L’étude de la transmission des gênes d’une génération de quartier à la suivante se révèle une véritable mine pour tenter de contrôler le phénomène de disparition des espèces urbaines. Dans son livre Dead Cities, Mike Davis (philosophe urbain contemporain) montre que, depuis son émergence, à l’apogée du Néolithique, la ville n’a cessé d’être associée au spectre apocalyptique de sa propre destruction.
Les disparitions par action militaire ou vengeance divine devant un excès de zèle, pour autant qu’elles soient tragiques, ne sont pas vraiment notre sujet. Pourtant le formidable destin de la destruction programmée des villes pendant la dernière guerre mondiale mérite qu’on l’évoque : pour contrôler les stratégies de destruction des villes allemandes ou japonaises, vers la fin de la seconde guerre mondiale, les Américains reproduisirent aux Etats-Unis des quartiers entiers de ces villes afin d’en tester les résistances mécaniques.
Ainsi, les villages germano-japonais du site de Dugway dans le désert du Nevada, et le quartier rouge de Berlin édifié dans le désert de l’Utah (par les décorateurs de la RKO), furent une modélisation à l’échelle 1 de l’étude des stratégies nécessaires à l’éradication programmée de civilisations urbaines.
Mais le propos génétique de cette chronique exclut les destructions massives (12 secondes pour Hiroshima) car elles ont des causes de disparition exogènes. Nous nous intéresserons plutôt aux causes endogènes, ayant chacune des similitudes avec la nature.
La très lente disparition du nombre incalculable des espèces vivantes (puisque seulement 1/1000 des espèces ayant existé sont encore vivantes aujourd’hui) oblige à considérer un mi-chemin entre les destructions massives évoquées ci-dessus et les évolutions darwiniennes urbaines (comme la disparition des laveries et des petits métiers de Paris – déjà évoquées dans un épisode précédent).
Le destin du Dodo en est très évocateur : cet oiseau de l’Île Maurice s’est éteint vers la fin du XVIIe siècle après que les hommes eurent détruit les forêts où les oiseaux faisaient leur nid et introduit des animaux qui mangeaient leurs œufs.
Sa disparition rappelle la déchéance récente de la ville de Détroit au nord des Etats-Unis : une fin lente, programmée, prévisible, liée à la disparition du milieu nutritionnel (la fin des usines automobiles), et à l’appétit des banquiers.
Il est difficile d’imaginer en France, où les soubresauts de la crise des ‘subprimes’ ont atteint le système bancaire mais n’ont pas concerné la destruction du paysage, ce qu’il en a été aux Etats-Unis en général et à Détroit particulièrement.
La disparition d’espèces urbaines est un des phénomènes biomimétiques les plus extraordinaires : le terme disparition d’espèce étant souvent utilisé en référence au phénomène d’extinction locale, dans lequel une espèce cesse d’exister dans une zone d’étude donnée mais vit encore ailleurs.
Prenons par exemple la formidable invention de la Ville Nouvelle dans les années 1970 (par Paul Delouvrier, en responsabilité de 1961 à 1969), son extinction locale, dans sa forme native, est aujourd’hui suivie d’une recolonisation naturelle, ou d’une réintroduction d’individus de cette espèce prélevés dans d’autres régions (avec parfois des échecs, quand la niche écologique a été occupée ou modifiée par d’autres espèces), sous la forme d’un écoquartier.
C’est-à-dire que le phénomène de décomposition d’un quartier n’est ni une évolution ni une mutation mais une substitution. Et, puisque notre propos est génétique, il est permis de supposer alors que le gène de cette substitution est sémantique. Ainsi les Villes Nouvelles deviennent des écoquartiers, qui seront demain des agricoquartiers et puis sans doute ensuite des biocénoses…
François Scali
Toutes les chroniques de François Scali