Auteur d’une étude remarquée à propos du logement étudiant*, par ailleurs auteur de nombreuses restructurations lourdes, Patrick Rubin, fondateur de l’agence CANAL Architecture, en est venu naturellement à s’interroger sur la réversibilité des bâtiments, soutenu en cela désormais par Vinci Construction France. En attendant la sortie prochaine d’une nouvelle étude ‘Construire réversible’, il signe sur le plateau de Saclay une résidence étudiante dont la conception porte en germe les évolutions sociétales et constructives à venir.
CANAL Architecture a remporté en octobre 2015, avec le groupe Pichet, promoteur, et Scintillo-Le 3e Pôle pour l’ingénierie culturelle, un concours lancé par l’établissement public Paris-Saclay (EPPS) pour la construction d’une résidence étudiante de 231 logements dans le quartier de l’école Polytechnique à Palaiseau (91). Si le bâtiment en tant que tel n’est pas totalement réversible, il montre une étape essentielle de l’évolution des problématiques du logement car c’est en allant au-delà du programme du seul habitat étudiant que l’architecte démontre au travers de ce projet que le «penser réversible» est désormais incontournable et consubstantiel des nouvelles façons de construire.
L’opération «C22B» prend place au cœur du Campus de Paris-Saclay, à quelques encablures du CNRS (VIB Architecture), d’AgroParitech (Sou Fujimoto architects, Manal Rachdi Oxo architectes, Nicolas Laisné Associés) ou encore de l’EDF Lab Campus (Francis Soler), et à quelques minutes des pôles de transports. Les 8 028 m² SHON sont insérés dans un bâtiment R+4 en forme de fer à cheval, orienté nord-sud. Un jardin partagé est abrité au cœur du site. Un socle de 7,50 m de haut offre un espace de 1000 m² – le Tiers-Lieu – laissé à la programmation évolutive du Groupe Scintillo (avec son entité, La Gaité Lyrique), qui envisage d’y installer un café, un espace de ‘coworking’, un espace de jeu, une offre de restauration et de produits frais, un lieu de pratique sportive, ainsi qu’un studio de répétition et un lavomatic. Les étages sont dévolus aux logements. Quant au toit-terrasse paysagé, il sera pour l’essentiel le terrain de jeu des abeilles locataires des ruches qui y seront installées.
«Le logement étudiant n’existe habituellement que par sa définition générique et dans certains cas comme produit de défiscalisation. Ici nous parlons du domaine de l’habité, de la qualité des aménagements intérieurs, de la socialisation et de l’attraction de services mutualisés», souligne l’architecte.
De fait, les 231 logements proposent des typologies diversifiées, des appartements allant du T1 au T5, certains avec balcon, d’autres avec loggias, des duplex. Selon Patrick Rubin, ces types de logements permettent de répondre à plusieurs configurations sociales et familiales (seul, en colocation, en couple, en couple avec enfant). Des espaces publics et partagés sont disséminés ça et là afin de faciliter les échanges, notamment dans les coins du «U». Ainsi les trois ailes du bâtiment, sont autonomes comme le sont les 1 000 m² du Tiers-lieu. Le bâtiment, dans sa conception même, élargit donc le concept de résidence étudiante bien au-delà d’une seule spécificité mono fonctionnelle. «Le réglage de la diversité des propositions n’altère pas l’équilibre du programme ni l’économie de l’offre, ni les redevances calculées sur les formats des superficies», assure Patrick Rubin.
Cette variété des espaces intérieurs s’inscrit en façade, laquelle est rythmée notamment par les redents formés par les logements en épis favorisant les vues vers le sud. Marquant l’axe nord-sud, ils animent la façade par des effets de lumière blanche, optimisant l’éclairage naturel de la rue grâce à la réverbération.
La programmation du rez-de-chaussée se définit progressivement avec les acteurs du plateau de Saclay. Patrick Rubin insiste sur «la démarche audacieuse que constitue ce Tiers-lieu, un espace multifonctionnel ouvert à tous, dans la vie du Campus».
Un porche traversant de 7,50m de haut et 70 m de long donne accès aux deux éléments du programme. Il constitue une perspective ouverte sur le jardin central, abrité et sécurisé. Ce large espace cumule les fonctions d’accessibilité et de gestion des flux, ainsi que de foyer pour les manifestations du ‘ Tiers-lieu ’. «Depuis le boulevard sud, le socle offre la lecture d’un espace multifonctionnel dynamique et convivial, lieu de travail et lieu de vie», ajoute l’architecte. «Le Tiers-lieu résume à lui seul finalement toute l’originalité du projet car la démarche de notre groupement est de ‘ fabriquer ‘, au sens noble du terme, un projet architectural générateur d’usages et d’expériences de qualité, dont la conception est guidée par le souci commun d’adapter les espaces aux résidents et aux visiteurs extérieurs afin de favoriser les échanges et la vie au sein du campus».
Ce projet met ainsi en pratique le système structurel imaginé dans un premier temps, par CANAL, I3F et VCF, pour une autre opération, un concours organisé par le CNOUS en 2010 pour la conception de logements étudiants par procédés industrialisés. Les plusieurs vies de C22B, dont Patrick Rubin estime qu’elles sont «inéluctables», sont anticipées et la réversibilité et mutabilité du bâtiment sont intégrées dans la structure poteaux-dalles. Cette conception structurelle offre de nombreuses opportunités d’aménagement et permet d’envisager tout processus futur de transformation, à l’intérieur comme à l’extérieur du bâtiment.
«Il n’y a pas de meilleur dispositif que celui qui évite les différents formats des logements dédiés aux étudiants, aux travailleurs, aux handicapés, aux vieux … Il s’agit donc de concevoir selon un procédé constructif qui se prête à toute forme d’évolution et accueille à égalité tous les formats de programmations», explique Patrick Rubin. Dédié aujourd’hui aux étudiants et chercheurs, C22B possède donc la capacité à s’ouvrir à de nouvelles fonctionnalités avec un minimum d’intervention sur la structure.
Léa Muller