L’architecture s’inscrira-t-elle dans le mouvement féministe ou pas ? A l’issue d’une après-midi passée le 8 mars 2020 à la Cité de l’Architecture pour la Journée internationale des Droits des Femmes* le doute s’installe mais la passation générationnelle est en cours. #Metoo a commencé à faire bouger les lignes chez les femmes architectes.
Ce dimanche, sur 100 personnes dans l’assistance, 2% (en comptant Francis Rambert) étaient des hommes. Les confères n’en n’ont pas grand-chose à faire de leurs consœurs… Pourtant, il faut les écouter, les entendre pour que la profession se construise non pas les uns contre les autres mais les uns avec les autres.
Tracer sa route
En ouverture, Francis Lambert, qui remplaçait Marie-Christine Labourdette, présidente de la Cité, se félicite de l’attribution du Prix Pritzker à Yvonne Farrell et Shelley McNamara, 16 ans après celui attribué à Zaha Hadid – les autres femmes concernées étant récompensées au sein d’agences mixtes (RCR, Sanaa). Puis la projection du documentaire Rêveuses de villes de Joseph Hillel, sur le parcours de quatre femmes architectes (Phyllis Lambert, Blanche Lemco van Ginkel, Cornelia Hahn Oberlander et Denise Scott Brown), rappelle, presque en contrepoint, que malgré une pétition en 2013, il avait été refusé à Denise Scott Brown d’être désignée co-lauréate du prix avec son mari (en 1991 ! ndlr).
Le film du réalisateur canadien suit la trajectoire de ces femmes qui chacune ont tracé leur route, de Philadelphie à Vancouver en passant par Montréal, pour l’architecture. Cette mémoire, sans homme, allège et mène vers un changement d’époque, de plain-pied en 2020, deux ans après #Metoo, avec le témoignage de sept femmes invitées à partager leur condition d’exercice.
Le documentaire cède place à la réalité, rappelée par Stéphanie Dadour, chercheure à l’ENSA de Grenoble et de Paris-Malaquais, avec des chiffres qui, s’ils sont connus, n’en sont pas moins cliniques:
– dans les écoles 60 à 80% des élèves sont des femmes alors qu’entre 75% et 95% des cours sont dispensés par des hommes ;
– seules 8% des agences sont dirigées par des femmes ;
– en 2016, le revenu moyen des femmes architectes était de 28 734€ contre 48 745€ pour les hommes.
Stéphanie Dadour souligne que les concours et les projets mettent en avant des compétences attribuées aux hommes : compétitivité, endurance. Quant aux jurys, la cooptation reste de mise ainsi que les partages entre pair(e)s. L’architecture a un genre, et il est masculin. Et ce ne sont pas les sept femmes convoquées à la barre, la génération qui suit celle des quatre portraiturées, qui diront le contraire, même si c’est parfois compliqué à reconnaître.
Que les femmes architectes aient entre 35 et 65 ans, c’est une forme de ras-le-bol qui résonne. Enfin ! « A un moment, on en a marre d’être la seule femme dans un jury, dans un concours. Les occasions sont très rares de voir d’autres femmes », assène Dominique Jakob (Jakob+Macfarlane) en ouvrant le débat. Quatre ans qu’elle en a marre. Il a fallu du temps mais ça fait du bien rien qu’en le disant et pour les auditrices dans la salle, rien que de l’entendre.
« Aujourd’hui, on voit encore beaucoup d’hommes de 90 ans qui sont encore architectes. Pour une femme, le créneau est serré. Avant 40 ans, elles ont autres choses à faire et après 45 aussi : les enfants puis les petits-enfants ». La boutade est violente.
Pour Ingrid Taillandier, c’est maintenant qu’elle commence à affirmer son nom : « longtemps, je me suis cachée derrière ITAR, pensant que les gens y verraient un groupe d’architectes mais pas moi, femme architecte ». La confiance en soi, ça s’apprend, surtout aux petits garçons. Pour les filles, c’est plus long l’affirmation de soi.
