
La relation entre photographie et architecture est bien connue. En revanche, celle entre photographie et géographie l’est moins. Nombre de grands géographes étaient également photographes. Pour la plupart d’entre eux, la photographie était un simple outil.
D’un autre côté, le travail de nombreux grands photographes a une dimension géographique. Ansel Adams définit comme réussie une photographie qui exprime les sentiments évoqués par le sujet photographié : « Une grande photographie est celle qui exprime pleinement ce que l’on ressent, au sens le plus profond, face à ce qui est photographié ».
Prises séparément, les photographies de Délos répondent à ce critère. Cependant, prises dans leur ensemble, elles explorent les strates les plus profondes de la théorie de la géographie.


Erieta Attali photographie Délos vue depuis les îles environnantes ; elle photographie les îles environnantes vues de Délos. L’espace photographiquement délimité est un réseau : le réseau de l’archipel. Autrefois, le caractère insulaire et les communications maritimes conféraient un caractère dynamique à ce réseau. La circulation apportait ouverture, richesse, influence et culture. Le centre du réseau n’était pas déterminé par des facteurs matériels. La centralité de Délos résultait du caractère sacré du lieu.
Tel était le monde de Délos lorsque ses bâtiments et ses temples, aujourd’hui en ruines, furent construits. Ces ruines témoignent de son apogée passée. Après son apogée, son déclin. Délos est restée relativement inhabitée. De ce fait, aucune nouvelle construction n’a effacé la mémoire du passé. Délos n’est pas un « palimpseste ». Le temps s’est arrêté.



La dimension temporelle est omniprésente dans les photographies d’Erieta Attali. Elle se révèle dans les longues expositions qui enregistrent la trajectoire de la lune. Les cycles du jour et de la nuit soulignent l’immobilité des monuments.
Délos peut être perçue comme un paradigme. Elle était autrefois un centre. Elle n’avait aucune centralité, comme celle de la steppe russe aride ou de la plaine européenne fertile. La centralité au sein d’un réseau maritime est constamment en négociation. Elle est créatrice de richesse et de culture, mais elle est aussi fragile.



Les photographies d’Erieta Attali touchent à l’essence même de la théorie géographique. À l’opposé des représentations dominantes des entités territoriales, elles mettent en lumière une réalité réticulaire parallèle. C’est la réalité de la Méditerranée de Fernand Braudel, avec ses discontinuités géographiques et historiques et son caractère articulé.
Georges Prevelakis
Professeur émérite de géographie et de géopolitique, Université Paris 1, Sorbonne
Distinguished Visiting Professor, Hellenic American University
Ce texte est en lien avec la nouvelle série photographique intitulée : Erieta Attali Delos | Terre à la dérive. L’œuvre sera présentée officiellement pour la première fois en Grèce au Musée Benaki d’Athènes du 25 juin au 21 septembre 2025.

Erieta Attali
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