Composées symétriquement autour d’un point de fuite central, les images de FALA présentent dans leur carré des espaces rationnels, faits d’éléments géométriques et d’aplats de couleur, façonnant un petit tableau mat et sans ombres où priment les usages. Les images s’autonomisent et n’ont plus de comptes à rendre au réel. Rencontre.
Renonçant à livrer la même vision d’un avenir radieux des dessins architecturaux hyperréalistes de ces vingt dernières années, une nouvelle ère de représentation post-numérique ouvre une brèche dans l’uniformité graphique des ‘renders’. Des architectes reviennent à la convention du dessin mais avec de nouvelles méthodologies, en réévaluant et en s’appropriant les outils numériques, penchant fortement vers le collage.
Créé en 2013, FALA est un cabinet d’architecture à Porto (Portugal), dirigé par Filipe Magalhães et Ana Luisa Soares, un couple portugais sorti de l’école d’Alvaro Siza, et Ahmed Belkhodja, un Suisse issu de l’école de Lausanne. Si l’acronyme reprend les initiales des associés, il signifie aussi «parle» en portugais. Comment faire parler les images des projets qu’ils conçoivent ?
Chroniques : Vous êtes parmi les chefs de file du collage référencé pour représenter les projets d’architecture. D’où vous vient cette pratique ?
FALA (Ahmed Belkhodja) : Le premier aspect serait une attitude sceptique vis-à-vis des images photoréalistes dans ce qu’elles apportent vraiment aux projets d’architecture. Pour nous, le collage permet de travailler efficacement une ébauche là où le photoréalisme est trompeur.
La seconde raison est liée à notre parcours. Nous avons commencé en participant à des concours ouverts en sachant pertinemment que nous n’avions que peu de chances de gagner. Or, nous voulions que l’image y survive. Autonome, elle devient un espace de fantasme qui peut être regardé indépendamment du projet. Progressivement, cette méthode a eu un impact sur la composition de notre architecture et c’est là que cela est devenu vraiment intéressant.
La réputation de vos collages précède votre architecture, qui touche principalement à des rénovations d’habitats privés. Pourtant, lorsque l’on regarde la maison Rua do Paraiso à Porto, la ressemblance entre le collage et la réalité est troublante.
Le collage fait désormais partie de notre processus de conception. Nous jouons entre la tension d’une architecture constituée de surfaces bidimensionnelles qui se retrouve dans un espace tridimensionnel. Comment une élévation se rapporte au volume ?
En rénovation (bien que près de 50% de notre travail soit aussi des constructions neuves), le collage permet d’aller sur le site, de prendre une photo et de coller dessus pour entamer rapidement le projet.
Néanmoins, nous laissons carte blanche au photographe, qui joue avec ses propres mises en scène. Là, il se trouve que l’image ressemble énormément. Je crois qu’il est ainsi possible de mesurer la réussite d’un projet, dans ce que la réalité révèle de sa part utopique. L’intuition initiale se retrouve dans le résultat final.
A contrario, c’est tout ce que l’on reproche aux ‘renders’ : le résultat final est toujours décevant face à l’image qui propose une réalité idyllique.
La composition de vos collages est très caractéristique : point de fuite central, symétrie, éléments géométriques, aplats de couleur dans des tons pastel, mises en avant des usages, le tout dans un format carré. Egalement, vous n’hésitez pas à insérer des références artistiques. Parlez-nous un peu de ces compositions ?
Le format, unique, est très important pour nous. Il permet de regarder l’ensemble comme un grand projet. Tous nos plans, coupes, collages, nous les redessinons avec le même format, la même échelle, le même principe graphique. C’est une obsession scientifique, une attention taxonomique.*
Cependant, nous ne travaillons pas dans le cadre d’une quelconque théorie de l’architecture que nous aurions à défendre.