Brigitte Métra se souvient du commentaire d’un de ses profs, alors qu’elles étaient dix femmes dans sa promotion : « Pourquoi n’êtes-vous pas à l’école d’infirmières ? ». Trois jours de blocage. Le climat post-68 a aidé. Mais bien qu’aucune ne le dise, ce n’était que le début d’une longue liste de paroles sexistes et misogynes qu’elles commencent à peine à verbaliser. Celles qui travaillent avec des hommes expliquent que les rôles à l’extérieur de l’agence sont composés : même si les rôles sont interchangeables dans la création et sur le projet, face aux clients, il faut selon les cas jouer du féminin ou du masculin.
La question des quotas
Faut-il en passer par les quotas ? L’opinion est divisée. Tania Concko et Françoise N’Thépé sont mitigées. Les quotas sont peut-être un mal nécessaire mais le risque d’être un choix par défaut semble les marquer.
Pour Dominique Jakob et Brigitte Métra, les quotas s’imposent. « Ils sont sympathiques nos collègues masculins mais ce ne sont pas eux qui vont changer. Il faut labourer le terrain, c’est à nous de le faire. Il y a un vrai déni. On fait comme si on n’était pas là. Il faut y aller. J’ai un rêve, que 50% de la ville soit construite par des femmes, 50% de la population est féminine, on devrait en construire 50% », rappelle Brigitte Métra.
Valentine Guichardaz-Versini, de l’Atelier Rita, nuance, « les quotas ne sont applicables que dans la commande publique or celle-ci s’amenuise… ».
La jeunesse fait-elle mieux ? Valentine Guichardaz-Versini se désole. « En écoutant vos histoires, et je suis sortie de l’école en 2008, j’ai l’impression qu’en 20 ans rien n’a changé », dit-elle, et d’admettre qu’« être féministe, c’est dur. Le patriarcat nous a conditionné ». Celle qui a grandi dans la lutte, dans le Vitrolles des années FN, et qui s’est engagée très tôt, avec l’idée que « l’architecture est faite pour changer le monde, que l’architecture est la seule profession pour canaliser la révolte », ouvre peut-être la voie, en osant le mot « patriarcat », un mot bien pesant et bien présent dans toutes les paroles mais qu’aucune n’avait osé prononcer.
L’avenir de la femme passe par la mémoire et la jeunesse
Alors des solutions existent-elles ? Peut-on rendre les femmes plus visibles en architecture ? Les participantes sont formelles, cela passera par une réappropriation de la mémoire, et notamment la mise en valeur des femmes architectes. Il faut montrer des modèles positifs aux jeunes générations, se réapproprier le rôle des femmes dans l’histoire de la ville comme le montre le documentaire de Joseph Hittel, mais aussi en reconnaissant nos propres architectes, Renée Gailhoustet, Edith Girard, et bien d’autres encore.
Une partie de la jeunesse n’a pas peur et s’engage. Elle est venue à la fin de cette après-midi, avec les étudiants de l’association IHCRA, laquelle propose des workshops en école pour sensibiliser sur la diversité et l’équité dans la profession et dans la construction des espaces de vie.
Une nouvelle voie s’ouvre avec des initiatives salutaires pour tou.te.s.
Julie Arnault
Lectures pour nos ami.e.s architectes :
– Mona Chollet, Sorcières, la puissance invaincue de femmes, Zones, Paris, 2018
– Victoire Tuaillon, Les couilles sur la table, Binge, Paris, 2020
– Virginie Despentes, King Kong théorie, Livre de poche, Paris, 2007
– Gloria Steimen, Sur la route, Harper Collin, Paris, 2019
* Organisé en partenariat avec le collectif MéMo, Mouvement pour l’Equité dans la Maitrise d’œuvre.