papiers au rôle de décors poétiques des animations des studios Gibli.
L’architecture japonaise, celle qui s’exporte de l’autre côté de l’Eurasie, est-elle si représentative des courants qui sculptent le paysage du pays ? N’est-elle pas touchée par l’impérialisme de la mondialisation ? Qu’est-ce qui différencie dans ses fondamentaux des logements pensés à Paris par l’agence de Sou Foujimoto ? Le siège social d’une multinationale imaginée par Kengo Kuma est-il différent d’un autre siège social ?
Alice Delaleu