Le miroir ne restitue pas la totalité de la lumière réfléchie, non seulement il en absorbe une partie, mais il obscurcit l’espace et sa pensée. Qu’en est-il de son reflet ?
En lisant l’article Architectures de guerres, architectures de crise ? et, plus tard, l’essai de Philippe Prost PAR ART ET PAR NATURE*, je ne pouvais m’empêcher de penser au livre de Michel Serres C’était mieux avant dont l’auteur raconte avec malice que, justement, avant il y était. Son ouvrage commence ainsi : « avant, nous gouvernaient Franco, Hitler, Mussolini, Staline, Mao… rien que des braves gens ; avant guerres et crimes d’Etat laissèrent derrière eux des dizaines de millions de morts. Longue, la suite de ces réjouissances vous édifiera ».
La France est en crise, le monde est en crise et en plein bouleversement idéologique. La France est en guerre – oui – elle mène des guerres loin de chez elle, va-t-on pour autant envisager la « fortification » de notre espace aérien comme dans Hunger Games ? De toutes les crises, l’auteur cite la crise de la conception.
Je regarde soudain dans le rétroviseur, une lueur venant du passé m’interpelle. L’architecte montre l’image d’un fortin dessiné par Vitruve et la photo d’un fort actuel en Afghanistan dixit Chroniques d’architecture. « Si on enlève les antennes contemporaines, c’est toujours le même fortin » explique Philippe Prost en évoquant la notion de permanence qui peut se décliner partout, l’architecte concluant que « c’est une architecture qui ne se pose pas la question du style ».
Qu’est-ce qu’un style ?
Il nous faudrait d’abord questionner le « modèle » pour essayer d’y répondre. Du latin « modulus » mesure, le modèle pourrait être ce qui est donné pour servir de référence ou de type. Que ce soit en sculpture, en photographie, en peinture ou en architecture, on retrouve toujours cette idée de reproduire à l’identique. On peut également modeler une matière molle, telle que la terre, la cire… etc. pour en faire un modèle et la vulgariser par un processus mécanique.
Le style quant à lui, vient du mot latin « stylus » qui désigne le poinçon avec lequel on écrivait sur les tablettes de cire. On peut reconnaître dans cet objet l’ancêtre du stylo. Par glissement métonymique, le style est devenu aussi la manière d’écrire relatif au « travail de l’écriture ». Il existe de bons styles, il y en a de moins bons, il y en a de mauvais et même de banals. Là n’est pas la question. Qu’est ce qui va faire qu’une « chose » soit perçue comme un style ?
N’est-ce pas parce qu’une réponse formelle se reproduit et devient modèle que naît le style ? « Le style contemporain » par exemple. Si le mot contemporain renvoie à la chose produite durant son époque, concernant l’architecture, à quoi correspond cette époque ? Une décennie ? Deux décennies ? Un demi-siècle ? Un siècle ?
Quand il est question d’architecture contemporaine, c’est en tant que style qu’elle est évoquée. A tort ou à raison, l’inconscient collectif a identifié des éléments de Type qui sont reproduits à l’envi. Cette reproduction fait d’eux un modèle par glissement puis un style, « l’architecture contemporaine ».
Alors, quand l’auteur parle « d’une architecture qui ne pose pas la question du style », a priori, en ce qui concerne Vitruve c’est fort probable, mais qu’en est-il de l’Afghanistan et de Navarre ? Le premier fortin était en effet, comme Philippe Prost le décrit très bien, issu de son contexte, de la typologie du terrain, des matériaux disponibles. Mais quand il eut prouvé son efficacité et fut reproduit par dizaines d’exemplaire, la question du style était bien celle posée aux concepteurs.
Dans la nature il y a des paysages de bon goût, il y en a d’autres de mauvais goût. Pour ces derniers, seule l’architecture permet de révéler les qualités latentes d’un site ou d’une nature pour la transformer en paysage*.
Gemaile Rechak
* Part art et par nature / Architectures de guerre. Edition Les Edifiantes 17€
** Le terme « paysage » est utilisé tel que Laurence Kimmel l’évoque dans son livre L’architecture comme paysage Alvaro Siza.