A l’heure de la réouverture des terrasses, et entre deux averses, un petit livre peut occuper le temps : le beau, le brut et les truands, dialogue entre Paul Chemetov, 92 ans*, et Rudy Riciotti, 68 ans. Histoires d’une guerre qui n’a pas eu lieu ?
A la suite d’une rencontre en février 2020 dans une librairie parisienne, les deux confrères ont poursuivi le dialogue, ou plutôt enrichi celui-ci, pour en faire un petit livre. Qu’en retenir ? Pas grand-chose pour qui connaît les deux architectes et leur œuvre ; pour les néophytes, cela ne permettra pas d’en savoir plus sur l’architecture, un peu sur le système. Il s’agit juste d’une mise au point sur certains thèmes chers aux deux architectes.
En guise de présentation, Rudy Ricciotti rappelle les faits d’arme de Chemetov, celui de l’AUA, « de l’architecture comme combat » (p.15), ce qui n’est pas sans rappeler le livre éponyme de l’architecte du MUCEM (L’architecture est un sport de combat). Et Chemetov de rendre hommage au Mémorial de Rivesaltes « projet en tout point exemplaire pour sa forme et ce qu’il célèbre, la République espagnole abandonnée par les démocraties européennes » (p.13).
Chemetov rappelle ce que furent leurs polémiques à tous les deux, pour Riciotti son « ovni noir de Vitrolles… on te reproche tes emportements, ton côté mâle méridional, ta gueule et ta façon de gueuler, on te reproche d’être un individu », pour lui, « on ne pardonne pas à un architecte de l’AUA d’avoir été choisi pour le ministère des finances ». Le leur reproche-t-on vraiment ? Encore maintenant ?
Le caractère de Ricciotti ne serait pas un problème s’il s’en servait pour dénoncer vraiment et pas pour tenir des propos qui laissent pantois. Si quelqu’un est capable d’expliquer « le rond-point est le clitoris de la République » et son discours sur la police entendu sur France Culture (22/05)**…
Concernant le ministère des Finances, le paquebot est difficile à éviter. Pour autant, au-delà de son expression, c’est son aménagement qui a du mal à vieillir… Faire un paquebot qui incarne la République, pourquoi pas, mais pour qui s’est déjà rendu à Bercy, le lieu est austère, voire hostile.
Ricciotti imagine une armée de contrôleurs fiscaux à Bercy, il se trompe. Qui plus est, parce qu’ils contrôlent l’argent de l’Etat, tâche indigeste, ces fonctionnaires n’auraient pas droit à autre chose que de longs couloirs interminables reliant des séries de bureaux impersonnels et sans lumière ?
Quelques éléments de l’ouvrage sont intéressants mais peu pertinents finalement : oui, Viollet-le-Duc est important pour Notre-Dame, tant pour le patrimoine que pour l’architecture, le coût du travail, le besoin de connaître les artisans sur les chantiers, les dérives des géants du BTP, de la maison individuelle, l’œuvre qui échappe à l’architecte… Les deux hommes partagent une dent contre la bureaucratie et l’administration et l’amour de la littérature, etc.
Cet ouvrage rassemble tout ce qui leur ressemble mais le propos mériterait d’être étayé, de ne pas rester dans le performatif, d’expliquer comment ils ont vu leur métier évoluer, leur savoir-faire se dévoyer, de montrer comment l’on conçoit… Des sujets dans cette discussion, il y en a peut-être trop et aucun n’est réellement illustré ou développé.
Chemetov rappelle une expression suisse : « En France, on construit un dessin, en Suisse, on dessine une construction ». Un discours est esquissé, quelques lignes sont évoquées, mais il y manque la construction d’un texte porteur de sens pour l’architecture, pour l’architecte entre ces deux sommités.
Chemetov est plus précis que Ricciotti, c’est attendu et convenu, leurs deux individualités transparaissent dans les propos. L’un plus volubile que l’autre. Qu’apprend-on en lisant ces petites pages sur l’architecture ? Qu’il s’agit d’un livre pour paresser en terrasse un dimanche après-midi quand le soleil reviendra.
Julie Arnault
*Mise à jour (27/05/21). Paul Chemetov a 92 ans, pas 98 comme il était écrit. Nous lui souhaitons de les atteindre avec toutes nos excuses. Quant à l’auteure, elle est condamnée jusqu’au même âge à apprendre par coeur le who’who des architectes.