Les économistes peuvent-ils se tromper ? En macro-économie, ils se trompent souvent. Et en architecture ? Dans le cas d’une philharmonie, savent-ils même ce qu’ils font ? La question est légitime si l’on en juge par le prix – 789 M€ – de la philharmonie de Hambourg livrée par Herzog et de Meuron et inaugurée début janvier 2016.
Cette inauguration fut un formidable évènement en Allemagne et l’ouvrage est paraît-il, selon ceux qui l’ont visité, une véritable réussite. Au moins ce bâtiment nous donne quelques éléments de réflexion en regard de notre propre philharmonie parisienne signée Jean Nouvel.
Il est en effet tenu rigueur à l’architecte français du coût de l’immeuble parisien, environ 500M€ pour faire court et tout compris. Pourtant celui d’Hambourg, signé d’architectes suisses réputés consciencieux, en a coûté presque 800 ! Ce qui donne ?
Pour mémoire, c’est en mars 2006 que la Ville de Paris et l’Etat français, ainsi que la Région Ile-de-France pour une petite part, s’engagent pour la construction d’une grande salle de concert dans le Parc de la Villette : budget prévu 200 M€. Zaha Hadid, retenue pour le concours, n’y croit pas une minute et propose un bâtiment à 350M€. L’histoire lui donnera raison.
Inaugurée avec six ans de retard le 11 janvier 2016, la philharmonie d’Hambourg aura elle coûté 789 millions d’euros au final, «dix fois plus que le budget initial», nous apprend l’AFP. Dix fois plus ?
Voyons : la première pierre a été posée à Hambourg le 2 avril 2007 pour une livraison prévue en 2009 ! Ah l’efficacité allemande, le concours était à peine lancé en France qu’Hambourg posait déjà la première pierre. Si la première pierre date de 2007, il est permis de penser que les premières études d’Herzog et de Meuron datent de 2005, voire 2004.
Donc, en 2004 ou 2005, les maîtres d’ouvrage allemands et leurs architectes suisses pensaient que 78 M€ était le prix du ticket pour une philharmonie sur les bords de l’Elbe. Pas étonnant qu’à Paris, un an plus tard, ayant compris l’idée, Sarkozy et Delanoë avaient l’impression d’être royal en lâchant 200 M€ pour leur philharmonie de Paris.
Alors, vraiment, ni les Allemands ni les Français n’auraient anticipé les vrais coûts d’une philharmonie ?
Au moins la France a-t-elle livré sa philharmonie deux ans plus tôt, un 14 janvier 2015, que l’Allemagne. Où est donc l’efficacité teutonne de l’architecture suisse ? Perdue dans le Vorarlberg ? Certes le bâtiment français fut décrié, il l’est toujours, notamment pour ses finitions, quand le bâtiment allemand est encensé et couvert de louanges – ses architectes étaient à l’inauguration – mais Nouvel a multiplié son prix par deux, pas par dix !!!! Ils habitaient où les économistes d’Herzog et de Meuron en 2004 ? Et ceux de la ville d’Hambourg ? Ils ont toujours du travail ou ont-ils changé de ligne de métier ?
De cette période, je n’ai pas précisément en tête le calendrier des élections allemandes et françaises à Hambourg et à Paris mais j’imagine que l’importance politique du projet n’était perdue pour personne ni à Paris ni à Hambourg.
Tiens, en passant, il est un autre domaine où la France n’a pas à rougir de son architecture devant l’Allemagne. Voyez ainsi le fiasco de l’aéroport international de Berlin, construit mais totalement vide et dont la date d’ouverture – prévue initialement en 2012 – demeure à ce jour encore incertaine. En France au moins, pour l’aéroport de Notre-Dame des Landes, on n’a même pas commencé à le construire ! Sans même parler de la première pierre qui est un gros pavé dans la mare. C’est autant d’économies je présume…
Mais pour en revenir aux chiffres, il est quand même hallucinant, même en 2004 en Allemagne ou en 2006 en France que des économistes, y compris ceux qui collaborent honnêtement avec les agences d’architecture, se trompent à ce point sur le coût d’un bâtiment. Certes la technicité et le dessin des ouvrages impliquent la recherche de solutions audacieuses, mais qu’est-ce qui aurait pu induire autant de monde en erreur ?
Voyons. En 2003, Franck Gehry livre le Walt Disney Concert Hall, qui abrite l’orchestre philharmonique de Los Angeles. Son tarif a lui aussi doublé, le projet passant de 50 millions de dollars lors de la première esquisse en 1988 à 100 millions de dollars à la livraison. C’est bien de Franck Gehry qu’il s’agit ! De plus, la remarquable philharmonie de Luxembourg, signée Christian de Portzamparc, était livrée en juin 2005 pour un coût de 107M€ seulement (concours 1997).
Du coup, les économistes européens étaient autorisés à penser que, sans même parler du taux de change de l’euro par rapport au dollar, si Gehry pouvait faire une telle salle pour $100 M et Portzy une telle autre pour 107 M€, jawohl en Allemagne à 78M€ – l’efficacité allemande et suisse, souvenez-vous – et super royal en France à 200M€.
Peut-être à l’époque avaient–ils finalement de quoi jouer les gros bras les politiques et leurs architectes français, suisses et allemands. Peut-être que Sarkozy et Delanoë étaient contents d’eux-mêmes de leur prudence d’avoir anticipé le doublement de l’enveloppe dédiée à leur philharmonie par rapport au bâtiment de Gehry ? Imaginez leur surprise au vu de la suite des évènements ! Que s’est-il donc passé pour que les budgets explosent ? Sans doute moult bonnes raisons, dont mystère et boule de gomme.
Du coup, à propos de la philharmonie de Paris, la polémique quant à son coût et même la supposée roublardise des politiques, et si tout cela n’était finalement juste qu’un malentendu ? De fait, en termes d’économie, en manière de philharmonie, personne ou presque ne semble savoir ce qu’il fait !
Est-ce parce qu’il est impossible par définition d’estimer ces ouvrages ? Est-ce que cela ne vaut que pour les philharmonies ? Peut-être que finalement, d’aucuns auraient autant de réussite au doigt mouillé. Prenons la jauge Gehry ! Ses $100 M à la livraison sont devenus l’unité de mesure des suivantes, fois 1 à Luxembourg, fois 5 à Paris, fois 8 à Hambourg. 500 M€, la nouvelle unité de mesure des prochaines ?
Et si un politicien affirme désormais aux contribuables pouvoir construire une philharmonie à moins d’un milliard de dollars, ne pas le croire ?
Christophe Leray