Avec apparemment peu de règles, à Nantes la circulation dans les espaces publics est apaisée. À Paris, la surabondance de signalisation et l’ultra réglementation sont à l’inverse sources de conflits d’usage dans ces espaces. Dans les rues de Paris, n’y a-t-il que des prisonniers ?
Amené au gré de mes déplacements professionnels à fréquenter différentes villes, j’ai pu, ces derniers temps, arpenter les rues de Nantes. Ville précurseur, notamment sous l’impulsion des tramways dont elle a été l’une des premières villes à succomber aux charmes, elle est souvent citée en référence par les autres villes de France en ce qui concerne les aménagements de ses espaces publics. Qu’en est-il réellement ? C’est l’occasion d’une petite réflexion comparative entre les espaces publics nantais et nos espaces publics parisiens.
Il est assez courant actuellement de lire des critiques acerbes sur la qualité d’espaces publics parisiens constamment en travaux, parsemés d’aménagements qui soulèvent des questions et sous la coupe de doctrines anti automobiles assumées. Bref, toutes les composantes pour attirer les flèches de tous bords. Pour autant, les espaces publics parisiens sont-ils à ce point disgracieux et sujets à caution ?
Expérience…
Arrivé à Nantes en voiture, à l’approche du centre historique j’ai cherché un parking que j’ai trouvé rapidement. Il s’agit d’un parking public dans lequel, véhicule électrique oblige, des bornes de recharge se trouvent à disposition. La recharge est gratuite, seulement accompagnée d’un message invitant au civisme et à libérer la place une fois la recharge terminée afin de laisser aux autres utilisateurs la possibilité de bénéficier du service. Sans avoir l’œil rivé à ma montre, compte tenu de l’intention, quelques heures plus tard, j’ai évidemment déplacé mon véhicule et libéré la place. Courtoisie oblige…
Une fois regagnée la surface, j’ai pu déambuler dans des rues au statut assez peu défini ; en effet, le traitement des espaces publics est, dans ce centre, assez peu différencié entre les zones piétonnes et celles accessibles aux voitures. Ce flou, loin d’être source d’angoisse, est plutôt apaisant, le piéton peut marcher où bon lui semble, et, lorsqu’une voiture se présente, chacun se doit d’être particulièrement attentif et, somme toute, cela se passe plutôt bien.
Ce qui saute aux yeux pour l’observateur averti est l’absence de signalisation routière, peu ou pas de feux tricolores, pas de passage piétons, pas ou peu de pistes cyclables, et pas non plus de barrières en bout de trottoir pour contenir les piétons vers les passages protégés. Même les traversées de transports en commun se font avec une simple signalisation orange clignotante signifiant l’approche du transport, la circulation automobile et piétonne s’immobilisant immédiatement.
Pour le Parisien ou Francilien, il y a là quelque chose de fascinant. L’approche de la réflexion urbaine à Nantes semble totalement opposée à ce que nous vivons à Paris. Pensez ! Le cours des 50 otages de Nantes, voie structurante majeure, ne compte aucune intersection à feux quand dans la moindre rue parisienne la moindre intersection se voit affublée de feux pour voitures, plus leurs compléments pour vélos.
Il est d’ailleurs notable qu’à Nantes, malgré la présence de nombreux vélos, pas un seul feu « vélo » affublé de son stupide petit panneau autorisant ou non le franchissement ! Pas non plus de piste cyclable avec sa petite banquette de séparation pour bien signifier aux autres usagers que, cet espace-là, « il est à nous » ! Non ! le vélo circule parmi les piétons et les voitures, sauf sur les artères larges où la place est suffisante. Dans ces cas, la plupart du temps, c’est un marquage au sol ou un revêtement différent qui démarque l’espace mais situé au même niveau que les autres usagers.
Il devient donc légitime de s’interroger sur les aménagements parisiens. L’ultra réglementation et la sectorisation à outrance qui prévalent à l’aménagement des espaces publics ne sont-elles pas finalement contreproductives ? La surabondance de signalisation routière pour contraindre l’automobiliste, qui crée une espèce d’anxiété perpétuelle de la faute d’inattention, vertement sanctionnée, n’est-elle pas une source de l’agressivité qui règne ?
De fait, il faut bien le reconnaître, ce qui peut paraître « anarchique » dans les rues de Nantes ne l’est en fait pas du tout, le système oblige chacun à prêter attention à l’autre et cela est apparemment une force de ralentissement bien plus efficace que de sauter d’un feu à l’autre avec l’envie d’accélérer entre les deux. Chacun peut remarquer que lorsqu’une intersection parisienne se retrouve en panne de signalisation, loin d’être l’apocalypse, les circulations sont parfois plus fluides…
En tant que piéton nantais, je ne me suis jamais senti agressé, ni par une voiture, ni par un cycliste, comme cela peut-être le cas à Paris. L’absence de feu génère un arrêt des automobilistes aux passages protégés lorsqu’un piéton s’y engage, et l’automobiliste ne se risque pas à brûler le signal du transport en commun en site propre…
Finalement, lorsque les usagers doivent s’autoréguler, les choses se passent avec beaucoup plus de courtoisie et l’espace public est, de fait, mieux vécu. N’y a-t-il pas dans la logique de « vente à la découpe » de l’espace public parisien aux lobbys de tous poils, la généralisation d’une intolérance de l’autre, au motif qu’il est moins légitime ou moins vertueux ?
En vingt ans de cyclisme dans les rues de Paris, j’ai pu constater le changement de comportement de mes congénères, et l’agressivité qui règne en maître maintenant chez la plupart d’entre eux n’a eu de cesse d’augmenter avec la généralisation des pistes cyclables et les discours anti automobiles qui vont de pair. Au point qu’aujourd’hui piétons et automobilistes sont surpris lorsqu’ils me voient respecter le code de la route et céder le passage à un piéton sur un passage protégé.
Bien sûr, d’aucuns diront que la circulation parisienne et la circulation nantaise ne sont pas les mêmes mais, au-delà de la circulation, c’est la différence entre un aménagement urbain pensé globalement par un urbaniste de talent et des aménagements politiciens faits à la petite semaine au gré des lubies et de l’air du temps qui importe. Ces derniers n’ayant manifestement pour seule logique que la volonté de monter les usagers des espaces publics les uns contre les autres, dans une relation d’agresseurs / agressés perpétuelle épuisante. C’est ce qui rend ces espaces publics désagréables à vivre, lesquels sont donc rejetés par la population.
Cette relation d’agressivité se vérifie à mon retour dès l’arrivée au parking. Pour avoir fréquenté un parking parisien, il y avait bien quelques bornes de recharges pour mon véhicule (moitié moins que dans le parking Nantais !), mais l’accès doit se faire via une application propriétaire, et le coût de la recharge vient en supplément du coût de parking déjà honteusement excessif. Dans une telle situation, malgré le faible nombre de bornes, je ne suis pas sûr que j’aurais aussi civilement qu’à Nantes déplacé mon véhicule s’il avait dû séjourner longtemps dans le parking !
Stéphane Védrenne
Architecte – Urbaniste
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