A l’heure où les démêlés de Jean Nouvel avec l’autorité judiciaire font les grands titres de journaux nationaux, d’aucuns de s’inquiéter de l’image déplorable des architectes offerte une nouvelle fois en pâture au grand public. Mais la célébrité du fantasque architecte français fait de lui une cible facile. Plus discrètement, dans les campagnes, des histoires similaires, où l’absurdité le dispute au cynisme, sont plus émouvantes tant elles sont de proximité, à échelle humaine en somme.
Tenez, par exemple, voyons ce contentieux (actu.fr 24/10/2019) entre la communauté de communes de Nozay, en Loire-Atlantique, et Octant Architecture, entreprise d’architecture basée à Rouen qui avait piloté la réhabilitation et l’agrandissement de la piscine entre 2013 et 2016.
L’intercommunalité réclame 10 000€ à l’agence d’architecture pour les «trente jours de retard» pris par le chantier. Ayant perdu en première instance, elle a été sommée de payer 6 200€ à l’architecte qui lui-même réclamait précisément 10 000€. Par ailleurs, ce dernier a lui aussi fait appel de ce jugement de première instance, n’acceptant pas que 600€ aient été laissés à sa charge pour «deux absences à des réunions de chantier». Il faut suivre car ça vole haut. En tout cas, tout le monde refuse de payer.
Il est vrai que les élus l’avaient mauvaise puisque, avant même le début de sa construction, les erreurs imputées à la maîtrise d’œuvre avaient déjà fait bondir de 450 000€ le coût de l’ouvrage, évalué au départ à 2,1M€. Un bond de presque 25%. Comme quoi, avec sa Philharmonie, en pourcentage d’inflation, Nouvel est un petit joueur. Mais bon pas étonnant qu’il y ait du mauvais sang entre le maître d’ouvrage et son maître d’œuvre.
Le problème est que, justement, ce sont souvent les mêmes qui ont toujours les mêmes problèmes. C’est récurrent, comme pour un kleptomane accro aux briques Lego. En effet, ce cabinet rouennais a déjà été condamné en 2018, en appel, à verser, avec SOCOTEC, de grosses sommes (28 013,98€TTC + 82 918,85€TTC) à la commune de Saint-Amand-Montrond (Cher) en réparation des désordres affectant l’auvent de la zone d’accès du personnel à la piscine et ceux affectant les façades entourant la zone des bassins.
A Doullens, dans la Somme, un autre équipement conçu – c’est un grand mot – par la même agence est un nouveau fiasco. La communauté de communes a dénoncé le marché, rompu le contrat, et a dû relancer une procédure pour trouver un nouveau maître d’œuvre. Une vedette ! Octant est certes en redressement judiciaire depuis juin 2019 mais bon, les droits d’auteur suivent leurs auteurs.
Dans un autre genre, se souvenir de cette histoire, dans le Nord cette fois. L’atelier d’Orazio s’était fait connaître dans la région en construisant des maisons individuelles. En 2008, indique La Voix du Nord (04/2013), son chiffre d’affaires annuel dépassait 2M€. Puis son fondateur cède l’agence en 2010. En 2013, le cabinet, qui a gardé le même nom et qui comptait onze personnes, n’a pas pu tenir son objectif de 40 maisons individuelles annuelles. Liquidation judiciaire. Quarante maisons d’architecte par an ??? Et ce pendant des années ! Combien de clients ont appris à épeler contexte avant d’être floués s’en même s’en rendre compte, du moins pas tout de suite ?
Les exemples ne manquent pas et cela finit par faire, dans les villages, beaucoup de monde qui en parle avec méfiance de l’architecte.
Au fil de leurs carrières, ces praticiens néfastes, justement parce qu’il s’agit d’équipements proches des gens – une maison, un bâtiment public – font sans doute beaucoup plus de mal à l’image des architectes en général et à celle de l’architecture en particulier, et beaucoup plus profondément et durablement, qu’un Jean Nouvel vieillissant dont la très grande majorité des gens ne visitera pas les bâtiments, si tant est qu’ils aient jamais entendu parler de lui.
Christophe Leray
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