Pour ce voyage au cœur de l’hindouisme et du bouddhisme, Bénarès est un point de départ crucial sur la route de l’Himalaya. Malgré les rituels hindous et les ghâts le long du Gange, la ville reste marquée par la présence discrète du bouddhisme. Chronique de l’architecte Jean-Pierre Heim.
Bénarès (Varanasi), non loin de l’Himalaya, traversée par le Gange, ville sacrée de l’hindouisme, est une fusion unique des styles hindous, jaïns et bouddhistes, influencée par sa position géographique au nord de l’Inde et son rôle spirituel. Varanasi est connue pour ses nombreux temples hindous, principalement dédiés à Shiva, dieu le protecteur de la ville. L’architecture est profondément symbolique, chaque élément ayant une signification spirituelle. Bénarès est également importante pour le bouddhisme car elle est proche de Sarnath, l’endroit où le Bouddha a donné son premier sermon après l’illumination.
La proximité de l’Himalaya a aussi joué un rôle dans l’évolution architecturale de la région. Les pèlerins venant du nord ont introduit des styles architecturaux du Népal et du Tibet, ajoutant à la diversité culturelle et architecturale.
Plus au nord, je traverse la frontière pour atteindre Katmandou, la capitale népalaise. Loin de la ferveur vibrante de Bénarès, Katmandou se révèle comme un carrefour entre cultures hindoues et bouddhistes. Autour des stupas sur la route, les drapeaux de prières flottent au vent.
Katmandu, site protégé du patrimoine mondial de l’UNESCO, est une ville tampon entre la plaine indo-gangétique et les montagnes de l’Himalaya. La cohabitation des différentes ethnies, le brassage des religions sont dus à sa situation géographique. Les populations Newar, Chétri, Talang, Bhote, etc. possèdent un mode de vie propre et, dans ce véritable carrefour ethnologique, se mêlent et s’entremêlent dans un désordre cependant organisé.
Le système des castes d’origine hindoue (l’hindouisme étant la religion officielle) a fortement influencé les régions bouddhistes. Sur la place « Durbar Square » est situé le temple du Dieu du village vers lequel les rues convergent. Plusieurs places se succèdent ainsi. Si dans ces villages cohabitent hindouistes et bouddhistes, le temple de pierre hindouiste, lui aussi, aux formes curvilignes, côtoie les pagodes bouddhistes.
Cette succession de temples correspond à la volonté de chaque souverain qui, pour symboliser son règne construisait un temple. Mis à part les magnifiques temples, il existe dans les villes royales de Katmandu, Patan et Bhatgaon, une architecture originale propre au Népal.
Le 25 avril 2015, un puissant séisme de magnitude 7,8 a frappé le Népal, détruisant des villages entiers et causant plus de 8 500 morts. Dans la vallée de Katmandou, au pied de l’Himalaya, environ 400 bâtiments historiques ont été endommagés, et au moins 35, classés au patrimoine mondial, ont été complètement détruits. Des catastrophes de ce genre s’étaient déjà produites au Népal. En janvier 1934 un séisme de magnitude 8,1, le plus violent de l’histoire du pays, avait été à l’origine de dégâts encore plus graves. Ce fut l’occasion de sécuriser l’exceptionnel patrimoine historique, artistique et religieux de la vallée de Katmandou. Après le violent séisme du printemps 2015, les travaux de reconstruction des anciens et merveilleux temples et palais ont démarré immédiatement tant, pour les Népalais, ces monuments sont des témoignages « vivants » .
Au Népal, la religion c’est la vie de tous les jours, c’est un mode de vie. Aux rives de la Bagmati, le Gange indien, se sont implantées Katmandu, Patan, Bhatgaon et d’autres villes. C’est au Népal qu’apparaissent les premières pagodes, l’habileté des Newars s’étend alors jusqu’au Tibet et en Chine. La plus belle pagode se trouve à Bhatgaon, cinq pagodes carrées sont superposées.
Dans la société newar, la vie communautaire est associée à une très forte préoccupation de défense. En 1959, 60 000 Tibétains immigrèrent au Népal en raison de l’occupation chinoise du Tibet et de la capitale. L’Inde et la Chine partagent 3 500 kilomètres de frontière, où ont lieu des accrochages sporadiques, notamment non loin du Laddak, aussi appelé le petit Tibet Indien, que je n’ai pu visiter à cause des évènements politiques. Pour autant, l’Inde a annoncé, lundi 21 octobre 2024, avoir conclu un accord avec la Chine.
Le chemin se poursuit vers les terres plus reculées du Sikkim. Ici, l’Himalaya devient plus qu’un décor. Le monastère de Rumtek, avec ses couleurs vives et ses moines en prière, incarne la pureté de la tradition bouddhiste tibétaine. Le Sikkim, petit et isolé, était un sanctuaire où la spiritualité se mêlait aux montagnes, où les chants de méditation résonnent dans les vallées glacées. Ici, le bouddhisme n’est pas seulement une religion mais un mode de vie, un lien profond avec la nature et l’univers.
Au-delà des frontières de l’Inde et du Népal, la route conduit vers l’Afghanistan. Bien avant que ce pays ne soit ravagé par les conflits, il avait été un centre bouddhiste florissant, une étape cruciale sur la Route de la Soie. Mes notes de voyages commencent ainsi : « J’en reviens, de ce pays où le Moyen Âge existe encore. Je n’osais à peine y croire. Je traversai l’Europe jusqu’en Asie centrale, laissant peu à peu derrière moi la civilisation occidentale. Fuyant la foule, le bruit, la monotonie et l’absurdité quotidienne de nos villes, je suis devenu un beau jour un personnage anachronique dans un décor médiéval… »
J’ai découvert alors le géant des Bouddhas de Bamiyan, sculptés dans la roche, témoignaient autrefois de la grandeur de cette civilisation spirituelle. Bien que détruits par les Talibans en 2001, ces vestiges de pierre gardent la mémoire d’un temps où l’Afghanistan était un maillon essentiel de la route du bouddhisme, reliant l’Inde à l’Asie centrale et au-delà.
À New York en 2001, j’ai rencontré le grand sculpteur afghan Amanulah Haiderzad, qui me confia alors la mission de présenter son projet à l´UNESCO à Paris : il avait entrepris des études techniques approfondies pour reconstruire les bouddhas avec exactitude, avec les mêmes matériaux, pierre et boue mélangés avec de la paille. La réponse de l´UNESCO fut claire et nette. Un acte de destruction est un acte historique et doit demeurer en tant que tel. Bref, un refus catégorique… Toutefois, une équipe d’artistes japonais a créé un spectacle de lumière pour faire revivre sur les ruines l’empreinte du bouddha de 55 mètres de haut.
J’avais alors pu accéder sur la tête du bouddha et mes initiales, gravées au canif parmi des centaines d’autres sur la paroi de la grotte subsistent certainement encore au-dessus du sol béant.
Cette route du bouddhisme himalayen, passant par Bénarès, Katmandou, le Sikkim, et les terres jadis sacrées de l’Afghanistan, retrace non seulement le chemin parcouru par la sagesse du Bouddha, mais aussi l’histoire de peuples qui avaient trouvé refuge et espoir dans ses enseignements. Traverser ces terres, c’était entrer dans un monde où le spirituel et le matériel se confondent, où chaque pas dans les montagnes et les vallées de l’Hindukush et de l’Himalaya fait traverser le temps.
Jean-Pierre Heim, architecte
“Travelling is an Art”
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