Quant aux collages de références, nous nous sentons habilités à piller tout ce qu’on aime. Ces références que l’on ‘vole’ à souhait, n’ont ni limites géographiques, ni limites temporelles et sont piochées aussi bien dans des œuvres renaissance que brutaliste. Nos projets sont souvent faits d’événements sur un fond blanc. Ce dernier est une manière de rassembler des choses disparates et éclectiques.
Je trouve intriguant que notre travail soit, au Portugal, décrit comme une architecture non portugaise. Je pense que dans une certaine mesure, notre architecture est très portugaise, mais nos y insérons d’autres choses, ce qui nous semble plus intéressant que de faire juste du Siza.
De fait, nous sommes un peu en conflit avec la scène portugaise. L’école d’architecture de Porto essaie de créer des mini Siza. Pour nous, même s’il est une influence importante, il est nécessaire de regarder ailleurs. Ici, nous avons quelque chose d’anti-portugais, alors qu’à l’étranger, notre architecture est considérée comme étant portugaise.
D’où vient ce mouvement ? De Belgique peut-être ?
Dogma, Office et d’autres sont des fers de lance de cette pratique, qu’ils ont popularisée. Mais elle existait bien avant. Rem Koolhaas a fait des collages, Mies Van der Rohe aussi. C’est aussi un héritage direct d’Archizoom et de Superstudio.
Je crois qu’il s’agit plutôt une tendance européenne. Quand quelque chose devient standard, cela vaut la peine de faire autre chose et je crois que c’est ainsi que les architectes se sont éloignés de l’hyperréalisme. Je crois d’ailleurs que nous avons aujourd’hui atteint un stade où le collage est en passe de devenir un nouveau standard. La manière de les réaliser est différente d’il y a quatre ou cinq ans. Elle évolue avec notre manière de faire de l’architecture. Finalement, il y a plusieurs types de collage.
Les collages référencés ont vu leur notoriété grandir par le prisme des réseaux sociaux comme Instagram ou Pinterest. Que pensez-vous de cette diffusion massive des images, sans sous-texte et hors contexte ?
Un mode de représentation n’a d’intérêt que dans la mesure où il influe sur un projet. Les réseaux sont des outils révolutionnaires qui n’ont d’intérêt que s’ils suscitent une architecture différente, même si, ensemble, ils permettent de regarder le projet d’une autre manière.
Je ne crois pas qu’à ce jour, il y ait eu une plateforme internet qui ait eu un réel impact sur l’architecture. Je ne pense pas qu’un seul de ces sites a vraiment changé la manière dont l’architecture est faite. Il s’agit juste d’une gigantesque avalanche d’images quotidiennes dans laquelle naviguer est un vrai défi. Les seules plateformes réellement intéressantes sont celles qui ont une curation digne de ce nom.
L’image d’architecture s’autonomise. Elle s’expose et se vend dans les galeries en tant qu’œuvre d’art. Quand est-il pour vous ?
Des galeries nous ont démarchées pour vendre des impressions de ces images. Dans certains cas nous avons accepté, dans d’autres non.
Je ne crois pas que ce soit quelque chose de nouveaux. Enormément d’architecture sont connues uniquement par leurs images. Boulée est un vrai exemple. Son architecture ne peut exister qu’à travers l’image. Cela instaure un espace où le processus de projet, indépendamment de la réalisation, est au moins aussi important que le produit fini. Pour nous, certains de nos projets non réalisés sont aussi importants que d’autres qui ont été construits. Je crois que le réel est souvent surestimé en architecture.
Sur quoi travaillez-vous en ce moment ? Quels sont les projets à venir ?
Nous avons une quinzaine de projets en cours, de différentes échelles. Beaucoup de transformations, essentiellement du résidentiel. Notre plus grand projet à ce jour est un bloc de 15 appartements que nous espérons livrer l’été prochain. Nous avons de moins en moins de temps pour répondre au concours mais nous nous appliquons à en faire un ou deux par an, pour réfléchir à d’autres programmes, d’autres problématiques.
Propos recueillis par Amélie Luquain
*Science des lois et des principes de la classification des organismes vivants, permettant de rendre compte d’un ensemble